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24/07/2022

Paris, entre craquèlement et dislocation

J'ai toujours aimé Paris l'été, hors canicules. Le temps ralentit, les trottoirs sont moins bondés, on peut trouver une place en terrasse sans se battre ou aller voir une expo sur un coup de tête sans attendre. Depuis que je suis père, j'aime aussi que les parcs ne ressemblent plus au métro japonais à heure de pointe. Depuis 2020, les étés ne sont plus les mêmes. La violence de la crise sociale liée au Covid a exacerbé les étés dans la capitale. Les parisiens aisés fuient dès qu'ils peuvent, partant pour des vacances à rallonge avec sans doute 15 jours de télétravail pied dans l'eau. Et le vide laisse voir un nombre de plus en plus important de personnes à la rue, elles mêmes dans un état de santé de plus en plus précaire. 

Je ne suis pas près d'oublier le 10 mai 2020, quand j'étais revenu de deux mois de confinement à Montrouge la tranquille pour retrouver mon 10è arrondissement. Difficile de voir un bobostan dans l'espace apocalyptique de ces rues, toujours désertées par les riverains, mais arpentées en zigzaguant par des pauvres hères qui avaient connu peu d'aumônes, en deux mois. Bien que me promenant en poussette avec un bébé dedans, je m'étais fait interpellé six ou sept fois en une heure de temps, insulter aussi et presque menacé par des personnes à bout, qui pestaient contre le fait que je ne leur donne pas d'argent. J'ai presque retrouvé cette ambiance, hier, en emmenant ma fille dans un parc de notre nouveau quartier, en quête d'un toboggan. Nous dûmes tourner talons. Il y avait bien un toboggan, mais pas un enfant. Seulement une vingtaine de SDF dormant sur les bancs avec des amas de détritus à leurs pieds. La ville lumière a du plomb dans l'aile. 

C'est d'autant plus révoltant que Paris se vide : les parents trouvent des places en crèche car la mairie en a créé beaucoup et les demandes sont en chute libre. En primaire, c'est plus coton, attention à ne pas être en classe surchargée à cause de fermetures des autres, comme en milieu rural. Les bureaux sont abandonnés. Bref, de la place pour accueillir toute la misère des parcs, il y a. 

A côté de cela, tous les usagers de transports en commun constatent une surchauffe inédite. Pas un temps d'attente un peu plus long, comme tous les étés, mais des "incidents voyageurs" trop nombreux pour être honnêtes, toutes les lignes avec 10 minutes entre deux métros, hors lignes automatisées. Et cette situation est une aimable galéjade par rapport aux absences de bus. Je voyais très fréquemment, aux abris bus, cette mention réservée aux jours de manif "prochain bus dans plus de 60 minutes". Cela se répétait tant, sur tant de lignes différentes, que ça n'était ni un hasard, ni la faute à pas de chance, mais le manque de chauffeurs. Comme toujours, la pensée magique du numérique, la société du "sans" nous éloigne des réalités physiques. Tout est sans contact, sans frais de livraisons, sans attente, et par magie, les choses arrivent. Il y a des soutiers derrière la magie. Et ils n'ont pas envie de trimer pour un salaire pareil. La grande démission touche aussi les transports, une mission de service du public. Le recours aux intérimaires est encore plus voyant que dans d'autres services publics : quand ils ne sont plus là, on ne peut pas maquiller la misère. 

À la rentrée, Paris se sera sans doute maquillée de nouveau pour cacher ces tares peu compatibles avec son récit de ville lumière. Mais cela n'enlèvera rien à la hideur que nous pourrions résoudre. 

21/07/2022

Décélération ou barbarie

Il y a quelques années, Reed Hastings, le patron de Netflix, affirmait goguenard "je n'ai qu'un concurrent : le sommeil".  Cette citation je l'ai découverte dans un livre majeur de Johnatan Crary, "24/7. Le capitalisme à l'assaut du sommeil". Et au fond, alors que nos politiques s'éveillent enfin, le pistolet sur la tempe, à l'impérieuse sobriété, on se dit que le plus indolore avant d'aborder les choix qui fâchent, c'est de décélérer. D'interdire les iconiques "7/11" et autres magasins ouverts beaucoup trop tôt, fermés beaucoup trop tard, toutes lumières, clim ou chauffage à fond. Ce pour des miettes de ce qu'ils appellent "croissance", et encore, à condition de sous payer les femmes et les hommes qui turbinent à l'heure du laitier et à celle des ivrognes. 

Nous nous rendons même plus compte de l'indécence de ces "services" en continu, tant le "bénéfice consommateur" est devenu plus qu'un mantra, un dogme. Feu sur les hérétiques qui osent contester les bienfaits des livraisons nocturnes, de l'ouverture généralisée le dimanche.... Dans une émission de Quotidien, il y a peu, Yann Barthès et ses chroniqueurs, hilares, de se moquer des villes où il fait nuit à 22h. Ces villes sont pourtant pionnières en matière de sobriété. On ne parle d'éteindre des rues réellement passantes, l'éclairage urbain reste un progrès et il faut être un homme pour ne pas comprendre ce que l'obscurité relative des gares et des quais peut avoir d'angoissant. Bien sûr. Il n'empêche. Emmanuel Macron ayant réanimé le Commissariat au plan, ce dernier a là une excellente feuille de route à fournir : décélération, qui, quand, comment ? Et l'on verra qu'enlever tout le superfétatoire, les besoins artificiels dont parle Razmig Keucheyan, c'est autrement plus efficace que "des petits gestes".  

17/07/2022

Qui pour entamer la désescalade ?

C'est triste à dire, mais avec la surenchère et la guerre verbale entre la macronie et la NUPES, seul le RN paraît posé. Et on les comprend. Le Pen était si défaitiste au lendemain de la présidentielle que leurs 89 député.es, c'est Noël avant l'heure. A contrario, la macronie a loupé la majorité absolue et ça les rend aigres. La NUPES aussi ne digère pas de ne pas incarner une opposition hégémonique avec 200 député.es, score qu'elle pouvait légitimement espérer. La perspective d'être très entravé pour les uns et moins puissant que prévu pour les autres suscite chez ces deux blocs du ressentiment. Et on ne fait pas de bonne politique avec du ressentiment...

Si nous étions en cour de récréation, il ne fait pas un pli que c'est la macronie qui a commencé. Après s'être prosterné dans l'entre deux tours de la présidentielle pour avoir les voix de gauche, ils se sont mis à dresser un signe "=" entre l'extrême droite et la NUPES, repeinte en extrême gauche (Olivier Faure, Boris Vallaud, l'extrême gauche...) les plaçant "hors de l'arc démocratique" (Pap Ndiaye) ourdissant des magouilles d'arrière salle pour les évincer des postes à responsabilité à l'Assemblée. Bien sûr. Mais il n'empêche. Faire de la harangue, des parallèles douteux entre Macron et Pétain et autres tournures populistes, ça ne nous mènera pas loin. Ça prend tout le bruit médiatique et l'on ne voit que deux groupes de chiffonniers pas dignes. Et on entend plus le RN. Quand on écoutait leur doyen, il réhabilitait l'OAS... Ces gens là (à dessein) n'ont pas changé, ils sont toujours immondes et attendent que le fromage leur tombe dans le bec. Les oeillades grossières de Darmanin sur l'expulsion des étrangers délinquants n'y changeront rien, les électeur.ices préfèrent toujours l'original à la copie. 

Notre répartition tripartite des sièges va immanquablement rendre fou et crée soit des blocages intenses, soit des conflits énormes. Peut être déborderont-ils dans la rue, peut-être mèneront-ils vers une dissolution. Ça ne peut être cinq années tranquilles. Il faut se préparer à toute éventualité en apparaissant comme prêts et pour cela, il faut être les plus malins. Nous ne sommes pas dans une cour de récréation, peu importe que les provocations initiales viennent de la macronie, il faut entamer une désescalade et montrer calmement l'inhumanité de leur projet socialement mortifère et écologiquement désastreux. Calmement, ça sera électoralement bien plus payant.