27/01/2016
Taxis : impuissance ou cynisme du politique ?
On a déjà vu le film, non ? La séquence actuelle des taxis rappelle furieusement celle d'Air France avec des chemises déchirées. L'impression que nos amis de Matignon, avec leur médiateur putatif, attendent cyniquement que ça dérape davantage. Tout est en place : des chauffeurs à cran, des opérations escargots interminables et donc, des dérapages à venir. Hier, déjà, fleurissaient sur les réseaux sociaux des récits d'agressions de chauffeurs de VTC. Avec le sens de la mesure des récits, on se serait cru dans l'assaut final sur Saïgon. Avec leur même appétence pour la modération, ils nous expliqueront que les taxis ne veulent pas s'adapter, qu'ils n'acceptent pas la concurrence et autre chapitre du catéchisme libéral... Est-ce bien sérieux ? Est-ce parce que les porte-parole des taxis sont déplorables et maladroits au-delà du raisonnable qu'on ne peut pas regarder par nous mêmes les iniquités flagrantes ?
Dînant hier avec un chercheur en intelligence artificielle et machine learning, il me montrait comment des étudiants de son labo pourraient, en 3 jours, construire un outil prélevant directement ses impôts et taxes sur toute activité d'Uber ou autres VTC dans la minute. Contrairement à certaines activités de vente de services où l'extra territorialité peuvent flouter les relations commerciales, les courses de VTC sont géolocalisées et il est d'une simplicité enfantine de prélever à l'activité pour éviter un "effet Google" qui génère 1,7 milliards de revenus en France pour 5,5 millions d'impôts. Là, on peut fracasser les transactions sur place. Ca lèserait les chauffeurs ? Non, ça obligerait les plateformes à payer ce qu'elles doivent... Les services de l'Etat ignorent cela ? Aussi crédible que les nuages de Tchernobyl s'arrêtant à nos frontières, et on sait ce qu'il advint d'une telle affirmation.
On focalise toujours le débat sur des sujets périphériques : c'est quand même un monde qu'on s'interroge sur la possibilité pour l'Etat de compenser les pertes pour les taxis avec leurs plaques et pas d'exiger un minimum d'alignement de la part des plate formes ! Il y a, incontestablement, plein de places pour ces services. Dont acte. Mais à armes égales. Pourquoi ne souligne-t-on pas plus que Thibaud Simphal, le DG d'Uber, sort de Bruxelles où il planchait sur les questions de transports ? Une violation manifeste des règles les plus élémentaires de conflit d'intérêt, mais aimable plaisanterie par rapport à Grégoire Kopp, le directeur de la communication et porte-parole d'Uber qui vient directement de chez Vidalies ? Oui oui, direct du ministère des transports... Article là l'intéressé s'en félicitait directement sur Twitter. La commission de déontologie était passée par là répondait ainsi directement à ma question en titre : évidemment cynisme. On ne veut pas s'emmerder avec une boîte qui trouve des jobs à 5 euros de l'heure pour des jeunes de banlieue. Ca va parfaitement avec la lame de fond de dumping social instauré par notre gouvernement qui vise exactement les réformes Schröder pour faire baisser le chômage. Des mini jobs pour tous et fermez le ban. Et pour faciliter cette régression générale, Matignon espère bien que 2/3 taxis "irresponsables" molesteront des VTC pour prouver leur caractère décidément irrécupérables... Si l'on file la célèbre analogie de la lune et du doigt : les taxis sont le doigt. Regardons la lune, vite !
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23/01/2016
Ne laissons pas le revenu universel aux libéraux !
Comme disaient nos regrettés dessinateurs de Charlie, c'est dur d'être aimé par des cons. En l'occurence quand j'ai vu les élans d'amour de Gaspard Koenig pour le revenu universel, j'ai vu déferler la lame libérale sur le revenu universel qui, si nous ne sommes pas vigilants, sera balayé par la pensée mainstream avant que nous n'ayons eu le temps de dire ouf... Alors que je soupirais profondément devant son navrant plaidoyer, je me suis renseigné sur l'identité des nouveaux hérauts de la lutte pour le revenu de base. Et quelle ne fut pas ma stupeur de découvrir l'amoureux des belles lettres, celui qui déclare que Zadig et Voltaire (sic) est son oeuvre favorite, Frédéric Lefebvre, se déclarer en faveur de cette revendication historique de la gauche. Soit j'avais trop bu, soit on me prenait pour un con et étant généralement sobre avant 18h, j'ai opté pour la seconde piste et me suis dirigé vers ma bibliothèque pour voir à quoi cette farce me faisait penser.
Eureka ! Dans leur magistral essai le nouvel esprit du capitalisme, Chiapello et Boltanski montrent parfaitement comment la matrice patronale a, avec une habileté indéniable, recyclé tous les maux d'ordre de mai 68 ; autonomie et liberté en premier choix, pour en faire leurs chevaux de bataille. Saisissant vertige de penser que l'autonomie de Castoriadis, Deleuze ou Baudrillard a pu être la mère des réformes de Sarkozy à l'université. Ce parallèle doit nous servir à méditer ce qui nous attend et ne pas croire que ces personnes à nos côtés dans la bataille sont nos alliés.
Le patronat a repris les mots d'ordre et avant de les mettre en avant, les a soigneusement évidés, détournés, essorés de sorte que les promoteurs de la liberté et de l'autonomie en ont perdu leur autonomie, à l'exception notable de Daniel Cohn Bendit, mais respectons la convention de Genève et ne tirons pas sur l'ambulance.
C'est le même détournement qui nous menace : l'idée initiale du revenu de base, c'est le partage. Partager le temps, les ressources, les compétences, les emplois... Sans doute un peu utopique, l'idée fait son chemin mais s'appuie sur des valeurs communautaires et d'entre-aide très fortes. Ca n'est pas une fin en soi et certainement pas une logique d'allocation. Il y a des tas de préalables et de dimensions sociales fortes, faute de quoi ça n'est rien. Ce rien, c'est ce que poussent Lefebvre et Koenig reprenant la notion foireuse et floue de "revenu citoyen" de Dominique de Villepin. Que nous disent-ils les ultra libéraux ? Surtout ne réfléchissons à rien sur l'ineptie de notre système actuel qui produit de la richesse à vide, de la valeur monétaire sans valeur sociale avec une inégalité de plus en plus affirmée et pour éviter les Jacqueries et les soulèvements de pauvres hères, passons à un revenu qui leur permet de glander devant la télé. Quelques doctes économistes chiffrent le problème et décident qu'à 800 euros par mois, on fait pas chier, on ne vole pas de sac et ne frappe pas les gens, on glande devant la télé et on laisse les traders et autres margoulins tranquilles. Le pied, quoi ?
Si c'est véritablement cette option qui l'emporte alors nous aurons perdu toute foi dans une possibilité d'autre chose, de redistribution, de partage, de redéfinition de la valeur collective et nous aurons réalisé l'utopie de Friedman et des empereurs romains : du pain et des jeux, mais sans intempérie pour gâcher les récoltes et avec des jeux en continu. L'assurance que plus jamais la plèbe ne suive un nouveau Spartacus....
18:08 | Lien permanent | Commentaires (29)
21/01/2016
Le populisme du Siècle
Le populisme représente un discours flattant le peuple contre l'élite. Nul besoin, évidemment d'être plébéien, pour tenir ce langage. Regardons Donald Trump, milliardaire américain, disserter avec succès sondagiers sur les ravages du système. Mais la veine de Trump reste très basique, très grégaire. Dans un autre registre de démagogie confite, Macron explose les compteurs avec son style de populisme entendu aux dîners du Siècle qui ravage tout (positivement) dans l'opinion.
Hier, donc, sur une grand chaîne il a affirmé que "la vie d'un entrepreneur est beaucoup plus dure que celle d'un salarié". Prononcé par un imbécile, cette phrase ne mériterait pas qu'on s'y attarde mais prêtons au loup de Bercy plus qu'un soupçon de jugeotte et demandons nous pourquoi proférer une telle ânerie ? Réponse : il sait à qui il parle. Comme lorsqu'il dit "je veux que les jeunes de banlieues deviennent milliardaires". Non encarté au PS, Macron ne reçoit pas les oukases de Cambadélis et autres membres du bureau qui lui font remonter le désarroi des militants. Chouchou des sondages, on peut douter qu'il se fasse corriger par Valls et Hollande pour toutes ces petites provocations vénielles qui n'impliquent pas de projets de lois. Ho, bien sûr, il s'était fait taper sur les doigts quand il avait expliqué que "le statut de fonctionnaire n'était pas adapté au XXIème siècle" : là, il mettait un coup de ses incisives dans le coeur électorale de la gauche, on l'avait réprimandé. Mais pour cette nouvelle économie à laquelle personne n'entend goutte et en manque de câlins, prête à se vendre au plus offrant fiscal, il faut des preuves d'amour politique. Alors il se lâche, Manu, à la limite de l'obscénité.
Il fonce sur son autoroute des bons mots à destination de la "vieille gauche" et ça le fait jubiler. Car il ne leur parle jamais aux représentants de ladite vieille, pas plus qu'aux salariés dont il s'est moqué hier. Il vit en vase clos avec ses journalistes thuriféraires et ses visites soigneusement choisies pour prendre cette France qui en veut, cette France qui innove, cette France de startuppers qui n'a que la "prise de risque" à la bouche, sans se rendre compte ce que cela a de prophétie auto-réalisatrice. Moi qui les côtoie pas mal, je vois que les mauvais n'ont à la bouche que des formules creuses comme celles de Macron "moi je prends des risques, si je m'arrête j'ai rien, je vis à 100 à l'heure. Mais bon, j'adore cela". Généralement, ils disent "laisse" au sujet des consommations ou du repas à régler, qu'il prend avec sa carte bleue professionnelle. En partant, il va dans un lieu confiné où il est invité, trouvera en rentrant en Uber un journal dans sa boîte aux lettres que sa boîte règle (le canarad et la course). Et jamais ne pense à tous ces menus avantages dont les salariés ne voient jamais le jour. Dans la novlangue de l'entrepreneur, on appellerait ça "des privilèges", pense le salarié qui ramène sa gamelle (ou tupperwear) sans jamais s'offrir la formule du déjeuner pour pas faire d'excès et qui toujours rentre en transports, même quand la nuit fut courte et la journée longue. Mais ce ne sont pas à ces salariés que Macron fait référence. Perdu dans son bocal de dominants, il pense à tous les cadres sups qui ne deviennent pas consultants ou start-uppers. Paye confortable, risques minimums, comme il est aisé de les opposer aux entrepreneurs... Comme c'est démagogique.
Pour autant, Macron n'est pas près de perdre la bataille des idées. Qui préfère le RSA aux milliardaires ? Qui n'est pas d'accord pour dire qu'un entrepreneur du BTP trimant 60 heures par semaines avec des charges importantes n'est pas plus méritant qu'un standardiste ? Cher Emmanuel, vous avez pour vous l'imaginaire dominant, le chuchotis immonde que j'ai trop souvent entendu chez les éditorialistes de Challenges, de l'Opinion et du Figaro (et Leparmentier au Monde...) sur les chômeurs qui préfèrent faire le tour du monde que d'accepter un boulot, ces profs invirables qui débitent des sornettes communistes, raison pour laquelle leurs mômes sont dans le privé.... Tous propos confinant à une déplorable simplification du réel pour le tordre dans la libido patronale, ce que jamais aucun politique ne s'était abaissé à reprendre, à part peut être Jean-François Copé. Au fond, c'est ça Macron, un Jean-François Copé distingué et habile.
07:39 | Lien permanent | Commentaires (17)