05/12/2016
Presse & Mécénat, Tartuffe roi
Ce matin, au journal de France Inter, un reportage parle d'un tuteur d'entreprise, Yassine. Il intervient pour l'association Passeport Avenir et est issu "d'une grosse entreprise des télécoms". Ca m'a exaspéré. Car je connais Passeport Avenir, dont j'ai écrit le livre retraçant leurs 10 années d'engagement et je connais Yassine, accompagné par Passeport quand l'association naissait et qui depuis plusieurs années rend la pareille au sein de SFR, car c'est d'eux qu'il s'agit.
Comme d'habitude, lorsqu'il s'agit de mécénat, les journalistes se drapent dans leur dignité et leur éthique et s'interdisent de nommer l'entreprise bienfaitrice pour montrer leur intégrité. La tartufferie de ce matin n'a rien de nouveau : il y a 10 ans, lorsque la Galerie des Glaces avait été entièrement refaite, le Château de Versailles, non aidé par l'Etat s'était tourné vers les entreprises. Vinci était venu au secours de l'édifice en offrant ses salariés et en réparant pro bono la Galerie. Montant de la douloureuse : 6 millions d'euros. Pas un mot dans la presse... Pire, TF1, propriété de Bouygues avait poussé le fiel jusqu'à dire "une belle opération réalisée grâce à un groupe de BTP dont le nom rappelle un peintre de la Renaissance". Pathétique gaminerie. J'en aurais tant d'autres, des exemples : comme la Française des Jeux qui mène une très belle opération de réinsertion des détenus par la pratique sportive, "la Ch'ti Ventoux" ; lorsque des reportages télévisés accompagnèrent cela, les journalistes ont flouté le dossard pour qu'on ne voit rien....
Entendons-nous bien, c'est fort honorable d'être vertueux, de ne pas appuyer les messages des entreprises, mais alors il faut le faire jusqu'au bout et refuser leurs écrans publicitaires et surtout les actionnaires privés. N'est pas le Canard Enchaîné ou le Monde Diplomatique qui veut. Lequel Monde Diplo offre, ce mois-ci une remarquable cartographie du pouvoir médiatique en France qui montre que plus de 95% des écrans/colonnes et ondes françaises appartiennent à une poignée de nababs. Lesquels se livrent à des coupes et rafistolages en rafale : regardez la façon dont le Monde couvre l'actualité de Free (appartenant à Niel) la couverture de SFR dans Libé ou le déraillement d'un train causant des centaines de morts au Cameroun dans tous les titres appartenant, comme les chemins de fer camerounais, à M. Bolloré... Voilà où sont les enjeux, le malaise démocratique : les reportages décommandés sur le Crédit Mutuel, la complaisance par rapport à LVMH, principal annonceur français. Etc etc...
Ce matin, c'était Inter, accordons leur de ne pas avoir d'actionnaires et très très peu de pub. Mais tous les autres exemples passés montrent la répugnance hypocrite des médias à parler des actions de mécénat privé. Bien sûr, ça n'est pas de la pure philanthropie, oui, nous avons la législation fiscale la plus généreuse au monde (à part les US) et bien sûr les boîtes n'attendent pas un retour d'image énorme. Mais entre se prosterner devant une entreprise civique et juste mentionner son nom, il y a un monde. Parce que en attendant que tout le cadre change, que la révolution sociale advienne et que la France puisse se permettre de zapper le 5 décembre, journée mondiale de l'égalité des chances parce que la promesse de 1789 sera enfin advenue et que tous les français naîtront et surtout demeureront libres et égaux en droits, en chances, en opportunités, on a besoin de toutes les bonnes volontés. Y compris quand elles viennent d'une boîte comme SFR avec un patron voyou. Bien sur, Drahi est une crapule, bien sûr le mécénat de l'entreprise c'est peu comparé à ce qu'il détourne en impôts et la casse sociale qu'il produit. Mais ça n'est pas pour autant que ça n'existe pas, Yassine fait vraiment un beau boulot et pour que sa boîte continue à le faire, on peut parfois, juste, donner leur nom. C'est moins avilissant que les éditos de Joffrin dans Libé sur l'évolution de la conjoncture économique qui oblige à un social-libéralisme de bon aloi...
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02/12/2016
Demandez le programme... Vraiment
Ainsi un président de la République, poussé par son bilan, à l'honnêteté et la décence de ne pas se représenter. Il n'est pas dit que cela doive devenir une norme, au contraire, mais par ce geste il rehausse la fonction présidentielle et la fonction politique en prouvant que l'acharnement n'est pas une obligation et le cynisme aveuglé, une nécessité de la profession. Comme il l'a bien précisé dans son discours "ça n'est pas une personne qui est en cause" et comme il serait bon que cette sentence fut entendue par tous les commentateurs actuels.
Or, déjà ce matin les écuries se débrident et foncent tout berzingue pour réclamer l'intronisation légitime à gauche. Aucun problème, tout le monde a le droit de s'exprimer. Mais on peut, on doit, le faire avec raison. Tous ceux qui disent qu'Hollande a eu raison de partir faute de bilan valable pour se représenter, comment peuvent-ils sans rire défendre Valls ou Macron ? Valls, c'est Hollande moins les regrets sur la déchéance de la nationalité, plus la volonté d'interdire le burkini et la CGT. Macron, c'est Hollande qui n'aurait jamais mis la taxe à 75%, la limitation de salaire des patrons de grandes entreprises publiques, plus la mort de tout dialogue social national pour le transférer aux boîtes directement. Je ne dis pas que c'est honteux, je dis que voilà leurs programmes...
En somme des coups de menton, des coups de botox, des coups de com", mais une impasse programmatique annonée que tout le monde feint de ne pas voir par amour de ce grand tiercé qu'est le commentaire électoral. Il existe des alternatives à gauche, pourtant. Un certain nombre de sortants sur lesquels je ne m'apesantirai pas et Mélenchon. Nombre de mes amis hurlent à la seule prononciation de son nom. Quelque chose d'épidermique ou de pavlovien, un mélange de peur et de frisson qui n'est pas sans rappeler les plus belles heures de l'homosexualité refoulée des artistos. Une telle réaction, une telle violence ne peut être rationnelle et donc programmatique. Quand je creuse, d'ailleurs, aucun des contempteurs du leader de la France Insoumise n'a lu son programme. Ils éructent parce qu'il éructe. Parce qu'il insulte des journalistes ignares qui posent des questions crassement fielleuse. Quand vous avez face à vous Elkabbach qui vous explique qu'au delà de Hollande sur sa gauche on vire à l'anarchie et c'est la fin du monde, il faut bien rectifier le tir. Quand vous vous opposez à Salamé qui vous dit que la sociale importe moins que l'identitaire, il faut bien la recadrer, la pauvresse. Alors oui, il tonne, oui, il hurle, mais ce sont les violences sociales, les inégalités qui explosent qui sont violentes et que l'on devrait entendre.
Il a reçu des torrents de boue pour son hommage à Fidel Castro de la part de ceux qui défendent les plus grands amis et partenaires commerciaux de l'Arabie Saoudite. Sachons raison garder, hein. Je suis prêt à soutenir toute contestation, toute opposition au programme de la France Insoumise. Mais au programme, pas à la couleur des dents du candidat ou de se cravate...
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26/11/2016
L'aberration pour les électeurs de gauche : voter aux primaires... de gauche.
Depuis une petite semaine, donc, les torrents de boue de la gauche gouvernementale continuent d'être déversés sur les malheureux électeurs de gauche qui ont fait ce qu'ils pouvaient, ce qu'ils croyaient juste, en allant voter Juppé pour sortir Sarkozy. Ils ont gagné et là, problème, il y a Fillon dont le programme est tout aussi grave. "Il ne fallait pas vous mêler de ce qui ne vous regarde pas" est l'argument le plus souvent employé par tous les commentateurs bon teint, Laurent Bouvet en tête, qui se demande dans un billet navrant de fatuité (pléonasme, quand il s'agit d'un écrit de lui) "que choisiraient-ils entre Fillon et Marine le Pen" ? Qu'il se rassurer, je n'irai pas voter, plus mon combat, que les réacs et autres se démerdent. Si on mérite le Pen, je vomirai, je ferai ce que je peux pour changer les choses sous un régime ennemi, mais bon, c'est la démocratie, avec ses limites...
En attendant, il y a un second tour. Au-delà des petites phrases et autres chicailleries sur quelques aspects sociétaux, leurs vues de l'état divergent. Ils pensent tous deux qu'il faut réduire l'Etat, les dépenses, le nombre de fonctionnaires et autres, certes. En revanche, six mois de Fillon expliquant qu'il faut tout couper laissera des traces dans les mentalités. Par rapport aux profs, le gouvernement actuel a réussi, à force des efforts les plus louables du quinquennat, a recouvrer des niveaux acceptables de candidats aux concours. Et encore sont ils trop faibles car on a augmenté les places avant de toucher aux conditions d'exercice du métier. Mais que se passera-t-il si l'on envoi le signal que le guichet est fermé pour 5 ans ? Les inscriptions au concours seront en chute libre. Ce, alors que nous sommes dans l'économie de la connaissance ? C'est un non sens. Sur la santé : nous avons des salaires plus faibles que d'autres pays riches notamment parce que notre système de redistribution permet d'avoir des médicaments gratuits. Fillon dit comme Ron Paul : si vous ne pouvez pas vous payer vos médicaments, l'Etat n'a pas à le faire. Il reprend ainsi la maxime de Thatcher "je ne connais pas l'argent public, je connais l'argent des contribuables". Entre ces deux projets de société, je fais une différence et une différence fondamentale. Raison pour laquelle demain, sans fierté, loin s'en faut, sans illusion, j'irai voter Juppé.
Mes amis me hurlent dessus en disant que "c'est jouer perdant. Mieux vaut infléchir l'avenir en participant aux primaires de gauche". Si ça n'était si pathétique comme argument, j'en pleurerai, mais je préfère sourire. Les primaires de gauche ? Permettez-moi de convoquer John Mc Enroe pour les qualifier : you cannot be serious !
Ce matin, lors d'un événement baptisé "le carrefour des gauches" Claude Bartolone a exigé que Manuel Valls ET François Hollande se présentent à la primaire. Peut-on parler de ficelle ou doit-on admettre qu'il s'agit bien là d'un véritable câble ? Depuis le début, les architectes de manoeuvres grossières nous saoulent avec cette primaire pseudo-ouverte, Cambadélis en tête. L'exercice d'auto-persuasion, d'auto-célébration, de youpi ça va mieux la courbe est inversée venez voter a quelque chose de pathétique. Comme ce sketch interminable d'un oncle de province venu à un repas de famille sans être vraiment invité et, enhardi par trop de whiskeys, se met à raconter une déplorable histoire supposée drôle avec une maladresse qui vous met mal à l'aise. Pourquoi diable aurait-on à subir ça ?
Ce quinquennat est raté. Ca, tout le monde en convient, à peu près sans exception. Ce quinquennat est une immense sociale-traîtrise, comme jamais dans l'histoire, doublée d'une trahison écologique. Ca, tout le monde n'est pas d'accord. Il y a une frange de l'électorat qui trouve que, enfin, certains efforts de modernisation de la gauche ont été entrepris avec la ligne Macron/Valls et qu'il faut prolonger, voire amplifier cette voie. Ils sont très minoritaires, mais ils existent. Fort bien, qu'ils choisissent celui qu'ils veulent : qu'ils fassent une belote ou un tarot, et que le vainqueur y aille sur la ligne développée depuis 5 ans. En face, il y aura la candidature de la France Insoumise de Mélenchon, pas de confusion possible. Voilà une opposition programmatique mais elle n'aura pas lieu.
Alors, on nous concocte à la hâte un casting croquignolet pour donner l'apparence d'une pluralité. Gérard Filoche est sans doute sympathique, mais qui peut croire une nano seconde qu'il a plus de chances que Poisson à droite (dans un registre beaucoup plus respectable, hein) ? Marie-Noëlle Linneman est là pour éviter au PS d'être plus misogyne que LR avec une seule femme candidate. C'est hélas sa seule contribution au débat. Inaudible et sans propositions marquantes. François de Rugy ? Non, rien. Restent donc deux candidats dits "différents" : Montebourg et Hamon. Montebourg c'est l'inconstance maximale, c'est l'homme qui pourfend la mondialisation et prend comme directeur de campagne un fidèle des fidèles de DSK, François Khalfon... Tout son programme est à l'avenant : plus libéral que Macron sur la fiscalité du numérique, plus protectionniste que Trump pour protéger nos usines contre les chinois. Navrant. Reste Hamon.
Il est sympa Hamon, il a des idées novatrices et emballantes (sur l'ESS, le revenu de base, les discriminations, le partage, du temps, des richesses, des profits) il transpire sans doute une ligne différente des autres. Bien. Mais Hamon, comme Montebourg, serait encore ministre si Valls ne les avait pas viré en 2014. C'est depuis qu'ils sont hors gouvernement qu'ils se sont soudainement rappelés qu'ils étaient vraiment de gauche, nos amis. On peut dire ce qu'on veut de Mélenchon, mais en 2008, il est parti du parti socialiste quand il a vu que la balance aussi appelée "synthèse" basculait toujours à droite quand ils discutent. Les autres restent, haussent les épaules, prennent des postures et connaissent leurs équilibres internes, mais ça reste du tripatouillage.
Ces primaires sont un congrès du PS, rien d'autre. Pourquoi diable se déplacer, donner de l'argent à un parti qui a méprisé toutes les autres forces de gauche depuis 2012 ? Pourquoi faire croire que la gauche gouvernementale intéresse encore des millions de gens ? Pourquoi s'émerveiller sur ces cinquante nuances de terne qui, de toutes façons, s'auto-convoqueront tous pour faire campagne ? Hamon en tête (prudence, sur les sondages de primaire) comment croyez-vous qu'il composera son équipe de campagne ? Avec 100% de visages neufs ? Soyons sérieux, ça serait plus renouvelé, moins cloné, plus sympa, mais ce manoeuvrier politicien de carrière saura recycler ses copains du PS et tout sera bien gardé. Il n'y a RIEN à espérer de cette mascarade pour les électeurs de gauche. RIEN. Pour ceux qui veulent espérer, il y a le programme de la France Insoumise.
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