14/03/2021
Pour un classement des indignations
Un UBM (unité de bruit médiatique) correspond à 1% de la population française potentiellement exposée à une page ou une minute d'information sur les sujets dans les médias. Cette mesure est uniquement quantitative, bonne ou mauvaise appréciation, l'important c'est de savoir si l'on en parle. C'est une mesure parmi d'autres, hein, les vues Youtube, les Top Tweets sont autant d'éléments d'appréhension de ce sur quoi on s'écharpe.
Quand on sonde la population sur ce qui les effraie le plus, les inégalités sociales, la montée du chômage et son corollaire du déclassement social, la disparition des services publics, le réchauffement climatique, tous ces sujets arrivent très haut. Récemment, nous avons eu une enquête remarquable sur Open Lux révélant que le Luxembourg abrite de très loin ce qui manque aux services publics ; on a eu une note de l'Institut Rousseau rédigée par un collectif d'économistes emmenés par Gael Giraud, intitulée ABC, proposant une fiscalité 100% progressive sur 100% des revenus, rentes, actions et autres stocks incluses ; on a eu un rapport WWF et Ernest & Young montrant qu'un Green New Deal avec isolation thermique pour tous les logements, plan Marshall énergétique et agricole créerait deux millions d'emplois pérennes et non délocalisables réduisant considérablement nos émissions de CO2.
En somme, des solutions concrètes aux grands enjeux, aux grandes angoisses, aux grandes interrogations des français.es sont parues les dernières semaines. Aucune ne fut en Top Tweet, aucune n'a percé le mur des 10 BUM, tous honneurs réservés à la plastique de Corinne Masiero, aux menus des cantines scolaires lyonnaises, à la sévérité de la justice à l'encontre de Nicolas Sarkozy... Le classement médiatiques de nos indignations est sans conteste un légitime motif d'indignation profonde.
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08/03/2021
Camisole, camisole
Désoeuvré et même démobilisé à cause du soleil qui me narguait, je fis une longue promenade dans Montmartre redevenu respirable depuis que les touristes sont repartis. En hommage à Pierre Nora, je saluais le Sacré-Coeur, cet édifice construit sur le sang des Communards. Les escaliers étaient noir de monde et pas de frétillants télétravailleur.euses laptop sur les genoux. Non, ils étaient plein de sybarites, d'artistes à l'arrêt, de professionnel.les du tourisme entravé.es, de lassé.es, d'exaspéré.es, de désoeuvré.es et démobilisé.es comme moi. Mais contrairement à moi qui arpentait les rues un double expresso à la main, ielles arboraient fièrement des pintes de bière. Paris avait drôlement soif, pour un petit 15h...
Entre le chômage forcé et le couvre feu à 18h, les occasions de boire plus tôt qu'à l'accoutumé sont légion. On peut le lire de deux manières : soit nous sommes devenus anglais.es, soit nous sommes déprimés. J'opterais pour la première option... Des bières à la va-vite, des psychotropes à foison, de l'herbe en gâteau, en cône, en bang, on s'évade comme on peut. L'article du Monde d'aujourd'hui montre que les vendeurs de drogue se sont adaptés, se sont numérisés en mode start up Nation ; vive Dealiveroo (elle est pas de moi, mais c'est de la bonne), par temps de Covid ils sont clairement un commerce essentiel. Alcool, shit ou médocs, chacun choisit la camisole qui lui va, mais on sent bien au bout d'un an de privation qu'il nous faut un mur pour rendre la réalité acceptable. Un peu comme Pink Floyd qui mettait The Wall entre le mur et eux en 1970 et deux ans plus tard tournait Live At Pompei en se faisant un concert sans public dans un décor antique et somptueux. Une folie acceptable. Aujourd'hui, nous sommes tous comme Pink Floyd, les revenus en moins (c'est ballot). Les applaudissements enregistrés dans les stades de foot pour ne pas trop perturber les joueurs (les joueuses sont punies, elles jouent beaucoup moins...), les musicen.nes qui parlent à un écran à la fin de leurs concerts live streamés, les visites de musées par Google, on ne compte plus les expériences déshumanisées, déréalisées, qui sont notre lot quotidien depuis un an.
Le grand succès littéraire de la rentrée de septembre dernier, c'était "Yoga" dans lequel Carrère narrait sa dépression, le succès inattendu de "à la folie" de Joy Sorman en janvier souligne notre envie d'aller voir chez celles et ceux qui sont reconnus comme folles et fous sans parler, bien sûr, du gigantesque succès d'audience rencontré par "En thérapie" qui s'explique sans doute en partie par le besoin qu'on a de se dire que vider son sac est plus que jamais légitime en ce moment... Comme il paraît qu'il faut toujours trouver des lueurs d'espérance dans les crises, je me dis qu'on savait déjà que nous sommes tous le con.ne de quelqu'un, nous sommes désormais toutes et tous les folles et fous de tout le monde. Quel progrès.
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06/03/2021
Les chars ont changé de couleur
En 1981, le consortium des médias dominants tâchait de faire croire que les chars rouges attendaient à la frontière que François Mitterrand soit élu pour pénétrer le pays et soumettre les gaulois à la dictature communiste. Aujourd'hui, hélas pour Victor Hugo, la peur du rouge n'est désormais plus réservée qu'aux bêtes à cornes. Passé un léger frisson en 2017 quand Mélenchon dépassait les 20 points dans les sondages, la crainte de la contagion communiste s'éloigne et voilà qu'un variant Vert vient inquiéter l'ordre dominant.
Il y a huit mois à peine les écologistes emportaient nombre de grandes villes et on ne compte plus les polémiques intentées contre les exécutifs locaux pour tenter de les décrédibiliser. Toutes ces polémiques ont en commun une puérilité folle face à de possibles changements de modèle périmés. Quand Pierre Hurmic dit que la tradition du sapin de Noël est écocidaire, un gaspillage inutile, il a raison de façon inattaquable. On peut vouloir continuer à avoir un sapin et se foutre du coût CO2 et des dépenses occasionnées, mais qu'un élu écologiste décide de s'en passer, c'est logique. A Lyon, ce fut le recours à une écriture inclusive qui fut raillée, polémique retombée tant il est vain de s'opposer à une tentative non coercitive, non obligatoire, uniquement une tentative de décloisonner les représentations des lecteur.ices pour les faire évoluer. Il y eut la plus navrante de toutes, sur les repas sans viande à la cantine, adoubée sous Collomb, conspuée sous Doucet, confirmant que c'est bien l'écologie politique qui effraie l'ordre libéral.
Et puis, vint celle de la semaine dernière, à Lyon à nouveau. Nombre de voix s'émurent suite à une campagne reprise par nombre de médias (Radio France, rue89...) avec le même titre putassier : "la mairie coupe 500 000 euros de subvention à l'Opéra". Il n'en fallait pas plus pour enfoncer définitivement les Verts. Non contents de ne pas aimer manger, les voici adversaires de la grande culture ; scandale ! C'est assez fou, le conservatisme. Couper 500 000 euros à la culture, c'est ce que ferait le RN. Ne pas soutenir la culture qui s'écroule, c'est que fait la macronie. Couper 500 000 euros à l'Opéra pour les allouer ailleurs et démocratiser, enfin, la culture, c'est ce que font les écolos. Ils ont raison.
Je n'ai rien contre l'Opéra. Mais qui est déjà à l'Opéra aura forcément constaté que c'est la salle de spectacle la moins diverse du pays. Je ne dis pas que les grandes scènes de théâtre publics sont des modèles de diversité, mais rien à avoir avec ce ghetto du ghotta qu'est l'Opéra, aux places inabordables pour 95% des porte-monnaies. Les mairies sont les premiers financiers de la culture en France, c'est sur elles plus que sur l'État que repose l'accès à toutes et tous de la culture. Avec 500 000 euros, combien d'enfants peut-on mener vers la lecture ? Vers les arts vivants, théâtre ou cirque ou danse ? Beaucoup. Beaucoup. Un ami fondateur de festivals littéraires ambulants pour enfants (le Livrodrome) vous fait un tour de France de son pavillon itinérant à ce prix là, avec des milliers de gosses qui rencontrent conteur.euses, autrices et auteurs. N'est-ce pas là la priorité ?
Un article hier dans le Monde soulignait que le budget mécénat de l'Opéra de Paris a augmenté de 141% depuis 2010, avec des mécènes aussi engagés dans la cité et se saignant pour que la culture vive que Rolex ou Van Cleef et Arpeels. Évidemment que des grandes banques et des grands groupes de luxe peuvent se payer des loges à l'Opéra, des labos pharma à Lyon seront ravis de mettre les 500 000 euros manquants, nouvelle polémique inepte.
Demain, si les écolos gagnent des régions et décident d'allouer la priorité à la rénovation thermique plutôt qu'aux permis de construire et donc de bétonner, de soutenir l'agroécologie plutôt que la FNSEA et de soutenir les filières de transports propres et locaux plutôt que de pressuriser pour un nouveau TGV, on ressortira à nouveau les Amish ennemis du progrès ? Les temps changent, les conservatismes restent.
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