24/11/2016
Au secours, la Pravda revient !
Décidément, on apprend peu de ses erreurs. Souvenons-nous de Nicolas Sarkozy en avril 2007, à cheval, en Camargue. Cow-boy dominant qui chevauchait vaillamment pour faire souffler le vent de la modernité yankee sur la France. Les plans serrés le montraient regardant vers l'infini, inspiré, bonapartien. Après coup, quelques journalistes facétieux avaient révélé l'arrière-plan pittoresque, des journalistes tassés dans un camion qui ajoutaient l'inconfort matériel à l'indigence déontologique. Promis, juré, craché, on ne les y reprendraient pas à suivre benoîtement leur nouveau chouchou. Ils redeviendraient journalistes, sérieux et calme.
10 ans après, bis repetita. Mêmes erreurs, mêmes grosses ficelles, mêmes scénario. Mais nouveaux acteurs. Nicolas & Cécilia ont été remplacés par Emmanuel et Brigitte. 3 couvertures de Paris Match en six mois... Le magazine le plus ringard, le plus dégradant, le plus proche de ce que peut commettre Karine le Marchand. Si les tourtereaux s'y affichent trois fois, c'est pour draguer l'électorat âgé, friand de ce magazine et seul à croire que ce gendre idéal à Polo Ralph Lauren et pull bleu (en termes vestimentaires, Macron n'est ni de gauche, ni de gauche) incarne la transgression politique...
Que ce journal manque de recul, c'est classique, mais France 3 ? Lundi soir, cette chaîne, financée par la redevance et moins soucieuse de sensationnalisme pour cause d'audimat a diffusé un documentaire sur "le météore Macron". On est en droit d'exiger un travail journalistique. Pas un portrait à charge et un peu facile, mais bosser, quoi, écouter des contradicteurs, montrer les failles, les ratés, les énormes outrances (les fameuses 15 "petites phrases", il n'en ressortira qu'une) et les quelques gentils bidonages du CV. Tous les interviewés sont ses amis de conservatoire, de l'ENA, un associé chez Rothscild et quelques autres énamourés. Ha-llu-ci-nant de complicité.
La Camargue 10 ans après revient au galop. La séquence chez les pêcheurs d'anguille est d'anthologie : une nuée de journalistes, tassés sur une barque, qui prennent gentiment Macron en photo, triomphant avec ses anguilles. Trump se félicitait de ne pas avoir à acheter de pub, car les médias reprenaient tous ses conneries dans leurs émissions. Idem pour Macron : la publicité politique est officiellement interdite, mais il a trouvé une armée d'écervelés qui produisent littéralement l'histoire, les mots, le scénario, exigé par le couple Macron. C'est navrant...
Je reprends quelques verbatims du documentaire pour montrer le niveau de déchéance journalistique de cette bouse "A 6 ans, il récite tous les poèmes de René Char". "A quinze ans, il a déjà vécu plusieurs vies", "Ricoeur est bluffé". J'ai tout particulièrement apprécié le passage consacrée à la banque Rotschild : que dit-on ? "si ses compétences techniques sont perfectibles, son entregent fait merveille". Qu'en termes élégants ces choses-là sont dites : en clair, c'est une bille, mais un gougnafier opportuniste qui arrive à arranger les intérêts de Nestlé et Pfizer. Nestlé et Pfizer pour 11 Milliards d'euros ! Tous ces verbatims montre le niveau d'hagiographie, on dirait du Malraux (moins le talent) à propos de De Gaulle. Et ils ne rencontrent jamais un contre point. Myriam Revault D'Allones pour montrer le grotesque à propos de Ricoeur, n'importe quel économiste à propos de la banque, mais non. Le groupie/journaliste ne veut pas écouter un seul son discordant.
Autre technique pravdavienne employée à de multiples reprises : l'inversion du point de vue. Il fut sifflé à Orléans, moqué pour un discours plat comme une dissertation de seconde ? On le voit juste serrer des mains. Il fut pris en flagrant délit de fausses déclaration d'ISF ? On met en avant l'accusation de Sapin qui a fait fuiter l'affaire au Canard Enchaîné. L'affaire du costard ? On lui laisse 5 minutes pour dire que ses contradicteurs sont mal élevés... Il n'a aucun programme ? On le voit écrire un livre (dans lequel il semblerait qu'il n'y ait pas de programme, juste un patchwork de slogan de l'époque "libérez les énergies", "faire confiance aux forces vives" "casser les silos du système")....
Et enfin, le retour à Paris Match : pour son mariage, on voit le film à la mairie. Celui avec le grain d'image un peu pourri qui montre vraiment que c'est le film de l'oncle. Quelques minutes après, on voit le couple danser une valse le soir de la noce. Ces films ne sont pas publics et à priori peu disponibles : c'est donc lui (ou sa femme) qui les ont transmis à France 3. Pourquoi ces niais les reprennent ils et les retranscrivent-ils tel quel ? Cette question reste en suspens après la diffusion du gouvernement. La chaîne de responsabilité est là : pourquoi ce film, pourquoi avoir accepté cette ligne littéralement dévote à l'encontre de Macron, pourquoi avoir accepté la diffusion ? Il y a de quoi se pincer. Pleurer un peu aussi. À cause de ce film, quelques pauvres hères floués par ce village Potemkine télévisuel croiront peut être vraiment que Macron est notre James Dean politique.
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21/11/2016
L'effet Trump a bien eu lieu
Depuis hier, les éléments de langage déchaînés de la gauche gouvernementale et des juppéistes dépités par le score de leur champion concordent : il y a un effet Boomerang. C'est à cause des vilains électeurs de gauche qui ont voté pour Juppé que tous les bons électeurs de droite se sont détournés de lui et ont préféré voter Fillon. Ayant voté Juppé, j'ai eu le droit à quelques philippiques d'un ancien collaborateur ministériel de ce quinquennat m'ayant enjoint au silence pour deux ans car je faisais mal à la gauche. Mieux vaut vomir plutôt que de faire un examen de conscience. Pas de souci les gars.
Mais ça ne sont pas les électeurs de gauche qui ont fait perdre Juppé. C'est la gauche qui a cessé de l'être pour gouverner à droite qui a déporté l'électorat. La nature a horreur du vide : partout où les gouvernements progressistes prennent des mesures libérales, ils asphyxient la droite classique qui, pour se démarquer et exister politiquement, doit soit se déporter sur des thématiques identitaires forcenées, soit proposer Margaret Thatcher puissance 10. C'est ce que nous venons d'avoir lors de la primaire de droite. Au Royaume-Uni, quinze ans de blairisme donne le Big Governement de David Cameron, mais ce dernier n'a pas sur aller au-delà de ce qu'il a appris à Cambridge, il n'a pas su faire une surenchère. Résultat ? Dans un pays où le bipartisme est une règle absolue, la déferlante UKIP d'une violence rare et le brexit pour dire "fuck les élites. Dehors les immigrés". Youpi...
En France, le quinquennat en cours a désespéré les classes populaires qui n'ont pas retrouvé d'emplois, n'ont pas vu d'amélioration dans les transports et l'énergie (le chauffage c'est 2% des dépenses des ménages aisés, jusqu'à 10 ou 15% des plus démunis). Les attentats qui nous ont frappé durement depuis 2015 ont instillé une ère de doute et le gouvernement s'est fourvoyé dans une logique sécuritaire qui n'a rien de naturelle pour elle. Un an et demi d'Etat d'urgence qui n'a pas empêché le drame de Nice. Perdant sur les deux tableaux.
Revenons à la primaire de droite avec ceci comme grille de lecture. Et avec la différence hyper notable que nous sommes dans une logique tripartite avec la quasi assurance pour le FN d'accéder au second tour contre des US bipartites (j'y reviendrais). Au final, comme pour les US, les candidats modérés crédibles (écartons Poisson et Copé) totalisent moins de 5% à eux deux. Injuste pour NKM et BLM qui ne déméritent pas, mais comme des Chris Christie ou des Rubio ont été balayés par Cruz et Trump qui hurlaient plus fort... Juppé, c'est Hillary Clinton. Dans la partie depuis 40 ans, ayant eu affaire à la justice, présentant autour de lui un establishment prononcé et avec le programme le moins en rupture avec l'autre rive. Le plus proche d'Hollande, c'est lui. Il en est très loin, propose 200 000 suppressions de fonctionnaires, mais Fillon propose plus du double. Il fout la paix aux homos, aux musulmans, ne se soumet pas à Poutine et n'est pas bien fier de la colonisation. Le boulet est trop lourd dans une période où les électeurs sont courroucés. Je ne regrette pas d'avoir voté pour lui : aux US, j'aurais voté pour Hillary Clinton sans enthousiasme mais contre Trump.
Fillon, c'est l'effet Trump appliqué à la France, en plus présentable et mieux peigné. 500 000 suppressions de fonctionnaires. Complètement fou, mais qu'importe. Fermeture de toutes les mosquées, stigmatisation systématique des musulmans à l'Etat Islamique quand bien même 98% des victimes de l'EI sont musulmanes. Le retour à l'école des années 60, le plein emploi à 39h, le retour des dictateurs arabes qui tiennent leurs peuple et évitent le terrorisme. Songez-y, Fillon promet le "Make France Great again". Comme Trump, Fillon était donné perdant, loin derrière, excessif et n'imprimant pas. Comme Trump, Fillon a critiqué le système et les médias qui refusent de voir la réalité en face. Comme Trump, Fillon a été très activement soutenu par des réseaux troubles, Sens Commun et la cathosphère en tête, eux qui reprenaient joyeusement son soutien aux chrétiens d'orient et tapaient sur Juppé trop musulmano complice... Comme Trump, enfin, Fillon a déjoué tous les sondages : les instituts pourront dire jusqu'à demain qu'ils notaient une poussée ou une progression de Fillon, le score le plus haut jamais enregistré par Fillon était 30%. Il finit à plus de 43%. Un écart abyssal, mille fois au-delà des marges d'erreurs.
Fillon a donc misé sur la trumpisation, sur l'inflammation des électorats pour l'emporter. Avec succès. Reconnaissons lui ça, il a gagné par KO. Je suis têtu, mais pas obstiné : au second tour, je resterai chez moi, la lame est trop forte. Mon prochain bulletin de vote sera pour la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon, le seul à proposer un programme d'opposition au brouet libéral de ces trente dernières années. En face, il y aura donc Fillon et Marine le Pen (plus quelques guignols). Fillon est sûr de lui d'accéder au second tour face à le Pen et donc de l'emporter. C'est là où il joue les apprentis sorciers : les récentes élections montrent partout le goût pour la transgression. Les votants, comme des ados brimés par des parents sévères, s'autorisent ce que la morale interdit et votent hors des convenances morales. Quelle digue programmatique Fillon a-t-il pour empêcher Le Pen de le submerger ? Son catholicisme militant, sa détestation des musulmans ? Pas évident que ça passe. En France, son "Make France great again" a un copyright déposé depuis longtemps, depuis bien avant la création des LR. Cette élection 2017 prend vraiment une tournure angoissante.
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18/11/2016
La primaire 2017 n'a pas eu lieu, celle de 1967 si.
Hier soir, le dernier débat de la primaire a eu lieu au moment même où le Beaujolais Nouveau coulait à flots. Merveilleuse idée : il fallait bien ça pour subir l'inanité des échanges entre les 7 impétrants. Hélas, ayant d'autres obligations hier soir, j'ai revu le débat ce matin avec du thé vert et la lucidité n'est guère conseillée pour subir pareil pensum.
Surtout, après que les candidats ont, une dernière fois, expliqué pourquoi il fallait aller voter pour eux, tous (hormis NKM) proposaient un grand bond en arrière. Jean-François Copé qui se prend pour Bonaparte et nous invite à franchir un nouveau Pont d'Arcole. François Fillon qui souhaite précisément revenir à l'école de 1960, avec les savoirs fondamentaux enseignés de façon unique et quasi monolithe (il a dit 75%). J'imagine que l'éducation sportive, artistique, numérique, l'apprentissage de la pensée critique, des recherches, la prise de parole en public, les travaux collectifs. Tout cela, out. On revient aux heures glorieuses des blouses, des photos en sépia, du Vidal Lablache et de moins de 10% d'une classe d'âge qui va jusqu'au bac...
Ajoutons Sarkozy qui n'a comme seul modèle, comme alpha et omega de tout son programme économique, que l'Allemagne. Manque de pot (ou est-ce autre chose ?) hier soir, Wolkswagen annonçait 30 000 suppressions d'emplois d'ici 2020. Mais alors Monsieur le Président, la compétivité, les baisses de charges et les jobs à 1 euro ne suffisent pas à garder les emplois ? Peut être que la robotisation continue à étendre son emprise sur l'emploi ? Si quelqu'un arrive à me dire en quoi Juppé et le Maire se plongent dans l'avenir, je lui paye des fraises... On pourrait rajouter aussi l'ineffable Poisson qui nous explique que les plate-forme sur Internet ne sont que marchandisation et vente à outrance. Personne ne lui a indiqué qu'avec les mêmes outils, on pouvait promouvoir la gratuité et les échanges. NKM lui a gentiment sussurré..
En résumé : revenir aux 39 heures dans un monde où l'emploi salarié se raréfie, revenir au conseiller territorial quand on a tellement besoin de grosses régions, revenir au mariage réservé aux seuls hétéros, revenir à l'école de 1960, revenir au Minitel, aux courses au Prisunic où la bouffe était meilleure que chez Carrefour, n'en jetez plus !
Soyons honnêtes : il faut être deux pour danser le tango, bien ou mal. Si hier la chorégraphie fut à ce point déplorable, la responsabilité de ceux qui ont posé les questions ne peut être écartée...
Jean-Pierre Elkabbach ? L'homme qui a interviewé VGE peut-il sérieusement poser des questions pertinentes sur les besoins de la vie économique et politique de 2017. Il n'a pas seulement 79 ans, il a 50 d'interviews politique et n'est jamais allé voir ailleurs, à des réflexes intellectuels crispés. Il réfléchit par idées reçues et automatismes. L'âge ne fait rien à l'affaire, Edgar Morin et Michel Serres sont octo et même nonagénaires fringuants et jeunes dans leurs têtes. Bruno le Maire était déjà vieux à 16 ans, d'où l'ineptie stratégique d'avoir voulu tout miser sur le renouveau quand on l'incarne autant que Zlatan transpire la modestie... Mais Elkabbach est un vieil intervieweur de 79 ans. Au moins a-t-il l'excuse de l'état civil, ce dont ne peut se targuer l'insupportable David Pujadas. Infatué en diable, incapable de la moindre remise en doute de ses propos, le présentateur vedette de nos foyers depuis 15 ans a interviewé les candidats hier avec les mêmes questions, enjeux et thèmes que s'il avait eu François Mitterrand face à lui... Il parle d'Assad comme de Hussein, avec le même monde et les mêmes blocs, de l'économie sans dématérialisation, des protections sociales comme si nous étions en 1970 et des impôts comme si nous ne sortions pas d'un cycle inouï de 30 ans de baisses des impôts sur les hauts revenus...
Prise en compte des enjeux écologiques ? De l'adaptation de l'économie, de l'énergie, de l'agriculture à tout cela ? Prise en compte des nouveaux besoins éducatifs, de formations ? Rien, que dalle, nib. Avec des sparing partners envoyant des balles aussi molles, il ne pouvait y avoir de bonnes réponses.
Dans un vibrant plaidoyer dans le Monde, l'économiste des médias Julia Cagé rappelait la responsabilité des médias dans l'élection de Donald Trump, à trop décrire un monde qui n'existe pas : à ne parler que de croissance, des levers de fonds porteuses d'espoir des géants du web et pas assez des ravages de 2008 sur l'immobilier avec des plaies non refermées, des emplois perdus et de ceux qui n'en ont pas retrouvé etc etc... A force de disparaître, de ne jamais voir leur réalité reproduite dans le débat public, à force de dire que tout est "great" quand ça n'est pas le cas, nombre d'électeurs ont choisir le "make America great again" de tous ceux qui ne trouvent pas leur pays "great". La cécité française est un peu différente, elle enjolive le passé et le prend en modèle. Une attitude dangereuse car une candidate promet depuis des années de ramener la France à avant. Quand elle était bien blanche et que l'ordre régnait. La règle selon laquelle les électeurs préfèrent l'original à la copie pourrait se vérifier l'an prochain et espérons que M. Elkabbach et Pujadas auront fait leur mea culpa, d'ici là...
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