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24/10/2019

Quelles mesures contre la démesure ?

A HongKong, une place de parking dans un des gratte-ciel les plus prestigieux de la ville s'est vendue 970 000 $, soit une plus value de 330 000 $ en neuf mois pour l'acheteur. Cette place coûtait donc 30 ans de salaire moyen d'un habitant de l'île, et elle avait flambée de l'équivalent de dix ans de salaire en neuf mois seulement. Ceci vaut bien quelques révoltes. De cela, on parle très peu quand on commente les heurts entre Hong Kong et la Chine, de cette insoutenable violence sociale.

Dans "Expulsions" l'immense Saskia Sassen montre comment le capitalisme contemporain capte les places les plus attirantes (soit pour cause de présence de ressources naturelles, soit de job et d'infrastructures à proximité) et repousse (ou expulse, d'où le titre) les plus précaires de plus en plus loin. Sa thèse montre une violence à l'oeuvre plus intéressante que le phénomène de gentrification. Car les gentrifieurs individuels sont des victimes de ceux qui ont acheté les places centrales et les ont déjà expulsés. Ces mêmes expulseurs achètent parfois des lots dans le cercle d'après eux pour faire une culbute comparable à celle du parking hong kongais et la boucle est bouclée.

Les auteurs qui parlent de guerre contre les pauvres ou de guerre anti sociale ont raison. Pas de militaires, mais c'est une guerre. Les tensions liées à cette violence sociale sont visibles chaque jour. La semaine dernière, j'ai vu un homme insulter un malheureux SDF, manifestement alcoolisé, qui lui demandait une pièce. Il lui a littéralement hurlé dessus. J'imagine que ça devait être la vingtième fois de la journée, le nombre de personnes errantes dans le quartier ne cessant d'augmenter ces dernières années. J'ai regardé le crieur qui reprenait sa route l'air renfrogné et j'ai imaginé sa vie. Je me suis dit que c'était quelqu'un arrivé dans le quartier il y a vingt ans, car c'était un quartier populaire et mélangé et que les loyers étaient très bas. Il aurait pu acheter, mais il ne l'a pas fait, il aurait eu moins grand, à quoi bon ? Il y a dix ans, son proprio avait sévèrement relevé les loyers et il avait toussé mais payé. Il s'était alors dit qu'il allait acheter, mais les prix avaient flambé, ça ne pouvait pas durer et hors de question d'avoir plus petit. Dix ans plus tard, la suite lui a prouvé que non, les prix ont atteint 12 000 euros au m2 à l'achat, la chimère de l'achat s'est éloigné et l'homme espère très fortement que le proprio n'apportera pas le coup de grâce, car les encadrements des loyers n'ont pas empêché d'atteindre du 40 euros le m2 à la location... L'homme le sait, tôt ou tard il faudra partir mais ses enfants sont au collège et au lycée, pas le moment de flancher, il faut encore tenir cinq ou six ans, avant de pouvoir desserrer la pression financière. Le spectre de l'expulsion est là. Ça n'est pas une expulsion comme celle qu'a subi celui sur qui il a hurlé, il gardera un toit sur la tête, mais il ne pourra plus habiter son quartier, ses enfants perdront leur bon établissement et il mettra 1h de plus par jour pour aller au travail. Pas la fin du monde, mais tout de même...

Je trouve qu'on a tort de ne pas assez prendre au sérieux la douleur des expulsés. On a beaucoup dit que les mégapoles sont peuplés d'électeurs progressistes, sur le sociétal. Les mêmes études montrent que ces mêmes 'progressistes" ne veulent pas tant que ça de migrants et relever les mécanismes de solidarité. Les élus progressistes disent qu'on plus les moyens pour ça et les électeurs déjà étranglés par l'immobilier ne veulent pas entendre parler de hausses d'impôts....

La seule solution c'est évidemment de prendre des mesures contre la démesure : réquisition des logements et bureaux vides pour casser la spéculation, réhabilitation en logements modérés, fracassage des héritages, extermination d'AirbnB, la palette est large... 

Ce matin, dans cette même ville où le travailleur hurle sur le SDF de peur d'être déclassé, j'ai vu une file d'attente impressionnante, pas celle qui annonce le camion des Restos du Coeur, mais tout de même, une petite centaine de personnes attendaient en ligne très poliment. Une femme de ménage nettoyaient les vitres de la boutique encore fermée. Mais dans quelques minutes, ils pourraient rentrer chez Hermès. Quand on attend dans le matin frisquet ça n'est pour contempler. Tous étaient venus dépenser quelques SMIC pour du cuir et de la soie. On ne peut pas vraiment dire que la guerre soit en train de tourner... 

21/10/2019

Les élus ont-ils le droit de penser en dehors du cadre ?

Ce matin sur France Inter, la députée européenne LFI Manon Aubry a ferraillé avec Nicolas Demorand et Léa Salamé qui lui reprochait de confondre son rôle d'élue avec celui d'une "activiste". Ce, parce qu'elle soutenait ouvertement le mouvement Extinction Rebellion, lequel appelle à la désobéissance civile pour alerter sur le dérèglement climatique. Et la jeune élue (29 ans) de devoir rappeler à ses intervieweurs les fondements les plus élémentaires de la lutte politique, mais ils semblaient rester hermétique...

Dans le monde économique, on n'a pas de panégyrique assez fort, de mots assez puissants, pour ceux qui "think out of the box" tant il semble évident que le génie humain va nous emmener vers quelque chose de meilleur. Et qu'au fond, si on y parvient, il faut le ou la soutenir car c'est juste. Le parallèle vaut évidemment pour la politique, reste "juste" à déterminer si la cause est juste.

Pour y répondre, on peut lire ou relire le père de la désobéissance civile, David Thoreau, qui nous exhortait déjà à ne pas nous laisser intimider par les lois. Ecrites et conçues par des hommes, elles n’ont rien d’éternelles et sont faites pour être remises en causes et questionnées de façons permanentes. Face à des lois injustes, choquantes, ineptes, scandaleuses voire insensées, il faut savoir se poser les bonnes questions. Sans doute celles soulevées par Martin Luther King sont elles les bonnes : « sur certaines prises de positions, la couardise pose la question : est-ce sans danger ? L’opportunisme pose la question « est-ce politique ? », et la vanité les rejoint et pose la question « est-ce populaire ? ». Mais la conscience pose la question « est-ce juste ? ». Et il arrive alors un moment où quelqu’un doit prendre position pour quelque chose qui n’est ni sans danger, ni politique, ni populaire, mais doit le faire parce que sa conscience lui dit que c’est juste ».

On comprend bien King et Thoreau sur le sociétal : on encourage à désobéir, à être activiste contre la peine de mort, à militer pour la dépénalisation de l'homosexualité ou, chez nous, on remercie les médecins qui pratiquent déjà la PMA pour deux femmes et on comprendrait que certain.e.s élu.e.s les soutiennent. Mais pour le reste ? 

La défense de la macronie pour Sylvie Goulard était de dire que son cas était légal, puisque ne posant pas question à la commission des lois. Mais il faut renverser la question : est-ce juste de gagner plus que son indemnité parlementaire pour un job aux motivations obscures n'exigeant que l'organisation de deux réunions par mois ? Evidemment, non. Si ça n'est pas illégal, c'est qu'il faut changer la loi. Est-ce que le système actuel permettant aux entreprises de payer leurs impôts dans le pays à la fiscalité la plus basse (les Pays Bas, le Luxembourg ou l'Irlande, généralement) au mépris de payer là où ils commercent est légal ? Oui. Est-ce juste ? Non, évidemment. Quand le monde est injuste, la désobéissance n'est pas une possibilité, c'est le chemin de la justice. Chère Manon Aubry, on vous a posé de bien injustes et de biens stupides questions, ce matin. Continuez et ne lâchez pas, vous ouvrez la voie. 

 

14/10/2019

Société de vigilance ? Chiche !

Depuis dix jours, jour après jour, déclaration après déclaration, sortie (de route) après sortie d'élus, la France ébahie découvre la liste des signaux faibles de terrorisme dormant auxquels elle doit être attentive. Conversion à l'islam, pour une députée Modem, port du voile pour un député RN, refus de serrer la main à une fille de CP pour un néo nazi... oups, pardon, pour Jean-Michel Blanquer. En à peine huit jours, la célérité de la surenchère a explosé les bornes déjà franchies lors du débat sur l'Identité Nationale. On peut sans doute spoiler la suite des débats : personnes non blanches et non jaunes (eux, c'est nos amis, s'en souvenir) = signal faible de danger... 

C'est tellement grotesque que ça en serait franchement drôle, si ça ne causait pas des tas de victimes collatérales, avec une hausse des discriminations à l'embauche, au logement, corollaire de ce genre de débats... Ca avait été le cas en 2008, ça sera le cas cette année. Quelle merveilleux argument civique : en refusant de louer votre logement à un français aux traits un peu trop maghrébins à votre goût, vous n'êtes plus un gros con raciste, mais un bienveillant et vigilant citoyen engagé dans la lutte contre le terrorisme. 

La semaine dernière, Eric Ciotti a dit que le terrorisme avait tué 267 personnes en France. Je n'ai pas de raison de penser qu'un citoyen scrupuleux comme Ciotti voit le chiffre à la baisse. 267 victimes, donc. C'est beaucoup. C'est trop, évidemment. C'est beaucoup trop. Mais cela vaut-il de fracturer le pays en nous montant les uns contre les autres pour une vigilance pour laquelle nous sommes, au fond, impuissants ? Il y a un certain nombre de pieds nickelés parmi les aspirants terroristes, certes. Le loupé des bonbonnes de gaz devant Notre Dame rappelle une certaine impréparation et une vigilance d'un cafetier. OK. Mais le Bataclan, les terrasses, Saint Denis, Trèbes, Nice, Saint Etienne du Rouvray ? De nombreux messages envoyés par messageries cryptés, sur des groupes fermés, toutes choses qui ne peuvent être détectées que par des professionnels. Nous, pauvres amateurs, ne pourrons sans doute pas grand chose... Les radicalisations forcenées, évidentes, au grand jour, se font dans une certaine communauté, pas au grand jour. Quand c'est le cas, tout l'arsenal législatif, règlementaire existe déjà pour licencier, mettre sous contrôle... faux débat.

267 morts en cinq ans (depuis Charlie Hebdo) pour le terrorisme. 267 féminicides sont perpétrés en deux ans, environ. Sur ce sujet, la vigilance de tous est plus aisée. Rarement les passages à l'acte sont immédiats. Il y a nombre de signaux faibles. Nombre de personnes au courant, dans l'entourage, à la médecine du travail, chez l'employeur, à la police... Ces signaux sont souvent ignorés comme l'avait prouvé l'enregistrement du Président Macron se rendant dans un centre d'écoute où une victime avait été renvoyé sans ménagement par l'écoutant policier qui ne voyait pas de "vrai" danger. Là dessus, on voit bien les encouragements qu'il y aurait à exiger des Pandores qu'ils prennent au sérieux ce sujet pour que les plaintes affluent et qu'elles soient suivies d'effet pour sauver des vies. L'égalité f/h étant censément la grande cause du quinquennat, on en vient à se demander si, quand on nous parle de vigilance, on ne se fout pas un tout petit de nous en désignant des boucs émissaires aisés quand nous pourrions regarder plus près de nous.