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24/09/2019

Qui pourra encore ne pas être sérieux, à 17 ans ?

On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans.
Un beau soir, foin des bocks et de la limonade,
Des cafés tapageurs aux lustres éclatants !
On va sous les tilleuls verts de la promenade... 

Je ne vois pas aujourd'hui beaucoup de jeunes de 17 ans qui se permettent l'insouciance de Rimbaud. Or, l'insouciance de la jeunesse est la plus grande et la plus belle des conquêtes. Dans nombre de pays du monde, les jeunes filles de 17 ans ont depuis longtemps perdu leur insouciance et leur virginité contre leur volonté ; nombre d'enfants travaillent de façon plus ou moins forcés (par un employeur peu scrupuleux ou par nécessité de survie). Nous mêmes, en France, n'avons pas eu des siècles de jeunesses insouciantes, entre les famines et les guerres, ça n'était pas la joie avant les fameuses 30 glorieuses. Rimbaud lui même a eu 17 ans en 1871, quand on sortait exsangue d'une guerre avec l'Allemagne, que Paris crevait la dalle et que les campagnes priaient en regardant le ciel... Malgré cela, il écrit son poème parce que c'est le droit imprescriptible de la jeunesse d'être insouciant à la marche du monde, de se concentrer sur leurs sens en émoi, de faire la fête et de profiter avant que les obligations du monde des adultes ne la rattrape.

Avec la fin des 30 glorieuses, l'angoisse des jeunes, c'est l'éducation. "Passe ton bac d'abord' tournait Pialat qui serait remplacé aujourd'hui par "chope ton premier choix de Parcoursup d'abord", tant on sait que les chances de réussite dans le supérieur se jouent tôt et influent tard sur nos vies... C'est déjà lourd à savoir, le poids exacerbé du berceau face au destin. Ca a de quoi décourager l'insouciance. En mai 68, quand les jeunes foutaient le bordel contre les vieilles barbes sans penser à demain, parce qu'alors on peut démissionner le vendredi soir et retrouver le lundi matin. On voit bien dans les manifestants contre la loi travail et de Nuit Debout que cette légèreté avait disparu. Et donc, en surplomb, en ombre chinoise (sans connotation géopolitique aucune) vient se juxtaposer l'angoisse d'un irréversible dérèglement climatique. Il y a de quoi devenir fou de douleur et de désespoir.

Hier à l'ONU, Greta Thunberg, 16 ans, a tenu un discours fou de douleur et de désespoir. Je ne vois vraiment pas ce que l'on peut y trouver à redire. A droite, tous ceux qui n'ont jamais écouté les scientifiques du GIEC raillent une petite fille qui ne fait pourtant que répéter ce que disent les experts du GIEC... A gauche aussi, certaines voix se font entendre en disant qu'elle serait "l'idiote utile du capitalisme" car elle n'avait pas d'avis sur le CETA ou qu'elle ne pousse pas un programme écologique complet. Mais ça n'est pas son rôle ! Elle a 16 ans. Elle réclame un légitime droit à l'insouciance que les générations passées lui ont confisqué.

Soyons clairs, il y a sans doute de l'emballement médiatique, il y a nécessairement certaines parties prenantes que cela arrange de mettre en avant les luttes de cette jeune fille, mais elle n'est pas "manipulée" (son discours hier était beaucoup trop tripal pour être dicté) et il n'y a pas de "Greta mania", personne n'a de pancarte "Greta présidente". Elle se fait juste le porte-voix de la première génération a qui ont a volé le droit à l'insouciance. La première d'une longue liste, si rien ne bouge. J'ai une fille bien plus jeune que Greta et je vois bien qu'à 17 ans elle ne pensera pas aux bocks de bière. Elle espèrera juste qu'il restera encore des tilleuls à la surface du globe... 

11/09/2019

Débat sur le partage des richesses : rajouter les chiffres aux lettres...

Dans le film "Les nouveaux chiens de garde", Frédéric Lordon s'amuse de la pauvreté linguistique et idéologique des économistes libéraux qui défendent en boucle les mêmes deux idées, quand la pensée critique propose des milliers d'alternatives. Un montage un peu taquin montre la vacuité d'économistes, d'experts et autres patrons répétant en boucle : "pour la compétitivité, il faut encourager le risque et ceux qui créent des richesses et ça, ce sont les entrepreneurs et les grandes entreprises ".

Là où ça devient intéressant, c'est que jamais leur discours ne varie d'un traître mot quand la réalité, elle, a changé de façon considérable en 30 ans.... Or, le montage nous montre que le globi boulga qui sert d'argumentaire aux libéraux n'a pas varié d'un iota depuis les années 1980, époque où, enfin, ils réussissaient à faire sauter le verrou de la protection pour entamer des baisses d'impôts massives.

Les experts continuent de hurler à la mort contre toute forme de taxation avec les mêmes mots qu'ils employaient quand ladite imposition était équivalente à plus du double....  Le problème étant que ces sommes colossales qui sont allées dans les poches des plus riches sont parties du bien commun. Et des classes de REP aux urgences hospitalières, de la voirie à la rénovation énergétique des bâtiments, de la construction de HLM à l'investissement dans les énergies renouvelables ou l'aide à une révolution agricole, ça ne sont pas les besoins financiers qui manquent...

Prenons un exemple de l'interview matinale d'Inter où il fut question de taxation des riches. A la fin de l'interview, Stéphane Richard nous apprend qu'il s'est acquitté en 2018 de 700 000 euros d'impôts, soit 41%. On voit donc qu'il a gardé 1 millions d'euros pour lui (au minimum, il a sans doute des primes et bonus qui ne passent pas par la même grille d'impôts), donc vous n'êtes pas obligés de lui tendre un kleenex. Ensuite, Richard appartient à un groupe anciennement public donc très encadré, expliquant qu'il fait partie comme Pépy des quelques dirigeants qui payent rubis sur l'ongle sans avoir une partie de sa rémunération imposée en Belgique ou au Luxembourg. Richard représente donc la taxation des hauts revenus comme Noël le Graët représente la lutte contre l'homophobie...

Rajouter les chiffres aux lettres est l'urgence absolue dans le débat sur la richesse. On agite le "97%" de taxe sur les successions de Piketty en hurlant qu'il est la réincarnation de Trotsky et je ne sais quelle fadaise... D'abord, des taxations supérieurs à 90% existaient aux États-Unis jusqu'à l'orée des années 80 et même à cette époque, ce pays ressemblait peu à un Kibboutz. Ensuite, l'explosion des fortunes crées depuis les années 80 interpellent et doivent être mises au débat : en 2018, la fortune de Bernard Arnault a gonflé de 30 milliards d'euros. Pensez-vous qu'il ait réussi ce tour de force en étant taxé à 97% ? Pensez-vous qu'il ait même dû s'acquitter à l'instar de Stéphane Richard, de 41% de sa fortune, donnant ainsi quelques 12 milliards au fisc français. Et beh non. Et c'est ballot car on cherche 750 millions pour l'ensemble des services d'urgences hospitaliers de France et on ne les trouve pas sans les enlever à d'autres pans du système de santé... Avec 12 milliards, donc une taxation plutôt douce du plus riche homme de France seule, on peut changer radicalement la donne pour 66 millions de français. 12 milliards, c'est par exemple, le quasi budget (13, en réalité) de l'ensemble de l'enseignement supérieur français... Une diminution de la fortune de Bernard Arnault qui ne changerait rien à son train de vie (il garderait yachts, jets, châteaux pour dormir et Château Pétrus à boire) pour changer fondamentalement la vie de 1,7 millions d'étudiants, ça vaut le coup, non ? 

Des exemples comme celui-ci, il y en a à l'envi, surtout dans le pays du monde où les milliardaires voient leur fortune augmenter le plus rapidement... Les experts vous diront qu'on ne peut pas mettre sur le même plan une fortune gonflée à coups d'actions en bourse et du salaire et que vous faites de l'idéologie. C'est inepte, des richesses à partager sont des richesses à partager. Le start upper qui s'est payé au smic pendant 2 ans puis empoche 10 millions a peut être "pris un risque", mais taxer ses 10 millions à 80% par exemple lui laisserait 2 millions, ne pas se laisser émouvoir... 

Le débat sur le partage des richesses peut toujours s'entendre sur les lettres : oui, on a besoin d'entrepreneurs. Oui, on a besoin de créateurs de richesses... Oui, mille fois. Montrer que la création de richesses est le fait de l'ensemble des femmes et hommes qui participent à la vie de l'entreprise, qui créent, qui travaillent au quotidien, est une tâche longue et fastidieuse quand nos imaginaires ont été littéralement colonisés par la rhétorique libérale de l'individu sauveur. Notre croyance que de "bons" individus vont changer le monde est bien le souci : aux entrepreneurs kleptocrates, nous voudrions proposer des gentils entrepreneurs sociaux et éthiques. C'est une part, minime, de la solution, mais ça ne suffira jamais tant qu'on ne change pas le système qui favorise les kleptocrates... Le débat peut perdurer encore longtemps sur les lettres, mais il ne résiste pas aux chiffres. Camarades intervieweurs et intervieweuses, révisez vos grimoires. 

07/09/2019

L'existence précède la quête de sens

Il y a 10 ans, j'entendais un repenti de la finance sale (marchés avec trading haute fréquence) expliquer qu'il lançait un outil de finance "solidaire et collaborative" pour "redonner du sens à sa vie et être fier d'expliquer son job à ses enfants". Je levais un sourcil perplexe. Quelques instants plus tard, il disait à l'intervieweuse "c'est dur, bien sûr, car j'ai divisé mon salaire et maintenant je me contente de 4 000 euros par mois, mais je me sens plus aligné". Je poussais un très long soupir et me disait qu'ainsi averti, le prochain qui me parlerait de "quête de sens", je lui expliquerai qu'il y a des églises pour ça.

Hélas, hélas, hélas, l'explosion du nombre de personnes en quête de sens est exponentielle à tel point qu'on a l'impression que les dernières à ne pas chercher un sens à leur vie sont cachés dans des caves. On ne compte plus les dirigeants d'entreprises où les entrepreneurs qui nous expliquent, la main sur le coeur, qu'ils veulent tout changer, casser portes et fenêtres, pour tout reconstruire avec du sens... Et une croissance à deux chiffres. Politiquement aussi, rassurez-vous bonne gens, ils sont connectés, ils entendent, ils ont compris le "besoin de sens". Dans une hilarante (involontairement) tribune dans le Monde hier, Bernard Cazeneuve écrivait d'ailleurs "la transition écologique sera sociale et républicaine - ou ne sera pas", pastichant Malraux pour essayer de se donner une contenance.

A ces PDG, à ces repentis, on voudrait dire : on vous voit, les amis. On a vos archives, on sait qu'à part la façade repeinte couleur sens, rien n'a changé : votre but reste de croître indéfiniment, de racheter votre voisin et de tout dominer. Le sens est un business comme les autres, Christophe André demande 8 000 euros par conférence, le yoga en entreprise cartonne et les retraites spirituelles sans wifi sont plus bondées que les trains indiens. Mais le business du sens ne change pas les existences si un chemin intérieur vers les contraintes, les renoncements et les limites n'est fait. 

Des applis comme Petit Bambou ont des millions d'adeptes, voyez-vous vraiment plus de zen et d'altruisme dans les foules sur les routes, dans les halls de gare ou dans les files d'attentes diverses ? Non. Le purpose washing n'est pas tellement plus dur à démasquer que le social ou le green washing. L'existence précède la quête de sens. Ceux qui ont vraiment appris à changer de modèle, à ne plus vouloir dominer, pressuriser, écraser le font sans le déclarer. Le déclaratif n'a jamais révolutionné quoi que ça soit, la prochaine fois que quelqu'un vous demande d'échanger sur sa quête de sens, indiquez lui l'église la plus proche, ça reste les meilleurs spécialistes pour cette farce.