19/02/2021
Séparatismes légaux et impunis
37 des 50 premières fortunes françaises ont des holdings au Luxembourg leur permettant de réduire considérablement l'imposition de leur revenus divers. Ils évitent ainsi de contribuer à hauteur de plusieurs milliards d'euros aux biens communs qu'ils utilisent chaque jour (à minima les services de police, les routes...) et surtout qu'utilisent chaque jours l'ensemble de leurs salarié.es qui se sont formé.es à l'école nationale, sont soigné.es par la sécurité sociale, empruntent des infrastructures de transports communes... De ces révélations du Monde dans la série remarquablement détaillée Open Lux; le gouvernement n'a rien fait. Ni débat à l'Assemblée, ni pression ou réception des patrons fraudeurs (on a les noms, quand même....), ni proposition de loi, de mise à l'agenda de l'Union Européenne. Rien.
35,3% des collégien.nes de Paris sont scolarisé.es dans un établissement privé sous contrat avec l'État, 13 points au dessus d'une moyenne nationale à 22%. Des chiffres en hausse vertigineuse. Le principe, le ciment de l'École de la République, c'est qu'elle prend les enfants du quartier et fait avec les profs qu'on lui envoie. Ces écoles sont concurrencées par des écoles qui choisissent leurs élèves et leurs profs.... Avec les mêmes fonds publics (à une petite, une toute petite variable d'écart). Petit à petit, et de plus en plus vite, les classes moyennes très supérieures, supérieurs, et les classes moyennes plus démerde mettent leurs enfants à l'écart du commun dans la plus grande légalité, avec les mêmes moyens. 1/3 des mômes à Paris... Près d'un quart en France. Alors bien sûr, les hommes et les femmes de ce pays naissent libres et égaux en droit, mais ils ne le demeurent vraiment pas longtemps.
Ces séparatismes dramatiques sont connus, documentés, visibles et restent impunis. Il n'y a pas un mot là dessus dans la loi séparatisme votée cette semaine avec les compliments (à défaut de l'assentiment) de Marine le Pen. Il paraît qu'il faudra faire barrage l'an prochain. Mais barrage contre quoi ?
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18/02/2021
A quand une enquête sur l'influence des youpins dans la finance, les fiotasses dans la mode et les féminazies dans la petite enfance ?
"Hiroshima mon amour et pourquoi pas Auschwitz mon Loulou ?", s'interrogeait avec justesse la grande Marguerite des lettres françaises au sujet du titre débile de l'escroque littéraire au même prénom qu'elle. Je repensais à ça, à propos de la gigantesque désinvolture avec laquelle nombre de commentateurs et de responsables politiques s'interrogent sur le bien-fondé de mener une enquête sur "les dérives de l'islamo-gauchisme à l'université".
On dit souvent que répéter en boucle un mensonge n'en fait pas une vérité. L'adage ne tient pas hélas, en 2021. Répéter en boucle un vocable de l'ultra droite finit par le rendre socialement acceptable dans la bouche de ministres, d'éditorialistes et autres. Car "islamo-gauchisme" n'est pas un vocable neutre, il n'a aucune origine scientifique ni aucun corpus savant détaillé. Il s'agit de borborygmes de l'aile la plus énervée de l'ultra-droite, celle qui cause de "youpins", de "féminazie", de "presstituée", de "journalopes" et autres "fiotasses", tout vocables masculinistes et racistes.
Dans une matinale de France Culture, le professeur de théorie politique à l'ULB Jean-Yves Pranchère avait rivé le clou sur le sujet : il n'y a aucun sérieux, aucune source savante liée à ce terme d'islamo-gauchisme, qui ne repose sur aucun fondement autres que des stéréotypes et raccourcis paresseux voulant qu'une partie des responsables politiques de gauche, peut être par sympathie pour la cause palestinienne, peut être par anticapitalisme et anti-américanisme exacerbé, ne seraient pas critique avec le projet d'islam politique. C'est tout. Vous ne trouverez pas de textes fondateurs de l'islamo-gauchisme triomphant appelant à voiler toutes les femmes de France et à peupler nos plages de burkini par néo féminisme, pas de tract félicitant les assassins ignobles de Charlie Hebdo, du Bataclan, de Nice, de Saint Etienne du Rouvray, j'en passe et des pires. Il n'y a aucune, mais alors aucune doctrine de l'islamo-gauchisme. Ça n'existe pas. Tout ce qui existe, ce sont des "cerveaux malades" pour reprendre l'expression de Patrick Cohen à propos de Dieudonné qui exhument les poubelles du net, les rebus des faits divers de presse quotidienne régionale pour trouver une ou deux anecdotes navrantes ou un prof n'a pas hurlé contre des couloirs de natations réservées aux femmes et ce genre de fariboles. Avec la caisse de résonance de Twitter, ces fafs se vivent en lanceurs d'alerte et voient dans ces non-faits les signaux faibles du non grand remplacement. Que des trolls fascistes, désoeuvrés, haineux, velléitaires et confits d'aigreur postent ça, c'est triste, mais c'est leur liberté d'expression. Que des responsables publics, y compris des membres de ce gouvernement, reprennent ce terme sans ce rendre compte de l'ignominie à l'oeuvre, c'est plus qu'inquiétant.
Combien de temps Roselyne Bachelot serait-elle restée en poste (c'est une supposition, pas un souhait de départ...) si, en tant que Ministre de la Culture et de la Communication, elle avait lancée une enquête sur l'importance exacerbée des youpins dans le monde des médias et des fiotasses à la culture, mettons dans la danse contemporaine, par hasard ? Elle aurait rangé ses cartons dans la journée et serait partie vivre recluse. Le fait que Frédérique Vidal soit toujours en poste montre notre résignation, notre mithridatisation face aux idées d'ultra-droite.
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15/02/2021
La vie c'est pas stop and go
Nombre de titres parlent de "la voie étroite" ou du "trou de souris" pour éviter un reconfinement et prolongent par "tout faire pour éviter le stop and go". Dans "Je parle comme je suis", la linguiste Julie Neveux pointe le fort accroissement du vocabulaire machinique et technique pour les humains. Nous sommes "en mode", avons "les batteries à plat", nous "buggons" et nous nous "connectons".... Quoi de plus logique, donc d'affronter la crise en stop and go, ou en ON/OFF.
Mais la vie, c'est pas ON/OFF. Les robots des usines peuvent se rallumer, mais le cycle de productions d'une usine ne s'arrête pas d'un coup comme au dernier morceau du DJ, en fin de soirée. Et on ne relance pas une ligne de production en un claquement de doigts. On peut baisser et relever le rideau d'un magasin en quelques instants, mais pour les personnes à l'intérieur, on ne peut pas changer d'état d'esprit aussi rapidement que les circulaires ministériels vous l'indiquent.
"Il faut s'adapter". Le mantra des néolibéraux qui sert de titre au livre de Barbara Stiegler bat des records par temps de Covid. Songez au nombre de protocoles différents par lesquels nous sommes passés en moins d'un an : restez chez vous, sortez, consommez en vacances, c'est important ! Pas trop à l'intérieur, mais un peu quand même pour soutenir les restaurateurs ; tout ouvert, les gros fermés les petits ouverts, ceux-ci sont essentiels, ceux-là superfétatoires... Venez au bureau, restez à distance... Quelle personne, même motivée, même citoyenne, même désireuse d'aider, peut suivre toute ces injonctions ? Il y en a, bien sûr, mais je comprends aussi toutes celles qui ne veulent plus bouger, qui refusent de switcher et restent ON ou OFF.
Ce matin, nous avions une présentation d'étude de cas pour mes étudiant.es dans un grand local politique avec candidat et équipe de campagne. J'étais sûr de faire le plein. Seule une moitié est venue, dont une étudiante nantaise et un niçois. Ils tenaient à être là, à se voir, à échanger en vrai. D'autres, francilien.nes se sont connecté.es sur Teams. Certain.es peut être étaient loin, d'autres avaient la flemme, d'autres ne veulent pas prendre les transports à heure de pointe. J'étais déçu, mais je ne peux leur en vouloir. Ielles sont victimes de ce discours de courant alternatif qui laisse entendre que nous pourrions continuer ce jeu de cache cache qui n'amuse personne pendant des mois. Les RH sont confrontés aux même problèmes dans les deux sens. Je connais des start uppers qui ont dû dire à leurs équipes de ne pas venir tous en même temps au bureau car l'engorgement à déjeuner dans une petite salle était peu indiquée. Je connais aussi des managers dans de grosses structures qui passent beaucoup de temps à essayer de faire revenir des récalcitrant.es au bureau, mais qui font face à des refus, voire des menaces d'arrêt maladies si on les contraint à quitter le télétravail.
On ne peut pas vivre avec l'angoisse que la sirène retentisse et change les règles du jeu demain, que l'on doive écourter nos vacances, notre repos, que sais-je, car il faut à nouveau se calfeutrer. Le confinement ça n'est pas de la médecine, ça a été inventé lors des grandes pestes quand l'acmé du geste médical était la saignée. Certains médecins disent d'ailleurs que c'est "l'arme nucléaire" à ne déclencher que lorsque tout est perdu. Entre les personnes déjà malades, les masques et autres protections et les vaccins, il serait temps de cesser même d'évoquer cette menace nucléaire pour ne pas parler que et uniquement que d'ouverture. Ça urge.
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