Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

03/02/2016

Le business sans fin de la mauvaise conscience

quote-il-est-plus-facile-de-s-arranger-avec-sa-mauvaise-conscience-qu-avec-sa-mauvaise-reputation-friedrich-nietzsche-160042.jpgCe matin, une vilaine crève m'a levé aux aurores. Genre avant ce que chantait Dutronc... Paris n'était pas éveillé, donc, mais la radio, si. Au milieu des faits divers, nouvelles politiques déprimantes et autres scandales économiques, une interview supposée amenée un peu d'optimisme. On y entend une jeune entrepreneure de moins de 30 ans qui a monté, mazette, un cabinet de conseil et un think tank. C'est fou, ça, non ; si jeune... La valeur de l'escroquerie n'attend pas le nombre des années.

On a donc entendu cette "jeune femme de moins de 30 ans" (qui en avait 28 il y a 3 ans, la première fois que je l'ai côtoyé dans un salon où elle débitait, déjà, les mêmes fadaises, reconnaissons lui a minima, la constance, à défaut d'honnêteté) expliquer que "les entreprises sont des coquilles vides" alors que le bond dans l'entreprenariat des jeunes est "une quête de sens". On peut relire ces déclarations autant que l'on veut, elles restent nimbées d'une intelligence plus que discrète, à peine renforcée en goût par cet exhausteur de déclarations qu'est le populisme chic... Car ce qu'elle nous dit en substance c'est que les entreprises sont "des repères de vieux", 'l'ancien monde" où l'on s'ennuie ferme et où les modes de travail ne correspondent pas absolument pas à la nouvelle génération donc il faut changer. Chan-ger, vous entendez les vieux ? Peu importe que nombre de jeunes pousses et autres starts-ups n'est pas une once de sens autre que celui de maximiser le profit à court terme - il n'y a pas, par essence, plus de social dans la nouvelle économie que dans l'ancienne. Il y a des jeunes pousses irréprochables et vertueuses à foison comme Hello Asso et des horreurs comme Critéo, cette machine à liposucer de la publicité. Peu importe aussi que nombre d'entreprises se soient converties à des autres manières de travailler : encouragent le télétravail, la transversalité, permettent aux salariés d'avoir énormément d'autonomie. Les entreprises, c'est mal. Les starts-ups où règne le tracking ne sont pas réellement des modèles de management, mais elle s'en fout.

Surtout, quand on l'écoute, on a l'impression d'entendre une Passionaria de la jeunesse, une révolutionnaire pure et acharnée. Comment finance-t-elle ses deux coquilles vides que sont son think tank (j'ai un très sérieux doute sur le premier terme...) et son cabinet de conseil ? Ha mais oui, avec de généreuses contributions des grosses boîtes. Celles-là mêmes qui méritent de crever... Et encore, la jeune "entrepreneure" ne choisit-elle pas des industries en dur, avec des expertises industrielles, des réalisations et autres produits tangibles. Non, elle préfère aller taper les boîtes qui ont mauvaise conscience de leurs pratiques, sans risquer jamais une seconde de changer. On retrouve donc un bon gros cabinet comme Mazars ou BNP qui financent des études qu'ils n'ont pas lu et pas observé la méthodologie (en même temps, vu leurs pratiques commerciales, ça n'a rien d'effarant)... Cette tendance est lourde pour des boîtes doublées dans la course au talent par les cousins du numérique. Aux US, Goldman Sachs et autres font la tournée des facs pour débaucher et récupérer les meilleurs talents et les empêcher d'aller chez Facebook ou Google en promettant aux juniors qu'ils n'auront plus à travailler le week-end.

Demain, elle finira bien par avoir bien plus de 30 ans (elle est, à sa demande, rentrée dans le who's who l'an passé, un truc de quinquas à minima qui se cooptent) et trouvera un autre filon : dire aux jeunes de devenir responsables ? Ca serait une palinodie remarquable, mais elle est en capable. Si le pétrole finira bien par s'épuiser, la mauvaise conscience est un filon sans fin et elle l'a bien compris...  

30/01/2016

Cet entêtement pour "le coup d'après"

iStock_000019901643XSmall.jpg"Alors Vincent, c'est quoi ton prochain truc ?". Cette question m'est revenu aux oreilles un certain nombre de fois pour ne pas dire un nombre de fois certain, ces dernières semaines. Bizarrement, cela venait de personnes qui regardaient, qui scrutaient même mes activités professionnelles. Dans le même élan, elles pouvaient donc me dire "mazette, tu en fais des conférences", et en substance "bon, et sinon, demain il se passe quoi ?". Quelle dramatique impossibilité à vivre l'instant. Pourquoi raisonner en termes de performance, d'accumulations, de nouveautés permanentes ? Ce travers que l'on dénonce chez les entreprises qui, d'ailleurs, racontent des histoires aux marchés. 

Dans mon cas, j'avoue avoir haussé un sourcil inquisiteur car j'ai déjà l'impression qu'entre mes cours, mes conférences et mes articles ou livres, je ne peigne pas trop la girafe. Non que ce soit plus méritoire qu'une mono actualité, d'ailleurs, mais cela m'a particulièrement interpellé dans la mesure où, ayant déjà l'impression de beaucoup me disséminer, voilà qu'on me demande d'en faire plus. Ca m'a rappelé que dans "Accélération", c'est précisément ce que regrette l'immense Hartmut Rosa : on fabrique des agendas de ministre pour des enfants de 6 ans à qui on ne laisse aucun vide. Il faut qu'il puisse jamais songer à l'après. 

Impossible de se "contenter" de ce que l'on est, voilà bien un des pires maux de l'époque. Voilà qui condamne ou réduit notamment tous les profs : "bon, comme d'hab', quoi. Tu corriges tes copies, tu fais tes cours, la routine quoi". Pour les soignants, pour tant de personnes qui essayent, au quotidien, d'aider, on vous serine que l'absence de variété est insuffisante. Il faudrait se "réinventer au quotidien". Les contempteurs ignorent sans doute que c'est déjà le cas : les soignants apprennent par mimétisme, par empathie, par transmission et sans dire qu'elles ont "révolutionné" leur pratique, ont sans bruit muté vers une pratique plus co construite avec leurs patients. Juste, sans employer des termes comme "co-construites", quoi... Idem pour les profs.

Cette rengaine de l'éternel "coup d'après" pousse nombre de gens à s'inventer une vie plus glorieuse, mais fantasmée : combien de cadres ont un roman à venir dans leurs tiroirs dont toutes les pages sont blanches ? Combien réfléchissent à un tour du monde sans avoir ne serait-ce que consulté un Atlas ? Qui promettent de reprendre des études pour montrer une chambre d'hôte et ne partiront pas ? Parfois, on est à l'aise avec ce dédoublement personnel, je ne dis pas. J'imagine tout de même que dans la majorité des cas tout ça est une fabrique à malheur...  

J'étais au Forum de la France s'Engage, initiative présidentielle qui a déjà récompensé 62 lauréats pour leurs engagements d'exception. J'y ai retrouvé mon ami Sébastien Kopp, fondateur voici 10 ans de Veja, extraordinaire entreprise qui fabrique des baskets... je ne sais comment dire, "éthique", "responsable" ? A rebours de ce que fait Nike, en tout cas. Quelle extraordinaire leçon que la sienne : monter un business qui marche, embauche des travailleurs dans des conditions sociales à l'exact inverse des géants du marché. Pourquoi ne pas prendre le temps de disséquer, comprendre, savourer le miracle de ce qu'il fait. Non, même à lui, la question revenait "Ha ouais, Veja, et le prochain truc c'est quoi ?". Cette fascination pour les histoires nous mènent dans le mur. Ca pousse à travestir la réalité pour mieux vendre des choses inutiles, ça construit du malheur inutile chez ceux qui font un boulot admirable mais qu'on ne prend pas la peine de raconter... Franchement, toutes les grands messes d'Apple pour raconter "la révolution" du Iphone nouvelle génération, est-ce bien raisonnable ? A l'évidence, non et pourtant, de façon moutonnière, la majorité suit ces changements et approuve. "Nous sommes devenus des approuvants déambulatifs" écrivait quelque part philippe Murray et notre fascination pour le coup d'après en est l'un des meilleurs symptômes. On devrait se souvenir plus souvent que lorsque les enfants tentent d'en attirer d'autres chez eux en disant "tu verras, on va bien s'amuser", en attendant ils s'ennuient car ils attendent que demain soit plus drôle alors qu'il y a tant de choses sympa, y compris à ne rien faire d'autre que la même chose. 

29/01/2016

Posture, imposture

posture.pngNos amis italiens ont décidément raison avec leur "traduttore, traditore", c'est complexe à rendre dans d'autres langages, ma foi. Mais bon, la référence titresque n'était pas mon propos. Ce matin, en digérant les analyses politiques liées au départ de Christiane Taubira, un mot revient avec force qui m'exaspère : "posture". Ce mot fourre tout pour analyste creux sert à mettre dans un même moule des militants, des soutiens, des élus, une myriade de personnalités différentes qui, pour des raisons extrêmement variées, regrettent le départ de l'ancienne Garde des Sceaux. Pour des raisons de fond, peu importe -pour l'heure - qu'elles soient bonnes ou mauvaises, on nous explique qu'il y aurait des "postures" sur les questions de déchéances de nationalité. Interdiction d'avoir des convictions sur le sujet, vous ne quittez pas un camp ou un gouvernement pour si peu. Ca n'est qu'une "posture". Pour le chercheur en science politique, les résultats par occurence dans les discours du mot "posture" doivent être vertigineux. Des milliers d'accusations en posture, l'argument final, le reductio ad posturum.... 

Hier, un ami élu socialiste, loyal en diable, me confiait ne plus en pouvoir de l'exécutif actuel. Une posture ? Certes non. Mettons nous juste dans les bottes de quelqu'un qui a fait la campagne de 2012, a vibré au son du Bourget et des 60 engagements. Nous voici 40 mois plus tard. La plus grande décision financière du quinquennat, le Pacte de Responsabilité, ou Compétitivité, bref, le Pacte de 41 milliards d'euros de réduction de charges et par ricochet d'étranglement des collectivités locales, ne figurait pas dans le programme. Cette mesure dont on peut penser ce qu'on veut en termes de "réalisme économique" et autres néologismes pour désigner la doxa libérale, mais nul ne peut nier qu'il s'agit d'une mesure résolument pro business, qui bénéficie majoritairement aux grosses boîtes. Idem pour le CICE. Des dégrèvements d'impôts colossaux non prévus et absolument dépourvus de résultats en matière de création d'emplois.... Ca fait beaucoup et c'est à cause de ces mesures que les frondeurs s'étaient rassemblés. Les commentateurs avaient parlé de "posture". Comment peut-on traiter à ce point par le mépris, avec une telle légèreté d'analyse, une ligne politique qui dit juste "je n'ai pas voté pour ça". On ne parle pas de décisions marginales, mais bien du coeur du programme économique du quinquennat. Idem pour la loi Macron et autres décisions qui ont été prises par la suite sans avoir jamais été anticipé. Un mix grandeur nature d'amateurisme total (les chiffrages fait et défaits au fil des mois) et de conversion béate au néolibéralisme qui a de quoi chagriné un élu de bonne foi au-delà de la posture. C'est un peu comme si vous votiez Bernie Sanders et vous retrouviez avec le programme d'Hillary Clinton. Vous seriez un peu chafouin et auriez des raisons de l'être. Dit ainsi, qui oserait opposer à ceux qui regrettent ce matin le départ de Christiane Taubira d'être dans la "posture" ? 

Je crains que ça ne soit plus le cynisme que l'inculture qui explique cela. Elkabach, Mazerolle et Bourdin ou Apathie (vive la parité...) connaissent leur histoire politique et savent bien les différences de courant. Mais comme ils dînent avec tous, ils n'arrivent plus à distinguer cela, ça ne les amuse plus. Ils trouvent beaucoup plus drôle de les interroger sur des différents de personne. Ca c'est rigolo... Au fond, on ne le dira jamais assez mais notre débat public souffre aussi beaucoup de ce que le cynisme de ses observateurs égale voir excède celui des acteurs. Et leur renouvellement inexistant explique mieux que de long discours, notre défiance persistante...