13/06/2018
C'est tragique, le tragique nous relie.
J'ai connu des journées plus fastes professionnellement qu'hier, enfermé à parler afacturation (j'ai appris le mot aussi...) cyber risques et transmission d'entreprises. Ca n'était pas non plus pénible, pas la mine, m'enfin si on me demandait de dessiner l'extase, aujourd'hui n'aurait pas été une source d'inspiration forte.
Et puis vers 17h, mon portable s'est emballé. Des appels et messages pour savoir si j'étais bien, si je n'étais pas embarqué dans cette prise d'otage qui avait ceci de différent avec celle des cheminots que des vies étaient réellement en jeu. Ladite prise d'otage avait lieu à 100 mètres de chez moi. Alors des proches se sont inquiétés. Alors même que le seul risque que j'encourrai tenait à l'ennui et le risque de manquer d'enthousiasme face à une explication des facteurs de possible regain de croissance. Il n'y avait, objectivement, aucune raison de s'en faire, mais face au tragique, nous nous emballons. Statistiquement, j'avais probablement plus de chances de me faire écraser par un chauffard sur le retour que de risquer un drame perpétré par un forcené. Un drame de l'info en continu, des technos instantanés c'est qu'elle nous empêche de rationaliser pour être victime de nos émotions primaires. Je trouve toujours cela déplorable. Ce soir, je tempérerai cette déploration par le fait que, j'avoue, ça fait du bien de voir que le tragique nous relie et que face au pire, certains pensent à vous.
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04/06/2018
Ecologie et libéralisme : la fin de la pensée magique ?
La réception de la loi EGA sur l'agriculture et l'alimentation a de quoi laisser pantois. Il fallait, sans rire, entendre des éditorialistes et autres experts massés sur les plateaux avant le vote de la loi pour parler du cas Hulot et dire des choses comme "pendant la campagne, Macron a été très clair sur l'économie, mais on ne sait pas vraiment ce en quoi il croit sur l'écologie". A force, on va tous finir en Vénus de Milo, mais c'est vrai que les bras vous en tombent devant tant de naïveté... Comment tous ces brillants cerveaux peuvent ils croire qu'on peut à la fois essayer d'obtenir les prix les moins chers possibles avec une surproduction forcenée, ne vouloir aucune entrave règlementaire, sanitaire, et en même temps (...) mener une politique écologique ? Si ça n'était si dramatique, on rigolerait de la naïveté de ces commentateurs, mais c'est dramatique.
Macron croit au libre échange, point barre. Au nom de cette doctrine écocidaire, il arrive à arranger sa conscience avec l'installation près de Marseille d'une usine qui produira annuellement 300 000 tonnes d'huile de palme pour le compte de Total. Mieux, il a réussi à faire dire à Nicolas Hulot "dans l'intitulé de mon portefeuille ministériel, il y a "solidaire" et je n'oublie pas les emplois à la clé". T'as raison, au nom de la même logique, on n'a qu'à autoriser le gaz de schiste, et pourquoi pas demander à quelques centaines de personnes d'enfouir les déchets nucléaires dans la Creuse... Désespérant. Ca n'est qu'au nom de cette absence d'entrave qu'on arrive à prendre des lois barbares. Quand on interroge les députés sur le fait qu'on pourra continuer à broyer des poussins ou éviscérer des porcs, il ne faut pas se tromper de combat : quand il vote pour, ça n'est pas par goût pour la souffrance animale, juste par l'agro business leur demande de continuer ces pratiques qui permettent d'aller plus vite pour décimer et produire... Il n'y a pas d'autre logique, pas d'éthique cachée.
De même pour le glyphosate, ça n'est pas goût pour l'empoisonnement des masses, mais juste parce que cet herbicide dégueulasse va plus vite pour de grandes surfaces. Tous les agriculteurs qui y ont recours disaient d'ailleurs "si on veut l'interdire, faut nous aider parce que sans ça on ne s'en sortira pas sur nos terres". Et ainsi de suite, ad nauseam. Là, les députés LREM vont défoncer la loi littoral, un texte fondateur sur la protection que ni Chirac ni Sarkozy n'ont osé remettre en cause, mais que ces idéologues du marchés vont défoncer pour permettre aux géants du BTP de bétonner les rivages corses, bretons, basques et ainsi de suite... Qu'on ne s'étonne pas s'il y a des chantiers plastiqués, ça s'appelle la violence légitime et les origines de ladite violence sont à chercher au Palais Bourbon.
La semaine dernière, le héros de Macron, Justin je fais du surf du yoga et de la boxe Trudeau, est allé plus loin qu'aucun autre en rachetant 4,5 milliards à Kinder Morgan l'exploitation d'un gisement de pétrole dégueulasse... Il a nationalisé l'écocide sous les yeux médusés des conservateurs classiques (Stephen Harper est enfoncé) sans parler des écologistes qui n'ont plus qu'à pleurer... Chez Trudeau, comme chez Macron, la réponse à leurs actes coupables pour la planète est toujours la même "on ne peut pas tout changer du jour au lendemain". Un sophisme inacceptable. Si on ne peut pas sortir du nucléaire demain quand 80% de notre production énergétique, on peut arrêter de construire des centrales (Macron en promet une toute dernière avant la fin du quinquennat), ne pas renouveler leur concession, accélérer leur fermeture avec le seul en même temps qui vaille : mettre le paquet sur les renouvelables. C'est intolérable de voir tant de pays montrer que la volontarisme suffit : au Chili, au Portugal, la révolution énergétique s'est accomplie à un niveau national en moins de 5 ans et nous sommes immobiles pour préserver quelques intérêts privés. Idem pour l'agriculture, on ne sera pas autosuffisant demain, mais on peut d'une décision cesser de faire l'apologie de la malbouffe au lieu de se coucher devant les annonceurs qui ont obtenu sans problème l'interdiction du Nutriscore à la TV (le fait d'afficher la dangerosité des aliments dans les pubs). Si la génération à venir pouvait nous intenter un procès en irresponsabilité générale et requerrait des peines lourdes, elle aurait tout à fait raison. Y a des baffes et des révolutions agraires qui se perdent...
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27/05/2018
Marée des villes, marées des champs...
Le tsunami n'a pas eu lieu. Ni même une vague forte. Je ne débats pas des chiffres du cabinet Occurence, nouvel oracle pour tous les médias (une vingtaine) qui ont opportunément décidés d'en faire leur partenaire privilégié pour le comptage des manifestants. Ils sont systématiquement en dessous de ce que donne la préfecture de police et les commentateurs s'appuyant là dessus, forcément, ça pose une base d'analyse peu favorable aux manifestants. A l'aune de trente ans de manifs, je me gausse du chiffrage parisien par Occurence, hier. Ne soyons pas mauvais joueurs pour autant, les 250 000 revendiqués par la CGT n'y étaient pas. Vraiment pas.
En rentrant de la manif, je traversais la France par Facebook interposé et je découvrais, toutes proportions gardées, une marée forte à Limoges. Dans le Tarn, le Lot et nombre de départements où la crainte de disparition de petites lignes SNCF se fait sentir, la mobilisation était forte. 1 200 personnes à Lyon, 2ème ville de France, en revanche... A Bordeaux, la seule marée était celle de l'Atlantique. Et c'est ce moment où tu te rappelles que la sociologie électorale fait de la résistance. Il y a un an, Macron était élu par un ras de marée urbain et rencontrait une opposition très forte à mesure que la densité au km2 se fait moins forte. Un sondeur (je les confonds...) a même exhumé un graphique montrant que Macron affiche des scores très forts auprès des électeurs vivant là où il y a une gare SNCF, un peu moins forts quand ils vivent à plus de 5 km de la gare et est minoritaire dans la France des champs, à plus de 20 km de la première gare... C'était il y a un an seulement et il n'y a que chez Joe Dassin que cela fait une éternité. Il n'y aura pas d'été indien de la marée populaire et de la contestation. Il y aura un été comme les précédents avec la moitié de la France qui goûte les congés payés pour visiter le pays ou le vaste monde et la moitié qui ne peut se payer des vacances. Le chiffre de non partants est en légère augmentation chaque année, notamment à cause de la fin des mécanismes solidaires de congés. Les colonies de vacances subventionnées par des syndicats et des grandes entreprises ont de moins en moins de moyens, idem pour les fédérations d'éducations populaires. Ca craquelle, ça s'effrite, ça ne tombe pas d'un coup.
Hier, j'ai dîné avec une dizaine de personnes qui ne comptent pas parmi les thuriféraires du régime. Un avocat du droit du travail qui voit son activité mise en lambeau par les ordonnances travail de l'an passé, un prof d'histoire qui voit tous ses élèves (littéralement tous) de terminale en détresse face à Parcoursup qui ne leur propose rien... Tous avaient des raisons d'aller manifester, ils m'ont tous questionné sur l'ambiance à la manif, d'ailleurs. Mais ils avaient aussi, apparement, de meilleures raisons de ne pas y aller. Ils soupirent, ils pestent, ils critiquent, mais ne s'opposent pas. Et je les comprends. Car ça manquait d'allant, hier, ça manquait d'un but commun. Des sweats boycott Israël dont on se demandait bien ce qu'ils foutaient là. Des nostalgiques de la Zad de Notre Dame des Landes ; le collectif Adama en tête de cortège pour dire que les quartiers populaires ne remercient pas l'enterrement de seconde classe du Plan Boorlo ; chacun y allait de sa petite boutique, de sa petite revendication particulière. Les éhontés de la CSG chassaient les parents peinés par Parcoursup (les rejetons pourtant concernés étaient peu nombreux...) qui eux mêmes couraient après les cheminots. Le problème de la convergence des luttes, c'est le chemin : vers ou veut-on converger ?
L'autre problème c'est qu'à force de répéter en boucle que la contestation "monte en puissance", que "la marmite bout et que le peuple est à bout", certains se sont convaincus de leur prophétie révolutionnaire auto-réalisatrice. Le slogan le plus partagé était une chimère : "Stop Macron". Qui peut croire sincèrement qu'une manif impressionnera un type hermétique à cette culture populaire ? S'il y avait eu 5 millions de personnes, peut être, mais quelques centaines de milliers, oublions. Et c'est bien le drame. Car les réformes (SNCF, ORE...) sont passées à l'Assemblée et la grève générale n'a pas eu lieu. Quand le gros des syndicats va plier les gaules, fatalement, que vont devenir ces radicalisés de la colère sociale ? Ils hurleront dans le vide car plus aucun journal ne voudra couvrir l'événement, préférant des sujets comme : "les communautés marocaines, tunisiennes et sénégalaises de France s'enflamment pour leurs champions" à l'occasion du lancement de la coupe du monde de juin. Cette marée là est sûr de prendre. Des millions de français devant leurs télés, dans les bars, devant les écrans géants. Achetant maillots, goodies et bières en promo. C'est écrit.
Hier deux sémillants septuagénaires distribuaient des tracts d'Attac disant "nous sommes 67 millions de la fraude fiscale". C'est tellement vrai. L'argent qui prospère là bas et manque au pays suffirait à faire tourner normalement les hôpitaux en surchauffe et les classes surpeuplées, d'ouvrir les amphis qui nous manquent et de donner à la justice les moyens d'être rendue dignement. Notre projet commun, le partage et la justice était là, évident. La lune. Et tous les idiots foncèrent vers ce doigt qui disait "Stop Macron". Soupir.
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