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03/02/2014

Trop vagues terrains

terrain-basse.jpgC'est un lieu commun éculé d'ériger les mots au rang d'armes pour les dirigeants. Mais il en est un dont ils abusent sans se rendre compte qu'ils tirent à blanc. Un mot qui revient dans toutes les bouches, plus encore depuis l'explosion de la crise de 2008 : "terrain". C'est un mot magique, creux et inattaquable, l'amulette ultime. "Moi sur le terrain, je constate que vos sondages sont faux", "ces préoccupations ne sont pas celles du terrain", ou encore "je n'ai pas de temps de me livrer aux querelles, aux complots, moi je suis sur le terrain". Journalistes, circulez, il n'y a rien à voir : "ils" sont sur le terrain. Adversaires politiques, vous êtes pusillanime et jamais sur le terrain. Homme d'inaction, mauvais esprits, gagne petits et défaitistes, vous ne connaissez pas le terrain. 

A l'évidence, on emploie ce mot avec des rêves démiurgiques ou comme des gosses s'essaient au spiritisme : faute de mieux et en espérant que ça marche. Le terrain, ça veut dire être dans l'action. Cela sous-tend que les autres ne font rien. Le terrain, c'est là où la France produit des merveilles, façon de dire que tout ce qu'on peut lire est faux. Ca permet à peu de frais de gentiment torpiller tous les éditorialistes et commentateurs en disant qu'ils ne sortent pas assez de leurs bureaux, eux... Invoquer le terrain, c'est se donner le beau rôle et parler à "l'électeur lambda" lui montrer sa dévotion, qu'on sue et qu'on comprend son quotidien.

Comme tous les clichés, la rhétorique des amis du terrain n'est pas entièrement fausse, mais exagère très largement la réalité. Oui, certains leaders politiques passent plus de temps à comploter qu'à agir. Problème, les thuriféraires du terrain sont souvent les principaux ourdisseurs de petites combines... Oui aussi, les médias ont une tendance pénible à accorder bien plus d'importance aux trains qui arrivent et à s'attarder de plus en plus sur les faits divers. Mais l'on peut noter là aussi la tartufferie des adorateurs du terrain, toujours prompts à dégainer une anecdote pour justifier leurs propos au lieu d'essayer d'avoir le recul de l'analyse globale...

Mais une fois ceci posé, ce qui me navre, c'est l'absence de relances et de questions de journalistes. On aimerait tout de même en savoir plus sur ces chimériques terrains. Pire, les journalistes les plus roués abusent également de l'artifice. Le bombardier en chef, Jean-Jacques Bourdin, aime moquer les puissants qui passent dans son studio en les exhortant à aller sur le terrain. Match nul du coup, et je ne parle pas de parité du score...

Au fond, si ce mot prend autant de corps, c'est bien le triomphe des thèses de Zygmunt Bauman : dans une modernité liquide où les grands repères s'effondrent les uns après les autres et où les dominants sautent de liane en liane sans toucher terre, les dominés tremblent que la terre se dérobe sous leurs pieds, d'où les références quasi obsessionnelles à la terre. Dans une économie de services, il n'est pas illogique que de plus en plus de personnes aient un travail consistant à manier de l'immatériel, du concept et des mots. Il ne faudrait pas que la croissance de ces métiers vire à l'hypertrophie, car à l'évidence, plus de production, piège à con. S'il y a un terrain à revisiter, c'est celui-là et encore celui-là. Le terrain vague crée par un libéralisme dérégulé et sur lequel il serait bon de replanter des usines, des maisons ou des fruits et légumes. Bon bah, y a plus qu'à... 

30/01/2014

Quand on est complotiste, on est complotiste

1544299_417559945014093_644152990_n.jpgLe temps ne fait rien à l'affaire, quand on est complotiste, on est complotiste. C'était bien la peine que le petit père Combes dresse un salutaire cordon sanitaire entre les rationalistes républicains et les religieux, pour que les thèses farfelues reviennent en force par la fenêtre du net.

C'est une chose que d'avoir conspué ceux qui croient qu'une vierge peut enfanter où encore qu'un altruiste forcené transforme l'eau en vin (tu me diras, aujourd'hui ce mec lèverait 200 millions de $ en quelques heures auprès de hedge funds. Idem pour le barbu qui t'ouvre les mers en deux ; les applications commerciales et militaires d'un business pareil, je te dis que ça), mais si c'est pour se voir rétorquer que les tours de bureaux ne peuvent pas s'écrouler à la verticale... Et celle-là qu'une des mille légendes qui se répandent sur le web avec une puissance si forte qu'elles concurrencent les thèses rationnelles, dénigrées et rebaptisées "thèses du système".

L'actualité est chargée en matière de nouvelles milices adoratrices des vérités alternatives. Il y a d'abord les masses persuadées d'être les nouveaux résistants, ceux qui défendent fidèlement le Che Guevara humoriste attaqué par l'ordre sioniste, Dieudonné. Depuis des années, ils psalmodient en silence et se transmettent les vidéos du gourou comme d'autres des missels. Mais depuis les coups de mentons stériles de Manuel Valls, ils sont persuadés d'être entré en croisade. Pire, quand le bonhomme est pris la main dans le pot de confiote pour des histoires de grisbi, ils trouvent encore des moyens de dénigrer. Et c'est là où ça devient intéressant. Car le complotiste puise sa force dans la défiance. Et tous les baromètres soulignent la montée en puissance inquiétante de ce sentiment.

Défiance à l'égard des politiques, des patrons et de plus en plus, des médias. Puisqu'ils nous mentent, puisque Radio Paris ment, puisque Radio Paris est allemand, alors allons y gaiement. C'est dans cette défiance généralisée, dans cette absence de référent crédible et de liant que les complotistes de tout crin s'enfoncent joyeusement. Les fans de Dieudo sont la face la plus visible de l'iceberg (encore un mot juif, coïncidence ?), mais il y a tous les amis du Réseau Voltaire qui pensent que le 11 septembre n'a pas eu lieu et désormais tous les illuminés de toutes parts qui ont allumé la mèche de la théorie du genre. Edgard Morin ou Jean-Noël Kapferer ont magistralement expliqué le fonctionnement mental et social de la rumeur, Gérald Bronner dans "la démocratie des crédules" a mis à jour ces ficelles à l'heure du web. Grosso modo, les méthodes restent les mêmes, mais l'accélération et le ciblage des crédules est multiplié par 1000. N'oublions pas qu'Instagram a mis 12h à obtenir 1 million d'abonnés. Chemin bien balisé... Celui-là même qu'a trouvé la proche de Soral souhaitant dénigrer l'enseignement de la théorie du genre. Ce qui a abouti, chose inouïe, à ce que le ministre de l'Education Nationale en personne doivent réaffirmer dans un communiqué qu'il n'encourage pas la masturbation dans les écoles maternelles. Quand on en arrive là, il faut commencer à se préoccuper sérieusement des conneries proférées par ceux qui hurlaient jadis sur des caisses à savons. Avec les tuyaux du web, on a donné un bazooka idéologique à ces détenteurs de lance-pierre. Sachant qu'on n'interdira jamais (et c'est heureux) le web puisque cela serait nous renvoyer au rang de régime scélérat, il faut encore et toujours renforcer l'esprit critique dès le plus jeune âge. Cette bataille, c'est notre nouveau Verdun, et Pétain n'est plus sur le marché pour nous tirer de là...

28/01/2014

Sacrés amateurs !

sacre-amateur.gifLe rédacteur en chef du Monde magazine, Didier Pourquery, y tient chronique autour d'un mot. S'il me laissait son billet pour une édition, je crois que je rendrais hommage à "Amateur". D'après le trésor informatisé de la langue française, il s'agit de ' Celui (ou celle) qui manifeste un goût de prédilection pour quelque chose ou un type de choses (plus rarement de personnes) représentant une valeur". Dans le langage commun, le terme est plus que galvaudé, déprécié.

Toujours intéressant de faire une recherche du mot dans Google Images. J'ai du descendre beaucoup pour trouvé la couverture de l'excellent livre de Patrice Flichy, Le sacre de l'amateur. Avant ? Des dizaines de photos de filles à poil, quelques références à la revue de Jean-Paul Kaufman -l'amateur de cigares- et des footballeurs amateurs. Peu engageant... Mais révélateur pourtant. Les amateurs seraient des sous-xx, mettez ce que vous voulez à côté de xx, un genre à part, mais un moins bon genre. L'amateur reste l'insulte suprême en politique "une campagne d'amateur. L'amateurisme des socialistes. L'amateurisme de l'organisation des primaires UMP.", mais aussi dans l'entreprise "une gestion de la crise qui relève de l'amateurisme. Une communication grand public d'amateur". Arrêtez le mitraillage en règle de l'ambulance. Appelez la Croix-Rouge à la rescousse et essayez deux secondes de regarder la cible sur laquelle vous vous acharnez. Quelle merveille, quels trésors d'humanité, se cachent dans l'antre de l'amateurisme.

Il y a peu je suis allé écouter ma femme en concert. Ma femme et ses 3 acolytes forment un quatuor, formation musicale que les statistiques déclarent majoritairement composée de quatre personnes. L'alto est un professionnel. Tout de suite, ça fait sérieux. Les deux violons et le violoncelle sont toutes professeures et musiciennes amateurs. Tout de suite, on entend des "boing", des couacs. Et bah bernique. Ce, pour des raisons évidentes qui ne tiennent pas seulement de la rigueur qu'elles mettent à répéter. Il suffit d'envisager deux secondes l'attachement que l'amateur met dans sa passion, un attachement souvent supérieur à l'engagement professionnel. Non qu'elles prennent leur emploi à la légère - au contraire- mais le cerveau, l'âme humaine (allez) n'est tout bonnement pas faite pour s'impliquer à 100% tout le temps. Et samedi dernier, le miracle eut lieu : l'intensité, le plaisir et l'entrain qu'elles mirent à jouer ravit la centaine de spectateurs présents, persuadés d'écouter des pros. Cette mystification n'a rien d'illogique.

On le voit fort bien avec la coupe de France de football, où des équipes amateurs battent régulièrement des équipes professionnelles dont la valeur intrinsèque est largement supérieure. Mais les pros ont d'autres choses auxquelles penser - ce match hyper important dans deux mois ou le défenseur central en plein divorce- , quand les amateurs font de ce moment un summum d'implication. Cette évidence dumb as cabage (bête comme chou, pardon) mais strictement imparable, nous devrions nous l'approprier et l'appliquer à tout un tas de domaines. Après tout, Wikipédia, entreprise amateure par excellence, n'est pas l'abomination que quelques cuistres veulent bien dire. Pour peu que l'on sache s'en servir, c'est un excellent outil d'apprentissage. Nombre d'artistes, d'acteurs, d'écrivains, de musiciens ou de cinéastes se réclament de l'amateurisme et excellent pourtant. Ils ne produiront sans doute pas une oeuvre aussi vaste, aussi ample, mais ils choieront ce qu'ils feront. Petite honnête cuvée, bien plus plus nécessaire que des tonnes de récoltes banales. 

A l'heure où l'on va voter la loi sur le cumul des mandats, l'évidence vous frappe et pas en douceur : le texte est un premier pas, mais élude le vrai problème du cumul. Celui du cumul dans le temps. Le problème majeur n'est pas tant celui du député maire, que celui d'élus pour quarante ou cinquante ans, qui jamais de leurs vies n'envisagent autre chose la politique que conçu comme une course de haies, faite d'élection et de ré-elction, avec ce que cela implique de compromis, d'arrangements. Le mandat unique par esprit d'amateurisme, au sens de celui qui aime vraiment, mais avec une rigueur et une exigence rare. Voilà pour mon utopie matinale. Sur ce m'en vais courir. En amateur.