23/02/2014
La Seule époque
Dans les interviews d'artistes du XXème siècle, une des questions rituelles était "à quelle époque auriez-vous aimé vivre ? ". Cette interrogation toute simple amenait systématiquement une réponse autre que "maintenant". L'immense majorité des interviewés étaient ce que Finkielkraut appelle (à son propos et on ne saurait le détromper) des "mécontemporains". Romantiques exaltés, avides de la Renaissance, désireux de connaître la Révolution ou le Printemps des Peuples, tous avaient des rêves d'autres temps, d'autres moeurs.
Plutôt que de nous infliger des sondages consternants de subjectivité sur le nouveau Graal, "le bonheur", il serait plus éclairant de lancer une grande enquête pour demander aux français s'ils préféreraient vivre à une autre époque. N'ayant pas d'appareillage statistique digne des haruspices, je suis obligé de m'avancer tout seul et je dirai au doigt mouillé que la proportion de personnes désireuses de vivre en d'autres temps est très faible. Ce, parce que l'instantanéité dans laquelle nous sommes plongés englobe tout, cannibalise tout.
Les arguments pourraient se tenir dans les deux camps. Pourquoi vivre dans une époque antérieure avec des périls militaires permanents, moins de droits pour les femmes, un ordre moral plus grand ou encore une mortalité infantile et adulte beaucoup plus forte ? Repoussoirs. Oui mais, pourquoi vivre dans une époque où les inégalités croissent, les périls écologiques ne reflueront pas, les maladies sexuellement transmissibles non plus, les menaces militaires pourraient tout faire imploser ? Est-on certain que l'on s'amuse plus depuis qu'on a inventé Stromae, les Neknominations et le Petit Journal ? Pas sûr.
Autour de moi, je ne vois qu'une personne qui se soit trompée d'époque. Fait pour mourir à la guerre sans se retourner, pleurer par les autres comme un héros. Mais un seul. Tous sont bien dans leur XXIème siècle. Les optimistes y verront le fil du progrès permanent de l'humanité et l'idée que politiquement, la grande marche se poursuit à un rythme lent mais certain et que le bonheur des peuples ne cesse de croître. On sait bien qu'il n'en est rien et que le bonheur comme le malheur ne se décrète pas, même en temps de socialisme triomphant. Je crois plutôt que si l'époque fait un tel consensus c'est plutôt en vertu de ce que Zygmunt Bauman dénomme la modernité liquide. Cette accélération contemporaine qui nous effraye en faisant sauter nos grands repères solides, mais nous fascine en même temps tant à l'évidence nos vies actuelles sont plus riches que les précédentes en termes d'événements vécus. Un jeune diplômé français en 2012 occupera 27 postes différents avant sa retraite, connaîtra plus de partenaires privés que par le passé. Sans doute un certain nombre de ces changements seront largement involontaires, mais cette précarité sera bien acceptée car l'idée que tout peut recommencer est la plus forte. Nous sommes donc tous heureux de vivre une époque Poker où ceux qui sont condamnés à avoir de mauvaises mains ne fracassent pas la table en rêvant de la Quinte Flush qui ne viendra pas. Mouaif, j'aimerais quand même vraiment qu'on produise ce sondage à très large échelle...
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20/02/2014
La différence entre les terroristes et les socialistes ? Il y a ceux avec qui on peut négocier...
Une vieille blague (mais avec un fond de vérité, sans doute) dit que la différence entre une mère juive et des terroristes c'est qu'avec les terroristes, on peut négocier. Un tel adage vaut aujourd'hui pour les socialistes au pouvoir. Impossible de leur faire faire une synthèse. Pas la Sociale, pas la Commune, pas le Grand Soir, juste un truc une petite synthèse à la Jospin.
Bien sûr, Lionel a déclaré à propos de Michelin "le politique ne peut pas tout" et autres renoncements, mais quand l'histoire le juge, il est acquitté. Il compte à son actif la CMU, les 35h, des plans de constructions de logement sociaux, de l'investissement dans la recherche... C'est autre chose que le Mariage pour Tous. Non parce qu'après deux ans de Hollandisme, seule cette mesure surnage, mais elle n'a rien de gauche, elle est progressiste. Cameron l'a fait passer, des tas de progressistes de droite dans le monde pourraient faire passer la même, et une gauche plus empreinte de catholicisme pourrait s'y opposer. Des catholiques qui pensent qu'il "est plus facile pour un chameau de passer par le chas d'une aiguille que pour un riche d'entrer au royaume des cieux". Et bah mieux vaut être chameau contortionniste que de gauche dans ce gouvernement. Alors que tout le monde commence à trouver Ayrault fatigué à l'approche des élections, tous les marqueurs de gauche doivent sauter. Ainsi, même Montebourg qui avait mené une primaire sabre au clair, s'exclame désormais que la France meurt d'archaïsmes tels que les 35h et autres rigidités. Vive la sociale-traîtrise...
La seule question qui vaille face à cette déferlante ultra violente de libéralisme décomplexé chez nos gouvernants qui cajolent le CAC 40 et les starts-uppers, précisément ceux qui n'en ont pas besoin, est : d'où vient un tel excès de confiance ? Les milliards débloqués par Hollande ne ramèneront évidemment pas ce qu'il y a d'écrit sur le Pins de Gattaz, pas 1 million d'emplois dans des secteurs saturés de concurrence et mécanisés. Seules les énergies renouvelables, l'économie circulaire, l'économie collaborative, les nouvelles formes de care et surtout la réindustrialisation peuvent recréer de l'emploi. Le reste est poudre aux yeux. Mais pour ce faire, il faut infiniment plus de volontarisme, qualité qui semble bien absente chez le corrézien en chef. Donc, si l'on revient à la question : pourquoi tant d'excès de confiance ? Uniquement par ce vieux chantage qui veut qu'en l'absence d'alternative, Hollande dit qu'il raflera tout à gauche.
Mardi soir nous étions 3 électeurs de gauche, donnant des gages aux bobos en mangeant des sushis et aux couches populaires en regardant le foot en éclusant des bières. Le PSG ayant tué tout suspense, il était vain de parler du match. Nous dérivâmes bien vite sur la vie de la cité et foncions vers l'élection de 2017. Notre hôte dit que, quoi qu'il en coûte, il voterait Hollande. Je me hasardais à dire qu'en cas de second tour Hollande/Sarkozy, je voterai blanc. Le troisième larron m'emboîtait le pas. Stupeur chez notre hôte qui ne nous mis pas dehors (et pourtant il apprécie Manuel Valls). Pas une seconde, il ne défendit le bilan actuel, mais se calfeutra dans un unique argument : "vous vous rendez compte, Sarkozy ?" Oui, et quand je vois la politique actuelle, ça ne me fait plus peur. Malheureusement.
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16/02/2014
Tout le monde il est toc toc
Quand j'étais enfant, un dessin animé connaissait un succès incroyable, malgré un titre effrayant : Le collège fou fou fou. Nous n'avons pas su apprendre de cet éloge de la folie quelques siècles après Erasme. En fiction oui, mais dans la vraie vie, nous continuons à être tétanisée par cette différence mentale. Nous avons fermé la majorité des asiles pour cause de contraintes financières, avons médicalisé à outrance la société et voudrions ne pas les voir. Pire, dans quelques temps, nous allons aligner la psychiatrie sur le reste de la tarification sanitaire, et tarifer à l'acte. Camisole, piqûre, sevrage, médicaments... On boucle ainsi la boucle en traitant de façon folle la folie. Ce n'est pas nouveau, le livre de Patrick Coupechoux nous enseigne que depuis des siècles nous avons un problème énorme avec cette différence et que l'époque actuelle est plutôt pire que d'autres.
"L'industrie de la santé ne guérit pas, sinon elle périrait", rappelle le psychiatre Edouard Zaférian dans le livre. Et elle va bien, puisque le chiffre d'affaires des labos pharmaceutiques pour les seuls médicaments relatifs aux maladies mentales est de 15 milliards d'euros. D'ailleurs, en refermant le livre on est excédé et écoeuré par cette politique de santé mentale à 200 vitesses : la clinique privée d'un docteur proche de Douste et Sarko a ses 44 pensionnaires à l'année qui sont très bien traités, ne vient pas qui veut et discrétion assurée, vs des établissements publics où 10% des postes ne sont pas pourvus (médecins comme soignants) pour cause de conditions trop difficiles et salaires trop faibles... Lorsqu'on songe que le handicap mental a été pleinement reconnu par la loi du 11 février 2005, on se dit que les moyens afférents n'ont pas suivi.
Outre l'inégalité de moyens, le fait saillant du livre est l'inégalité de traitement. On ne veut pas voir les "fous "quand ils sont partout, on les imagine dangereux et criminels à cause de quelques faits divers quand ils sont avant tout des dangers pour eux mêmes... Cela me fait penser que l'ABCD de l'égalité, qui vise à déconstruire les stéréotypes, devrait s'attaquer à la question de la maladie mentale. La chanson de Johnny aurait-elle connu un tel succès si on l'avait intitulé Requiem pour un psychotique ? Qu'il soit permis d'en douter.
Vendredi soir je suis allé dîner chez ma soeur. Elle même avait une maladie mentale un peu honteuse, elle découpait les articles de Télérama et photocopiait les fiches des films avec les noms d'acteurs, réalisateurs, maquilleurs et autres. Alors qu'elle fit cette confidence à la tablée, une autre commensale déclara avoir été atteinte du même TOC. Elles n'étaient plus malades, puisqu'elles se comprenaient. Et nous mêmes étions bien tentés de nous dire que ce n'était pas si grave, sinon elles n'auraient pas été plusieurs à partager cette tare. Ainsi commence la dédramatisation de la folie.
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