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22/04/2022

Vue du barrage, le vertige

En 2002, Jacques Chirac recueillait 25,5 millions de voix, Jean-Marie le Pen 5,5 millions. 9 millions s'abstenaient. En 2017, Macron, 20,7 millions, Marine le Pen 10,6 millions, 15 millions s'abstenaient (le pays avait beaucoup plus d'habitants, en 15 ans). Le barrage était déjà mort des deux côtés : beaucoup moins d'opposition active, beaucoup plus de non opposition. Chirac seul avait presque deux fois plus de voix pour que Le Pen et l'abstention réunies. Macron 2017 n'avait déjà rassemblé "que" 43% des inscrits. Au premier tour, Macron a certes progressé, mais il collecte 9,8 millions de voix quand l'extrême droite dure, Le Pen et Zemmour rassemblent 10,7 millions de voix. 11,5 millions si on ajoute Dupond Aignan. Derrière le caractère euphémisant des %, les scores en millions de voix souligne à quel point l'idée de fascisme n'effraie plus grand monde. 

Entendons nous bien, les premiers responsables sont ceux qui ont exercé les responsabilités grâce audit barrage. Le fossoyeur fut son premier bénéficiaire, Chirac. En nommant Raffarin puis Villepin, en créant le CPE, le CNE, en réprimant violemment les révoltes des banlieues, Chirac oubliait la Concorde promise et pavait la voie à la France de Sarkozy. En trompe l'oeil, la marque Le Pen s'effondre en 2007, car Jean Marie n'est vraiment pas présentable, mais Marine l'a revivifié et cette fois, sans qu'on n'y trouve rien à redire. 

Si je comprends vraiment pourquoi le bilan du barrage acte sa mort clinique, je regrette infiniment qu'il n'existe plus principiellement. 82% c'était sans doute ridicule, sans doute trop, mais ça voulait dire ce que ça voulait dire : aucune chance. Et c'est précisément ce trop haut, cet infranchissable qui décourage tant et tant de gens. Car l'abstention et le vote blanc ont progressé beaucoup plus vite, ces dernières années, que le vote à l'extrême droite. Cette dernière grignote, gagne des voix puisqu'elle a plus au premier tour de 2022 qu'au second en 2017, mais ça se compte en centaines de milliers quand les nouveaux abstentionnistes sont en millions. Et ils le sont en regardant les chiffres : comme elle ne passera pas, je ne me salis pas les mains, je laisse les autres faire le boulot. Nombre de personnes disent que leur vote du deuxième tour sera motivé par les sondages et ne se résoudront à voter Macron que si jamais le risque était réel. Le dernier sondage connu, post débat, 57,5% contre 42,5% éloigne le risque. On est bien au delà de la marge d'erreur ce qui ne devrait pas susciter de ruée aux urnes. Dimanche soir, l'absence de barrage fort aura des conséquences insuffisamment énoncées : ça galvanisera les troupes. Bien sûr, les gazetiers parleront du "plafond de verre", de "l'incapacité de l'extrême droite à rassembler une majorité, comme pour les Régions ou les grandes villes". Les militant.es, les motivé.es par l'irruption du fascisme ne se tromperont pas de lecture : ils progressent vite, se rapprochent vite. Un score à 45%, par exemple, ne peut que leur donner du coeur à l'ouvrage pour les législatives. Soit les français.es sont cohérent.es et on se retrouve avec 200 député.es RN et c'est la bérézina pour les débats à venir. Soit nous sommes dans la tambouille classique et ils n'en n'ont qu'entre 30 et 50 et pourront alimenter leur meilleur carburant : le caractère non démocratique de nos institutions. Camarades, vue du haut du barrage, on a le vertige et espère bien ne pas faire le saut de l'ange un jour... 

19/04/2022

S'abstenir, c'est mourir un peu

Souvenez-vous, fugacement, au lendemain du congrès LR de décembre, Pécresse était donnée à 20% et même vainqueur d'un second tour face à Macron. Comme nous aurions été nombreux à nous abstenir, alors ! Et sans une once de mauvaise conscience. Choisir entre des fafs socialement acceptés comme Darmanin et Ciotti, non merci. Mais ça n'est pas cette configuration qui nous échoit, ni, hélas, celle à laquelle 8 millions d'électeur.ices ont rêvé. Depuis 10 jours, ma colère retombe très très lentement et j'essaye de comprendre ce qui bloque encore celles et ceux qui n'ont pas fait le chemin les menant au vote Macron dimanche. J'identifie quelques verrous ultimes, tous fondés sur le ressentiment.

D'abord, il y a l'asymétrie de soutien. Dans le cas d'un second tour Le Pen / Mélenchon, nous n'aurions évidemment pas une unanimité médiatique et politique à soutenir Mélenchon pour sauver la République. Quatre ans de mensonges, de propagande d'officines pitoyables comme le Printemps Républicain, relayé par la macronie et nombre d'éditorialistes, ont fini par faire croire que les Insoumis et la défense des victimes d'islamophobie serait un mouvement communautaire. Les articles en boucle sur "les extrêmes", "les populismes" ont beaucoup abîmé. Raphaël Enthoven avait même écrit qu'à "19h59, il voterait Le Pen contre Mélenchon, plutôt Trump que Chavez". Ni oubli, ni pardon. Les dégâts sont profonds et il faudra du temps pour ramener un peu de raison sur ces sujets...

Ensuite, il y a la constance de l'humiliation. Les écrits de Rachid Benzine sur le manque de reconnaissance dans la France de Macron se superpose parfaitement avec la France de celles et ceux qui voteront Le Pen ou s'abstiendront. Il n'y a pas que des nostalgiques du Reich et des colonies, dans les soutiens frontistes. En 2017, une étude montrait que Macron était à plus de 80% chez les habitants vivant à moins d'1km d'une gare SNCF, part  baissant progressivement pour retrouver Macron minoritaire chez les habitants à plus de 5km d'une gare. Les oublié.es, les humilié.es, les mutilé.es, les pris.es pour des con.nes ne peuvent se résoudre au bulletin Macron. 

Les réprimé.es des gilets jaunes, les obligé.es de la première ligne sous Covid ou encore les empapaouté.es de la Convention Citoyenne pour le Climat sont autant de grugé.es du quinquennat qui ont des raisons très légitimes de nourrir du ressentiment. J'entends cela. Je les lis et je suis frappé de retrouver chez celles et ceux qui revendiquent leur abstention au second tour un champ lexical de refus de la soumission, de peur du viol démocratique. "Je me ferais pas baiser", "je me ferais pas enculer cinq ans de plus" reviennent en boucle. J'entends aussi, mais je rappelle juste qu'avec le Pen, ça sera pire, car il n'y aurait plus moyen de hurler son dégoût.  

Je vois un courage, une force morale et une grandeur démocratique inouïe chez toustes ces soignant.es, ces profs qui appellent à voter Macron. Sans illusion, sans rien oublier de ce qu'ielles ont subi pendant cinq ans, de gel polaire de leurs rémunérations à un manque de moyens humains grandissant quand les problèmes allaient croissant. Mais connaissant l'histoire ancienne comme récente, à l'est, ils savent que nos systèmes éducatifs et sanitaires seraient bien pire sous le Pen. Pour les médecins, le tri se fait selon des critères médicaux, pas des injonctions politiques sur la couleur de peau ou les papiers des malades. Pour les profs, les valeurs et méthodes distillées en salle ne peuvent être celles qui ne reconnaît pas en tous les enfants des égaux.

Il y a une dernière frange d'abstentionnistes, les apprentis sorciers, celles et ceux qui rêvent d'un frisson, eux qui n'ont pas connu le service militaire et eu des vies rythmées par les week-end prolongés, les découvertes gastronomiques et autres avec mauvaise conscience d'être les gagnants de la mondialisation qu'ils dénoncent. Ha ! Le Pen ! Là on pourra se battre, être du bon côté des barricades. Pauvres cons, mais surtout pauvre fous, on ne reprend pas le pouvoir aux fafs. Pas sans effusion de sang gigantesque.

Enfin, il y a les experts. Infaillible sur ce qu'il fallait faire pour ne pas attraper le Covid, intarissables sur les raisons de la guerre en Ukraine, ils s'abstiennent désormais car "Le Pen ne peut gagner, c'est mathématique". Mathématiquement, le bloc d'extrême droite est en tête au premier tour. Le reste, c'est de la spéculation. Évidemment, Macron est favori, mais aucun institut, aucun, ne le donne à plus de 60%. Il dépasse tout juste les 55%. Or, au premier tour, les scores de Mélenchon et Pécresse sont différents de plus de 5% de ce qu'on leur avait prédit (en plus pour l'un, en moins pour l'autre). Qu'on nous permette donc d'être prudents. S'abstenir, c'est laisser mourir un peu plus la République et ça c'est impardonnable. Si des soignant.es arrivent à voter Macron avec tout ce qu'ils ont subi, y compris physiquement, je le peux bien, vous le pouvez, nous le pouvons. Pour qu'on soit dans une opposition lundi, il faut entretenir les conditions d'existence d'une opposition. Il est plus facile d'imaginer Sisyphe que Navalny heureux. Merci par avance de mettre votre ressentiment de côté pour quelques minutes dimanche. 

 

 

14/04/2022

Respectez le deuil de l'espérance Insoumise

Depuis dimanche soir, à côté de la colère, je sens monter la lente résignation de devoir monter Macron, dimanche. Ce vote sera à la fois, pour ne pas dire "en même temps", évident et impensable. Il me semble que pour des millions de personnes qui ont voté Mélenchon, cet ascenseur émotionnel est partagé. 

Dans mon cas, ce vote est évident, car mes aïeux s'appelaient Glassberg, connurent les pogroms en Ukraine il y a plus de 100 ans (l'histoire...), ceux plus proches fuirent la France juste avant la débâcle de 1940 et évitèrent la Shoah de peu. Plus près de nous, je me souviens du crâne plein de sang de mon grand frère, qui n'a pas la même couleur de peau que moi et qui servit de défouloir aux poings américains d'une bande du GUD. Je sais bien que rien n'a changé, que la même violence, la même lâcheté, la même haine aveugle est là aujourd'hui et que la présence de Le Pen au deuxième tour impose évidemment de voter pour celui ou celle qui n'est pas fasciste, en face. Car quand les fascistes prennent le pouvoir par les urnes, ils ne le rendent pas.

Ils casseront les services publics plus encore que Macron, remercieront tout autant les riches (Le Pen a jugé les 60 millions de salaire de Tavares cette année "choquante, mais moins que d'autres", je dis ça à mes amis qui pensent qu'elle a "une fibre sociale) et n'hésiteront pas à se torcher avec les conventions internationales pour enfoncer les plus fragiles. D'où l'évidence indépassable.

Mais c'est en même temps impensable. Depuis le début, ivre de lui même, Macron et sa majorité se sont enfoncés dans l'injustice sociale, fiscale, écologique et le racisme décomplexé. Même si voter n'est pas cautionner, mettre ce bulletin dans l'urne me fait autrement plus mal qu'il y a 5 ans, quand il n'avait comme passif "que" du mépris de classe pour les ouvrières "illettrées" de Gad, sa loi économique avec cars low cost et son autre sur le secret des affaires. C'était moche, mais pas sa République Bananière défendue par les LBD. Je les hais. Je les hais et ils me le rendent bien. Je ne compte plus les emmerdes au boulot, les annulations ou empêchements de contrats que j'ai eu pendant cinq ans car j'étais "bien, mais trop politique". Je les hais, mais je peux les haïr, écrire que je les hais, que je les méprise, c'est précieux. Si nous basculions en régime fasciste, je pourrais l'écrire une fois, puis mon compte serait bloqué, à la deuxième je serai en garde à vue ou ce genre de choses. Je mesure la différence... 

Donc impensable et pourtant évident. Mais c'est le 24, que j'irai. Les appels, les injonctions, depuis le dimanche avril à 21H me rendent fou de colère. Une personne, une voix et ces votes sont effectués le 24. Il n'y a pas de prime au zèle. Yannick Jadot, le Agnan du barrage qui leva la main dimanche à 20h02 pour dire qu'il voterait Macron ne pèse toujours qu'une voix et son électorat, pas beaucoup. Pas de quoi la ramener... Leurs procès, leurs oukases sur le manque de droiture, le manque de zèle, sont intolérables. A 20H02, Mélenchon a répété 4 fois, 4 fois !, "pas une voix à Madame le Pen". Alors, non, il n'a pas appelé à voter Macron. Ça n'est pas son rôle et surtout ça n'était pas le moment. Respectez le deuil de l'espérance Insoumise. 

Je voudrais juste rappeler à ces petit.es marquis.es de la bienséance que leurs champions ont maintenu la gauche en état de mort clinique, n'ont jamais su rallumer la flamme. Depuis des années, les scores des candidats de gauche étaient tous désespérément, lamentablement bloqué à un chiffre. Bien avant le "vote utile", Mélenchon avait crevé ce plafond, avait ranimé la flamme. Je sais bien qu'il n'a pas rassemblé 22% des électeurs par conviction, mais il était déjà à 15% avant que ça ne cause stratégie. Il avait déplacé des marées humaines à Paris, Toulouse, Bordeaux, Lyon et Marseille gratuitement, quand les autres candidats de gauche peinaient à remplir des Zénith... Il est le seul et unique à avoir redonné l'espérance si cruciale. Ça n'a pas de prix pour l'avenir. 

En 2017, déjà, les commentateurs tombaient sur les Insoumis en disaient qu'ils seraient "1/3 à voter le Pen au second tour". Ils furent 7%. 7%, c'est peu. C'est déjà plus que Jadot, mais ça reste insignifiant. Ils ne seront pas tellement plus à franchir le rubicond cette année. Sans doute de très nombreuses abstentions, mais des millions d'Insoumis.es vont prendre leur responsabilité, et nonobstant s'être fait cracher dessus par la Macronie depuis 5 ans, venir leur sauver le cul pour sauver la République. Ils vont venir, non par envie, mais parce que la Macronie est déplorable, est nulle et que leur nullité est telle qu'ils ne s'en sortent pas seuls pour écarter le Pen, alors on va faire le taff. 

Mais ne nous y trompons pas, camarades, le bloc bourgeois fond et ne sera jamais majoritaire, dans 5 ans. Leur candidat.e sera balayée par un autre bloc. On aura alors le choix entre un bloc réactionnaire raciste et un autre populaire au service du progrès social et écologique. S'agit de se préparer tôt et de pas se déchirer par anticipation sur la promptitude à voter pour une crapule libérale. Chaque chose en son temps.