03/10/2016
L'ordre ne se limite pas au maintien
Ce matin en écoutant Xavier Bertrand parler du problème des indemnités chômage, je me suis dit que l'absence d'ambition présidentielle libérait vraiment la parole. Depuis que ce type a abandonné la course à l'Elysée et surtout qu'il s'est sincèrement vu comme le mec qui rentrerait dans l'histoire pour avoir perdu face à Marine le Pen, il est beaucoup plus sensé.
Invité ce matin sur une grande radio, il devait commenter la décision de ses anciens copains de la primaire de droite, d'abaisser les indemnités des chômeurs de plus en plus fortement à mesure qu'ils restent sans emploi. Une décision d'apparent bon sens ; moins tu cherches, moins tu touches pour bien te montrer le sens de l'effort. Dans une vie antérieure, Bertrand aimait lui aussi à proférer ce type de propos registre "gros rouge qui tâche". Seulement voilà, en prenant la tête de la Région, il a pris de la hauteur et il s'est conséquemment exprimé avec raison "il faut remettre les choses dans l'ordre. Pourquoi punir les chômeurs qui n'y sont pour rien, si l'on ne leur propose pas aujourd'hui de solutions pour s'en sortir ? D'abord, repenser notre modèle social face au chômage en réformant profondément la formation des chômeurs et leur accès à d'autres dimensions essentielles, comme la mobilité ou l'accès au logement. Après, seulement, on pourra réduire les indemnités chômage". Flexisécurité bien ordonnée commence par sécurité, en fait...
Autre grande réforme mal emmanchée car prise à l'envers : l'éducation. Promesse de campagne du candidat Hollande : 60 000 embauches de profs. Promesse répétée en boucle comme un mantra. Au lendemain de l'annonce, les syndicats d'enseignants avaient rétorqué "chiche ! Mais 60 000 profs à augmenter, comme tous les autres. Plus travailler sur leur temps de travail, la pénibilité, l'évolution de carrière, l'autonomie...". Mais Hollande n'en avait cure. Il avait donné son objectif chiffré à atteindre dans le quinquennat. A quel prix...
Car à fonctionner dans ce sens là on ne recrute pas toujours les candidats voulus : le nombre de candidats au CAPES et à l'agrégation le prouve. Plus informés que la moyenne, les aspirants profs voient bien que le métier n'a pas été revalorisé, financièrement comme en termes de conditions de travail. Aussi, ça ne se bouscule pas au portillon et en fin de quinquennat, histoire d'être bien démago et de tenter de rattraper par les bretelles les profs qui désertent le bulletin socialiste (en partie pour le FN, en partie pour Juppé, en partie pour l'abstention...) un petit dégel de point d'indice... On a pris les choses à l'envers et cela ne souffre pas de contestation. C'est bien là le drame, tout le monde sera d'accord pour dire que les choses auraient du aller dans l'ordre inverse et Hollande le sait bien.
Si l'on ne peut évoquer l'ignorance, il faut bien réfléchir aux raisons profondes et on aboutit assez vite à un seul motif : l'électoralisme. Commencer par modifier les conditions de travail des profs désorganise le travail. Commencer par les payer mieux pèse sur les finances publiques sans bouger les chiffres du chômage. Bref, à ultra court terme vous êtes perdant. Comme vous êtes perdant en investissant sur la formation et la mobilité des chômeurs plutôt qu'en coupant le robinet allocataire. Donc, par court termisme et électoralisme primaire, on satisfait son instinct grégaire. La lutte de l'élection et de l'intérêt général ressemble à ce titre à s'y méprendre à celle opposant pot de terre et de fer. Dommage...
12:18 | Lien permanent | Commentaires (8)
30/09/2016
"Responsable mais pas coupable", une histoire française
Voilà maintenant 30 ans, la ministre de la santé Georgina Dufoix prononçait une phrase qui structure aujourd'hui encore notre rapport à l'impunité. Dans l'affaire du sang contaminé, la ministre s'estimait "responsable mais pas coupable". Elle refusait ainsi de reconnaître que l'épidémie sanitaire puisse remonter jusqu'à elle, renvoyant la faute à la pyramide existant entre les malades et elle même. Etonnant, dans la mesure où elle s'est battue avec une énergie folle pour parvenir au sommet de cette pyramide. Je ne dis pas qu'elle a tué les malades sciemment, mais elle a voulu arriver "aux responsabilités" et non les assumer par la suite. Elle n'est pas seule dans ce cas. L'immense majorité de nos grands dirigeants ont bataillé âprement pour arriver là où ils sont, mais refusent depuis leurs cimes d'endosser la responsabilité qui est la leur quand la tempête arrive... Et derrière, ce sont les mêmes qui vous expliquent des histoires sur les droits et les devoirs... Guère tenable.
La dernière illustration de cette histoire a bénéficié d'une heure d'antenne de grande écoute, merci Elise Lucet. L'enquête d'Envoyé Spécial sur Bygmalion éclaire d'un jour nouveau le scandale politico financier de 2012. Aucun doute possible, aucune insinuation, aucun "il se serait produit cela". Non non, froidement, cliniquement, inlassablement, toutes les factures ont été dévoilées, la double facturation établie au grand jour et tous les soupçons évanouis. 18 millions de double facturation intégralement partis dans le financement de la campagne. Le responsable des meetings de Sarkozy, Franck Attal, ne cache rien et avoue même les 600 000 euros de prime qu'il a empoché en fin de campagne. Rien de plus à trouver, fors le coupable de tout le barnum. Eu égard aux sommes en jeu il est impensable, inconcevable, que cela ne remonte pas très haut. Tout en haut. Comment croire que des pros de l'événement, acceptent d'engager des sommes qui dépassent leurs revenus sur une décennie sans garantie ? Comment croire que Sarkozy dont c'était la seconde campagne présidentielle a réellement pu ne constater aucune différence avec la première ? Le doute n'existe plus, mais ça n'est pour autant qu'il tombera, judiciairement. Pour cela, il faudrait qu'il confesse sa responsabilité et de Georgina Dufoix à Jérôme Cahuzac en passant par Chirac et Pasqua, l'histoire politique française est faite de grandes esquives. Le privé suit la même pente à très haut niveau, seuls Bernard Tapie et loïk Le Floch Prigent ont été lâchés, mais la plupart du temps, le lynchage n'est pas la norme... Demandez à Didier Lombard, PDG d'Orange qui avait nié le climat social pourri chez lui en parlant de "mode des suicides". En prison ? Non non, administrateur de ST Microelectronics avec jetons de présence à six chiffres...
Dans le médico-social, on peine à recruter des directeurs à cause des trop grandes responsabilités juridiques à supporter. Idem pour les petites usines. Les patrons de bar redoutent le jour où un client alcoolisé tuera quelqu'un en voiture en sortant du bar... Partout, la judiciarisation de la société s'étend. Le nombre d'avocats en France n'atteint pas encore les sommets américains, mais la déferlante est là et la fièvre du contentieux n'est pas près de retomber. Les décisions peuvent briser des vies, des destins, de pauvres hères victimes d'une méconnaissance bien compréhensible, d'un corpus juridique tentaculaire. En face, des erreurs monstres commises par ceux qui sont pourtant accompagnés d'un bataillon de juristes n'entraîneront jamais leur condamnation précisément parce que le bataillon de juristes se charge de trouver les failles textuelles qui protègent leurs héros. L'accroissement de l'écart entre ces deux extrêmes, la violence d'une logique qui traque de plus en plus les voleurs de pomme et n'arrive pas à coincer les voleurs de forêts de pommiers, tout cela concourt à fracturer le pays plus lourdement qu'une réforme fiscale, des retraites ou de l'éducation. L'égalité devant la justice, la fin du "eux" et "nous" n'est pas une lubie ou une utopie : ne perdons pas le Nord, mais regardons plutôt par là. Ils y arrivent, eux.
15:53 | Lien permanent | Commentaires (39)
27/09/2016
Attaquer les piétons, piège à...
Dimanche, on a plus entendu les automobilistes excédés que les chiffres d'Airparif signalant une amélioration de la qualité de l'air de 25% au soir de la journée Paris sans voitures. 25%. Quand on sait que la pollution tue 7 000 personnes par an à Paris, avouons que l'opposition à de quoi faire tousser. On voudrait nous faire croire qu'il existe vraiment un débat pour savoir si diminuer la pollution est bien raisonnable... On taxe de "brutale" la décision de la mairie de Paris qui a ouvert ce programme il y a 15 ans... Si ça c'est brutal, le pacte de responsabilité, c'est un viol en réunion au milieu de la nuit...
Les mêmes débats ont eu lieu il y a 15 ans, lors de l'arrivée au pouvoir de Delanöé qui proposait d'installer le tramway autour de Paris. On a entendu pique pendre, la mort de la circulation, la fin des maréchaux, la honte pour les touristes. Quinze ans après, ou en est on ? Un moyen de transport écologique, qui diminue considérablement les nuisances sonores et qui transportent chaque année des centaines de milliers de franciliens beaucoup plus vite que jadis les bus ou même les voitures. Et alors quoi, si NKM reprend la mairie en 2020, elle rend les maréchaux aux voitures ? Inepte. Idem pour l'opposition aux berges de Seine piétonnes, on casse tout et on reroule ? Tu parles d'un programme...
On instruit le faux procès des vilains parisiens, nantis, ne voulant pas accueillir les gentils banlieusards, plus modestes... Un procès étrange dans la mesure où il est de plus en plus cher d'avoir une voiture. Ceux qui peuvent se permettre de payer de l'essence pour plusieurs dizaines de kilomètres et payer une place de parking juste pour se promener et manger une glace n'ont pas franchement de problèmes de pouvoir d'achats. Il existe aussi des amateurs de Hummer autres grosses cylindrées, en banlieue. Neuilly, le Vesinet et Rueil Malmaison aussi sont des banlieues, me semble-t-il. En revanche, grâce au Pass Navigo à Tarif Unique, les banlieusards plus modestes peuvent venir sur Paris sans débourser un centime de plus, la vraie solution économique se situe donc au niveau des transports collectifs et non polluants... C'est ballot.
Ultime petite pirouette ou tentative de dégagement, quelques cris d'orfraies poussés par ceux qui s'indignent que seuls les taxis aient accès au Paris sans voiture et non les VTC. Mais les VTC ne sont pas visibles de tous, il faut bien faciliter le travail de la police. N'importe qui pourrait s'asseoir à l'avant et trimballer ses amis à l'arrière du véhicule ; interpellé par la police il montre un GPS, comment les flics peuvent-ils faire la différence en un clin d'oeil ? Impossible. Cette décision n'était pas clivante, elle visait juste un peu de simplicité.
En Chine, la menace de la pollution n'est pas une lubie, mais une réalité : le pouvoir Central a interdit la circulation aux scooters à essence du jour au lendemain. Un ami me disait avoir été choqué par le silence des centres villes où le ballet des scooters électriques ne fait aucun bruit. Pour les pauvres hères encore détenteurs d'un scoot vieille version, une amende prohibitive, voire la séquestration du véhicule. Ca, c'est brutal (même si ça peut s'entendre). Alors cessons de prendre le problème à l'envers en matière de circulation : la voiture individuelle c'est évidemment le XXème siècle, il faut passer au XXIème et accepter les investissements à l'avenant.
07:09 | Lien permanent | Commentaires (8)