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20/11/2019

L'autre robinet à couper

Pendant que vous vous brossez les dents, pensez à coupez l'eau. Ce micro-geste, à force d'être rabâché inlassablement, a fini par rentrer dans les moeurs. Il faudrait qu'il en aille de même avec les infos. Une fois que vous avez bu votre dose matinale (radio ou presse écrite ou en ligne, ou les deux), pensez à couper le robinet des chaînes d'info en continu.

Ça n'a rien d'un sujet mineur. Les Cassandre de la fin de la télé auront peut être raison dans 50 ans, mais en attendant, en 2018, les français regardaient la télé 1 minute de plus par jour qu'en 2017. Il n'y a donc pas de déclin. Et ils la regardent 3h45 par jour. 3h45... Michel Serres avait coutume de dire que le temps que le progrès technologique et la productivité au travail était intégralement englouti devant la télé et que cela le laissait perplexe sur la nature humaine. 

Pour expliquer cette persistance de la télé, on ne peut pas compter sur la fiction qui est trop concurrencée. Il y a bien sûr le sport et les jeux crétins, mais aussi, beaucoup, les chaînes d'info en continu. Rien que ce nom est une aberration. L'info n'est pas en continu, il n'y a pas à commenter sans cesse la marche du monde, on a le droit de prendre des chemins de traverse, des pas de côté...

J'ai fait l'expérience, dans la chambre d'hôtel où je travaillais pour une après midi, de regarder ces chaînes pendant des heures. Ad nauseam. Je bossais en même temps comme j'imagine un grand nombre des téléspectateurs de ces chaînes que l'on trouve souvent dans des endroits où la concentration n'est pas aisée (bistrots, aéroports, halls d'entreprise....) et il est vrai que le niveau de ce qui se dit là n'exige pas que l'on se concentre beaucoup. De quoi parle-t-on, pendant des heures ? Là, en l'espèce d'un fait divers atroce (une femme enceinte tuée par des chiens de chasse), mais un fait divers. Auquel on a consacré un temps infini d'antenne car il est facile à monétiser : un duplex avec un JRI qui interviewe des riverains "j'avais déjà vu les chiens, maintenant j'ai peur", "j'aurais jamais cru que c'était possible", "pourquoi une femme enceinte se promenait-elle seule ?", dans une troublante imitation involontaire des micro trottoirs humoristiques... On a aussi beaucoup parlé des annonces de Philippe et Buzyn sur l'hôpital. Avec des invités en plateaux comme Nicolas Dupond Aignan, William Goldnadel ou Jean-Claude Dassier, que des mecs, que mecs de droite extrême, toutologues n'étant en rien éclairants sur la situation de l'hôpital public. Si je ne m'étais pas livrée à une expérience sociologique, j'aurais évidemment coupé. C'est inepte, jamais sourcé et fondé et fondé sur le besoin d'avoir une surenchère...  

Le fait que deux grandes chaînes se soient battues avec force enchères pour obtenir Eric Zemmour en dit long sur l'extrême-droitisation des écrans... Hier, il recevait Asselineau et commençait par "je suis ravi d'échanger avec quelqu'un avec qui je partage temps" et s'en suivait une haine de la fraude sociale, des immigrés, de Bruxelles, des fonctionnaires... Il y avait eu un petit buzz sur les chaînes d'info boycottant l'émission de Zemmour, mais les coupures pubs sont nombreuses et fournies.

Je connais quelqu'un qui fait d'excellents reportages long sur BFM, fouillés, fondés, de la belle ouvrage. Mais c'est vraiment l'alouette du pâté d'alouette au milieu d'un océan de boue. C'est dans le modèle de ces chaînes low cost, peu de journalistes mais beaucoup de types (les femmes sont clairement sous-représentées) qui acceptent de venir commenter l'actu gratuitement pour ensuite vendre leurs conseils avec la mention "vu à la télé). Beaucoup de redites, de propos de bistrots, et une valeur ajoutée suspecte.

3h42. Les français regardent la télé 3h42 par jour. Ils se mettent des shoots purs et quotidien de bêtise crasse, d'approximation et de haine des migrants... Coluche aimait à dire que pour que tout le bordel de pubs vantant des conneries s'arrête, il suffisait d'éteindre la télé. Je ne saurais mieux dire à propos des chaînes d'info... 

 

 

 

 

 

 

 

 

18/11/2019

La complexité à bon dos

Dans "pourquoi les riches votent à gauche", le journaliste et essayiste américain Thomas Frank torpille méticuleusement, vigoureusement, chirurgicalement, l'argument progressiste de la complexité du monde. Non pas que le monde ne soit pas complexe, il l'est, mais cette posture rhétorique du refuge derrière la complexité masque en réalité une soumission à l'ordre dominant.

Depuis Clinton jusqu'à Obama, les progressistes yankees ont abandonné en rase campagne toute réforme sociale au nom de cette sacro-sainte complexité. Ainsi de la séparation des banques de dépôt et et de spéculation, abandonnée car "c'est plus complexe que ça". Le fait que Goldman Sachs et City Group soient parmi les principaux financeurs des campagnes démocrates pourrait-il expliquer ce renoncement ? Populisme ! Poujadisme ! Non, c'est juste "plus compliqué". Le fait que nombre de conseillers de Clinton et Obama (la liste est fournie dans le livre) soient partis monnayer leurs talents en millions $ annuels dans lesdites banques miraculeusement préservées pourrait-il expliquer une attitude émolliente au moment d'examiner les responsabilités accablantes des grosses banques dans la crise de 2008 ? Populisme, poujadisme, c'est plus compliqué ! Quand on écoute les dirigeants progressistes apôtres de la complexité, on en vient à croire que les malheureux expropriés, ruinés, détruits par les subprimes, sont les responsables de leurs propres malheurs...

En France, nous avons exactement la même caste et les mêmes arguments. A propos de la taxe à 75% sur les revenus supérieurs à 1 million d'euros, Macron conseiller économique de l'Elysée disait que c'était "Cuba sans le soleil". Président, il a aboli l'ISF, instauré la flat tax et la limitation de l'impôt sur les salaires des banquiers. Il a aussi introduit le "droit à l'erreur" inversant de façon criminelle la présomption pesant sur les boîtes qui fraudent. Avant, elles redoutaient le gendarme. Maintenant, elles peuvent dire "oups, pardons, je ne savais pas, je vais juste payer ce que je dois et surtout pas d'amende". Elles peuvent d'autant plus tranquillement que Bercy est le 2ème plus gros plan social de ce pays (après l'Hôpital public...) et que les contrôleurs étant virés au profit de mouchards sur Facebook, les fraudeurs peuvent dormir et s'enrichir tranquille. C'est écoeurant. Si vous leur dites, les progressistes vous diront que "la réalité est plus complexe". Au début de son quinquennat, Macron avait d'ailleurs vanté la "pensée complexe" et on le comprend, personne ne voulant mettre en avant une pensée monolithe et bourrine. Dans la foulée, le fidèle Rantanplan qu'est Gilles Le Gendre avait dit "sans doute avons-nous été trop subtils, trop intelligents", façon de dire que ceux qui émettaient des doutes sur la politique de ruissellement étaient des crétins. 

La semaine dernière, s'ouvrait à Paris le procès des crapules de la BNP qui avaient refourgué à des pauvres hères un crédit d'une filiale suisse où nombre de petits épargnants ont foncé vers un produit financier miraculeux et après avoir acheté 200 000 euros et remboursé 150 000 euros de produits, se retrouvent toujours avec 180 000 euros de dettes... Les témoignages sont accablants sur ces familles brisées. Le principal accusé n'est pas à la barre, il s'agit du patron de la filiale, alors. François Villeroy de Galhau, ex dircab de DSK socialiste madré et désormais parachuté à la tête de la Banque de France. Face à l'évidence de sa responsabilité judiciaire, il répond "chat perché, carte complexe". 

Il est amusant de voir que les promoteurs de la complexité reprennent en coeur depuis 30 ans l'antienne tatchérienne du There is no alternative. Une politique complètement exempte de complexité reposant sur l'équation suivante : baisse des impôts des plus riches = davantage de compétitivité et investissements et emplois. Résultat partout en 30 ans, des milliardaires payant moins d'impôts que les classes moyennes, une fraude fiscale qui explose, un chômage et une précarité de l'emploi qui augmente (que ceux qui parlent des 4% de chômage aux US lisent deux secondes des études sur ceux qui sont hors radars des statistiques et se comptent en millions, les carabistouilles sur les chiffres en France sont beaucoup moins grossières, mais la logique manipulatrice est la même) et des inégalités qui se rapprochent dangereusement de ce que nous appelions naguère et avec condescendance, "le tiers monde".

La complexité à bon dos, c'est un cache sexe qui ne trompe plus grand monde et n'empêchera pas l'arrivée au pouvoir de ceux qui disent clairement leurs sombres desseins, Trump là bas. Le Pen chez nous. Nous sommes prévenus. 

 

 

13/11/2019

Immigration : le trop de débat, pas le débat de trop

Une petite musique est instillée à la fois par les fascistes et ceux qui se réclament du progressisme : "on" ne pourrait pas débattre sereinement de l'immigration. Dangereuse convergence... Par "on", comprenez à chaque fois que les "droits de l'hommiste" ou les "islamo gauchistes" (deux tribus sans aucune réalité sociologique) refuseraient de voir le mal qui vient et refuseraient de débattre. Or, personne n'a jamais refusé de débattre, au contraire. Peut-on débattre de l'accueil digne des migrants si on ne leur donne aucun cours de français pour s'intégrer ? Si on les parque pendant des mois dans des centres de rétention où il monte en pression ? Si on les maintient des années dans une incertitude administrative. Bref, on veut débattre de notre modèle intégratif, de notre projet de société, pas seulement "des flux" et autres "quotas".

Mais le plus fascinant est la disproportion folle entre l'emprise de ces débats et l'intérêt qu'elle suscite chez nos concitoyens. Au moment de la crise des gilets jaunes, des milliers de questionnaires furent tendus aucun ne faisait remonter l'immigration comme une préoccupation majeure, qui fut quand même inscrite à l'ordre du jour par le Président. A contrario, la santé fut gommée des priorités quand une étude gigantesque d'Ipsos montrait que c'était la priorité absolue : des services de proximité, moins d'attente, des meilleures conditions de travail pour les soignants... Tout bonnement rayée de la photo. Un an après, la colère des soignants est toujours là et leur légitime grève et journée d'action aura lieu demain. Cherchez l'erreur ? 

Autre point qui me fascine, la réception de l'ouvrage "les deux clans" de David Goodhart, qui oppose gagnants et perdants de la mondialisation de ces trente dernières années, mégapoles et territoires plus ruraux. Dans son livre de 350 pages, une 30aine concernent l'immigration, d'où il ressort que les ruraux ne sont pas beaucoup plus racistes que les autres, ils ne veulent pas d'immigration "de masse" (définissez "de masse" notes aux sondeurs) car "ils ont peur pour leur emploi et trouvent que le pays change trop vite". Ils ne parlent ni insécurité, ni terrorisme, ni grand remplacement, ni je ne sais quelle connerie... Pourtant, la réception se fait autour de ce thème, hier, on créait un débat fantoche entre Goodhart et Bernard Guetta pour savoir si LREM était trop "aveugle aux colères populaires concernant l'immigration".

Rappelons que 100% des députés RN ont voté la loi Collomb sur l'immigration, on a connu opposition plus agressive. Tactiquement, le RN va se démarquer gentiment car 2022 arrive et il faut faire des clins d'oeils appuyés, mais LREM s'est montré plus inhumain sur l'immigration que les gouvernement Sarkozy, une gageure. Preuve que l'électorat et les cadres n'ont rien de "progressiste" aucune fronde d'ampleur n'a eu lieu quand le RN les a soutenu sur ce thème. Cherchez l'erreur...

Dans "les deux clans", il y a plus de deux cents pages d'analyse expliquant que le NHS (la sécu anglaise) a déserté les campagnes, que le MEDEF anglais a trop misé sur les diplômés du supérieur sans jamais tendre la main aux techniques, aux apprentis, que les infrastructures de transports, les nouveaux foyers de jobs sont toujours à Londres et dans les mégapoles. Pas un mot d'analyse... Dans une Une récente du JDD, l'islam et la laïcité étaient annoncés comme "sondage choc" en disant que le problème était là... C'était considéré par les sondés comme la.... 6ème priorité, des années lumières derrière la santé, la lutte contre le chômage, le relèvement des salaires, la protection de l'environnement et la lutte contre l'insécurité... 

A poser le débat sur des bases boueuses, il ne faut pas s'étonner d'un résultat fangeux.