16/12/2019
États coupables, villes résistantes ?
Curieuse synchronie ce week-end, où, sur deux fronts très divers, et deux terrains très éloignés (Madrid et Budapest), une unité d'action émergea : la résistances des villes. A Madrid, avec 42h de retard, un texte a minima était rendu par les différents états présents à la COP. A minima est un euphémisme, puisqu'aucune mesure coercitive n'a été prise pour enrayer la montée des températures, aucun texte n'a obtenu l'unanimité pour exiger l'arrêt de la déforestation amazonienne (qui a doublé en 2019...), aucun article ne prévoit d'entrave au libre échange des marchandises. Le principe des COP est celui d'une gigantesque hydre aux 200 têtes, mais sans responsable, qui passe son temps à blâmer son voisin. Dès la clôture de la COP, le C40, qui rassemble les principales mégapoles du monde engagées pour la lutte contre le dérèglement climatique, faisait paraître un communiqué dans lequel elles s'engagent par la preuve à agir sur les modes de transports en commun et autres mobilités douces individuelles, d'énergie ou encore de végétalisation, pour atténuer la catastrophe.
Au même moment, le nouveau maire de Budapest Gergely Karacsony, s'alliait avec ses homologues de Bratislava, Prague et Varsovie pour créer une "union des villes libres". Ceci en réplique à la dernière proposition de loi de Viktor Orban visant à cesser de financer le théâtre qui serait critique au régime. Le même genre de projets de loi liberticides arrivent avec les populistes tchèques et slovaques et avec le terrifiant PIS Polonais qui a saccagé les médias publics avec des purges qui rappellent franchement l'ère soviétique.
Comment ne pas aimer cette fronde ? Comment ne pas adhérer à ce remix de David contre Goliath ? En apparence, les causes sont justes et la méthode est la bonne. Suite à la COP, Jean-Marc Jancovici écrivait que la bataille pour le climat s'apparenterait à une bataille de rue où il faudrait gagner chaque rue, chaque district, et rallier les opposants par petites grappes et non par bloc. L'échelon municipal est donc idoine. De l'autre côté, alors que la démocratie reflue dangereusement, comment ne pas aimer des alliances démocrates se battant pour la liberté d'expression ?
Parce que ces résistances, mêmes sincères, sont en trompe l'oeil par rapport aux problèmes globaux. Les mégapoles sont croissansistes et grandissent bien trop vite pour s'attaquer réellement à ce qu'elles génèrent. Les efforts d'une mégapole comme Paris portent des résultats tangibles (-5% de trafic automobile) mais qui ne compensent pas les effets du surtourisme avec des centaines de milliers de nouveaux arrivants qui convergent vers la capitale et dont les déplacements et la consommation ruinent très largement les quelques avancées. Dans les mégapoles du C40 qui ne bénéficient pas de la densité de transports en commun de Paris, la giga croissance démographique entraîne mécaniquement de la congestion automobile, que des autoroutes végétalisées (vues au Mexique...) et autres "oasis urbaines" ne sauraient compenser en termes de pollution de l'air...
Dans le cas de l'union des villes libres, on est plus proches d'Astérix contre les romains que de David renversant Goliath. Progressistes, acquises aux luttes féministes, antiracistes et LGBT, les mégapoles peuvent coexister à côté de pouvoirs populistes. Aux États-Unis, le quotidien des habitants de New York, de Los Angeles ou de San Francisco n'a pas été altéré par l'arrivée de Trump au pouvoir. Mais le résultat des midterms montre qu'elles ne jouent pas le rôle de phares moraux éclairant le reste du pays. Elles restent sur leur aventin, les territoires périphériques choisissent toujours Trump, rendant l'élection de 2020 toujours très indécise. On comprend le maire de Budapest de détester Orban, mais en s'alliant à d'autres villes qui vont bien économiquement, il n'envoie pas un signal de solidarité avec le reste de la Hongrie, qui peut s'estimer abandonnée à Orban...
Aux dérèglements globaux, l'échelle locale n'est évidemment pas à déserter. Dans le cas du numérique, par exemple, la résistance est plus cohérente. Les villes qui repoussent Amazon (New York a refusé l'implantation d'un méga entrepôt dans le Queens), celles qui interdisent AirbnB (Berlin représente !) celles qui interdisent la reconnaissance faciale (merci San Francisco) ou celles qui interdisent Uber pour cause de problèmes de sécurité (ici Londres !), toutes ces villes envoient un signal d'espoir aux autres : le dumping social et fiscal n'est pas une fatalité. On peut retisser des liens. Il faut s'appuyer là dessus pour définir des zones de résistance. Eu égard aux faibles probabilités de renverser les chefs d'Etat populiste demain, il faut continuer la remontada par la base en urgeant les maires et mairesses de voir l'échelon supérieur sans penser au trône suprême. États coupables, régions résistantes semble une équation bien plus équilibrer pour écrire l'avenir.
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14/12/2019
Morale-bol
Peu importe, au fond, que Delevoye démissionne ou non. Même s'il part, la fameuse morale publique dont le nouveau monde se rengorge tant qu'ils en avaient fait une priorité, n'en ressortira pas grandie. Car ce départ résultera de la pression publique, pas de l'intéressé lui-même ou de son supérieur hiérarchique. Au contraire. L'intéressé a parlé "d'oublis" (à plus de 5 000 euros nets par mois....) ses supérieurs l'ont non seulement soutenu, mais ont de surcroît vanté "l'incroyable rectitude de l'homme".
Il y a de quoi pousser un soupir à même d'effondrer la maison des 3 petits cochons. "Nul n'est censé ignorer la loi", nous dit-on, mais il en est de sacrément complexes parmi les normes. Celle qui dit "un membre du gouvernement ne peut cumuler ses fonctions avec une activité privée rémunérée" en revanche est simple et limpide. Pas d'ambiguïté, pas de lecture interprétative façon Torah. Ce d'autant plus quand on est membre d'un gouvernement.
Depuis deux ans, Delevoye occupe donc des fonctions le mettant dans les 4% des français les mieux rémunérés, pour une activité qui n'apparaît jamais dans son emploi du temps plein comme un oeuf de Haut Commissaire aux retraites. C'est l'argent de l'influence, d'une vie à se tisser un carnet d'adresses, c'est l'argent de l'arrangement. Que de tels postes existent, c'est inéluctable. Tous les ancien(ne)s responsables public(que)s sont approché(e)s pour monnayer leur connaissance des arcanes et de quelques collègues. Mais ils et elles ne sont pas plus aux manettes, c'est une différence de taille. Et la séparation doit être avec des barbelés électriques.
Le fait que nous plaisantions depuis quelques jours de Delevoye sans qu'il soit parti ou qu'on lui est indiqué la sortie est assez déprimant dans ce que cela dit de notre rapport à la morale publique.
Macron pourrait pourtant se rappeler que sans faute morale adverse, il ne serait jamais devenu président. Sans l'emploi fictif de Pénélope Fillon, nous serions tous en fillonie. Il s'en est rappelé, deux mois, quand il s'est agi d'exfiltrer les ministres MODEM du gouvernement. Et puis exit la morale.
Richard Ferrand qui cumule suffisamment de casseroles pour être actionnaire majoritaire chez Tefal, est toujours président de l'Assemblée Nationale. Ajoutant l'injure à la blessure, il se permet même d'ouvrir une enquête contre Eric Alt d'Anticor... Le monde à l'envers. Tous nos meilleurs juristes s'en sont émus dans une tribune hier, mais qui n'a pas ému l'exécutif.
Sans une défense calamiteuse, Rugy serait resté au ministère, ses collègues le protégeaient au départ...
Le plus navrant, le plus déprimant sur notre pauvreté morale, tient dans le profil de ceux que nous avons proposé comme Commissaire Européen. Sylvie Goulard, parce qu'elle parle plusieurs langues et connaît les arcanes des financements continentaux, était jugée la meilleure candidate. Ceci, alors même qu'on connaissait son rôle dans l'affaire des assistants parlementaires, mais surtout son emploi façon Delevoye payé 12 000 euros par mois pour défendre de sulfureux intérêts américains... Comment, en connaissance de cause, peut-on l'envoyer ? Évidemment, elle fut évincée. Et pour la remplacer, on proposa pire, Thierry Breton. Secoué par nombre de députés et passé mention passable, à la consternation des organismes comme Transparency International. Président de la Fondation LVMH, patron d'Atos, naguère privatiseur en chef des autoroutes, et une ribambelle de mandats pour des officines vantant la dérégulation, cet homme est aussi neutre vis à vis des intérêts privés que Poutine est démocrate.
La pureté n'existe pas. En politique pas plus qu'ailleurs, mais pas moins. Le nombre de personnes poursuivies n'a rien d'affolant, en %. Sauf au RN, ou près de 15% des élus ont eu maille à partir avec la justice depuis les années 2000. Mais justement, précisément parce que la faillite morale se perpétue dans le nouveau monde, l'argument de l'honnêteté ne fonctionnera pas contre le Pen en 2022.
Je sais bien qu'il ne faut pas désespérer Billancourt, mais sur ce sujet, j'admets ne pas savoir comment faire naître de faux espoirs...
18:49 | Lien permanent | Commentaires (29)
12/12/2019
Extension du domaine référendaire, réduction du politique
"75% à 80% des électeurs britanniques voteront aujourd'hui en fonction du Brexit". Adieu santé, éducation, transports. Adieu partage, solidarité, échanges. Adieu, surtout, projet de société. Ce "pour ou contre" est une façon de mettre la poussière sous le tapis et d'oublier toute forme de complexité. Dans le camp du Brexit, on a évidemment les rageux, les haineux, ceux qui ne supportent pas les immigrés qui leur volent travail et femmes, pains et lits, qui ruinent leurs valeurs. Bien sûr. Mais il y aussi ceux qui veulent le retour du NHS d'antan, une des premières revendications. Ceux qui veulent la fin de frais de scolarité étudiante exorbitants, qui ont explosé sous Cameron plus que n'importe quelle bulle d'IA. Ceux qui veulent renationaliser les chemins de fer pour avoir des transports fiables, peu onéreux, qui les mènent au travail sans bouchon et frais d'essence trop lourds. De tout cela, il ne sera pas question, aujourd'hui.
La vision référendaire c'est la lèpre du débat politique, et elle s'étend. En Israël, tous les grands écrivains ont hurlé depuis des décennies qu'on ne pouvait plus faire de politique chez eux, plus avoir des discussions sur le modèle de société que l'on veut. Grossman, Oz, Shalev et Kimhi écrivaient que la vie politique israëlienne était prisonnière du débat sur la guerre et l'extension coloniale. A cause de ce nauséabond sujet, le pays s'est enfoncé sans cesse plus à l'extrême-droite, au point que cette crapule de Netanyahou est un point, peut-être pas d'équilibre, mais à tout le moins de discussion, avec des nervis plus à droite encore....
La logique du TINA pousse les libéraux classiques ou leurs faux nez progressistes à proposer la même chose : nous ou le chaos. Un référendum en creux. Ça finit toujours mal, les Démocrates Américains étaient persuadés qu'entre de bons gestionnaires d'Ivy League et un clown de télé réalité, jamais le peuple ne les bouteraient hors du royaume. Raté. Comme le dit Patrick Savidan, il y a une "démocratisation du sentiment oligarchique" : puisque tout est perdu, je veux être un gagnant et tant pis pour les perdants que j'écraserai avec mon SUV... Ça vaut pour Orban (marre des losers communistes) pour Trump (marre des pleureuses pro LGBT et féministes) pour Salvini (des droits-de-l'hommiste qui veulent aller à Lampedusa) ... Ça sera vrai chez nous.
Il y a quelques mois, deux tiers des français étaient favorables au principe d'un système universel de retraites. Deux tiers. Moins d'un tiers aujourd'hui. Ceci précisément au nom de cette rhétorique pleine de morgue. Le "nous sommes trop intelligents" décliné aujourd'hui en "nous allons continuer la pédagogie de la réforme". La semaine dernière au premier jour de grève, sur France Culture donc avec le temps de s'expliquer, Laurent Berger, modéré parmi les modérés, expliquaient pourquoi il soutenait le principe de la réforme. Hier, le même s'est mué en taurillon devant une muleta. Ceci au nom d'une insupportable absence de volonté de débat et de passage en force sur l'âge pivot...
Il existe du "débat washing". La grande kermesse de début d'année en est une illustration. La première revendication des français, des années lumières devant le reste, c'était revaloriser les soignants et doter le service public de santé d'équipements, de moyens humains dignes. Exit du débat et 10 mois après une grève sans précédent, Buzyn donne des queues de cerise. Soit ils ont la même audition que Beethoven, soit ils ne veulent pas discuter. Mon intime conviction penche pour la seconde réponse. Ma même intime conviction me dit que Boris Johnson ne perdra pas ce soir. Parce qu'en cas de référendum, l'envie de dire merde est toujours majoritaire. Marine le Pen ne dit rien, elle compte les points et attend gourmande, tel le Renard que le Corbeau de l'Elysée laisse choir son fromage.
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