13/04/2022
Un mea culpa en préambule
Reposons d'emblée pour éviter tout malentendu : pas une voix à Marine le Pen. Pas une voix pour celle qui ne rendrait pas le pouvoir si jamais les urnes le lui donnait. A cause de cette imbécilité de Constitution de 1958, de son article 16, le vainqueur de l'élection peut se passer de l'Assemblée Nationale pour commencer à gouverner. A celles et ceux qui euphémisent ce risque en parlant de l'insurrection populaire qui s'en suivrait, je pense que vous avez mal compris ce que feront les 55% de flics encartés au RN, avec même le renfort de l'armée s'il le faut : ils s'en donneront à coeur joie pour rétablir l'ordre à la manière des cow boys. Donc, ne comptez pas là-dessus. Le Pen est toujours aussi nulle sur le fond (je sais que le Maghreb est un seul et même pays pour ces gens, mais non, Bourguiba n'était pas algérien...), mais elle est aussi teigneuse qu'Orban, ce qu'elle cache sous des filtres à chats.
Pour autant, à celles et ceux qui somment les électeur.ices Insoumis.es de se presser voter Macron en masse pour sauver la République, il faudrait un mea culpa sur le thème républicain, justement. Depuis cinq ans, cette force politique nouvelle dérange l'establishment pour ses propositions claires sur le partage : des ressources, naturelles comme financières, du temps, des responsabilités. Tout ce que les tenants de "l'illimitisme" (formule de J. Chapoutot à propos de Bezos et Musk qui va très bien à Macron et ses thuriféraires) ont en horreur. L'évidence sociale et écologique est tellement du côté du programme de l'Avenir en Commun (même Roux de Bézieux en convient, à contrecoeur) qu'il vaut mieux pour eux ne pas en débattre sous peine d'être rossés. Comment défendre les 66 millions donnés à Carlos Tavares par le board de Stellantis ce matin ? En économie de guerre, pas de taxe spéciale sur ce genre de rémunération au delà de la honte ? Comment justifier les super profits de Total, BNP, LVMH, non taxés après deux ans de crise Covid ? Impensable. Alors, on agite un contre feu pathétique : les Insoumis.es ont un problème avec la République.
C'est Blanquer qui a lancé le mouvement avec l'islamo gauchisme, suivi par Vidal, Darmanin, Castaner et nombre d'autres hiérarques de LREM. La défense des minorités, des opprimé.es constituerait une sortie de la République. Et nombreux de commentateur.ices, de Bourdin à Salamé en passant par Elkabbach ont repris la ritournelle : les Insoumis ont défilé contre l'islamophobie, c'est qu'ils ont un problème avec la République. Ha ? Et après avoir excommunié le peuple rouge de la République vous voudriez qu'ils viennent vous sauver du péril brun ? Il va falloir des excuses d'abord, et pas du bout des lèvres, s'il vous plaît.
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12/04/2022
La négociation part mal
Ce matin, les journaux narrent que Macron "se fait plus social". En cause, son "absence de fétichisme du chiffre" pour la retraite à 65 ans et la possibilité d'aller seulement jusqu'à 64. Mieux "il est ouvert à un référendum" Et alors, pas belle la vie ? Il arrive ce barrage ?
Pour reprendre les amabilités Giscard / Mitterrand, quand Macron dira à le Pen que son programme appartient au passé, elle pourra, à raison, lui rétorquer que son quinquennat affiche un impressionnant passif. Et c'est à cause de ce dernier que la négociation d'hier est mal embarquée. Le compromis historique français depuis 40 ans a toujours poussé les Présidents à faire moins que promis en se rapprochant du centre. Mitterrand, Jospin, Hollande durent écornés un peu, beaucoup, à la folie, leurs mesures de gauche pour complaire aux marchés et à l'UE. Chirac, Juppé et Sarkozy durent mettre beaucoup d'eau dans leur vin pour ne pas courroucer la rue, les profs, les usines et renoncer aux mesures les plus anti sociales. À l'inverse, Macron promis peu aux marchés (l'ISF et la flat tax) et alla beaucoup plus loin. La violence inouïe de sa réforme de l'assurance chômage en est l'illustration la plus criante, sa réforme des retraites escamotée par le Covid, itou. Et il monte en tensions avec son travail forcé pour le RSA et donc la réforme des retraites à 65 ans. Peu importe, au fond, qu'il dise être prêt à céder un an, il repartira de l'avant, c'est son mantra.
Pour la première fois, la France a élu un idéologue. C'est vraiment Madelin en plus malin, en plus madré, en plus charismatique. Une haine, non pas de l'État (il adore jouer le chef de guerre, pincer les joues des flics et se montrer démiurge de la nouvelle économie) mais de la fonction publique. En apparence, c'est la seule promesse faite aux marchés qu'il n'a pas rempli : supprimer 120 000 fonctionnaires. Mais il est plus pernicieux, plus vicieux que ses prédécesseurs néolibéraux. Plus malin, aussi. Plutôt que d'affronter les syndicats sur des mesures inacceptables, il joue le pourrissement et rend la fonction publique si inattractive qu'elle meurt d'elle même. Sous son quinquennat, le nombre d'aspirants aux concours de professeur.es a plus chuté que la cote de Valérie Pécresse, c'est dire. Idem pour l'hôpital public que son "Ségur" en trompe l'oeil ne sauve pas. Idem pour la justice où les heures supp (non payées) sont la norme et que Dupond Moretti ne sauvera pas. Niveau suppression de fonctionnaires, il a tout de même donné des gages étonnants : Bercy par l'intermédiaire de Darmanin a supprimé 5 800 postes de fonctionnaires aux impôts, chargés de la lutte contre la fraude, pour leur substituer des algos traquant les mouvements suspects. Le service qui pouvait renflouer l'État se retrouve à la diète, ballot. Imaginez que ça soit fait à dessein pour complaire à ses potes oligarques, mais je n'ose y croire. Hormis les flics (précieux pour réprimer les mouvements sociaux), nos services publics peinent à attirer autre chose que des vacataires, des intérimaires, des bouches misère.
Voilà le passif, en cinq ans. Alors vous comprendre qu'hier, la négo du bout du lèvre soit aussi crédible qu'un voeu d'abstinence médiatique de BHL. Quant à "la possibilité d'un référendum" si c'est aussi brillant et abouti que le Grand Débat ou la Convention Citoyenne pour le Climat, on trépigne par avance.
Encore un effort, Macron, on ne veut pas de votre charité, on veut le vrai partage.
07:20 | Lien permanent | Commentaires (0)
11/04/2022
La politique, c'est du rapport de force
Comme des millions d'électeur.ices de Mélenchon, je n'ai pas trouvé le sommeil. La colère ne passe pas.
Reprenons les choses dans l'ordre : l'extrême-droite est aux portes du pouvoir alors qu'elle pouvait être éliminée. C'est aussi simple que ça. Pendant deux semaines, tout le monde va se faire des noeuds au cerveau, pester, avoir peur pour quoi au final ? Voter Macron et donc ployer ou s'abstenir (ou voter blanc) et compter sur les autres pour éviter l'élection de le Pen... Pendant deux semaines, on va avoir des débats de haute volée. Le Pen dira qu'elle veut interdire le voile et infliger des amendes à celles qui le porterait, affrètera des charters et que sais-je. Macron rappellera son bilan avec lacération des tentes des migrants, loi contre le séparatisme votée par les députées RN, enquête ouverte dans les universités pour lutter contre l'islamo gauchisme. Miam ! On aurait pu avoir des débats sur la justice, la justesse, le partage. Le niveau juste d'héritage, de salaire maximum, des minima sociaux, le rôle de la planification pour préserver les ressources. On ne l'aura pas. Rideau.
La colère ne passe pas. On le reproche déjà aux Insoumis.es. Les gens comme il faut le disent "on ne peut pas discuter avec les Insoumis. Trop de trolls. Trop de pulsions. Trop de fascisme". Voilà, les candidats à 2, 3 et 4% expliquent doctement à celui qui a fait 22% ce qu'il faut faire pour rassembler... L'avant centre du FC Trincamp donnant des conseils à Mbappé pour mettre plus de buts.
Fillon Président n'aurait pas gouverné aussi à droite que Macron et le pire est à venir. Après un quinquennat qui a généré un million de nouveaux pauvres, le doublement de bénéficiaires des banques alimentaires, une augmentation des SDF et des mal logé.es, Macron propose le travail forcé pour les allocataires du RSA, la retraite à 65 ans (l'espérance de vie des plus précaires est de 64 ans, mais passons, faut payer les retraites des riches), la paye des profs au mérite et le tri scolaire des mômes dès 12 ans... Face à un bilan et un programme aussi immonde, que Pécresse appelle à voter Macron, c'est normal. La droite décomplexée promise par Sarkozy n'a jamais aussi bien gouverné qu'avec Macron. LR devrait fermer boutique et tenter de négocier de renommer le parti en "Double LR EM" et voilà.
Qu'LR se prosterne, c'est logique, mais les autres ? Hier, Roussel et Jadot ont tout de suite dit "votez Macron !". Sans condition, sans préalable, rien, "votez Macron" comme un réflexe pavlovien... Sandrine Rousseau a sauvé l'honneur, sur le plateau de France 2 en disant "on ne peut pas donner un blanc seing, il faut tendre la main et envoyer des signaux aux électrices et électeurs de gauche avec des mesures sociales et écologiques". Merci. La politique, c'est du rapport de force et on l'oublie trop.
Je lis tellement de banalités, de commentaires insipides et enjoués sur la force du consensus. Mais le Front Populaire ne fut possible que grâce aux occupations d'usines, aux grèves, aux mouvements sociaux. Et le CNR ! Dans la réécriture historique folle opérée par les macronistes, De Gaulle aurait assis tout le monde autour de la table, les communistes et les patrons et décrétée qu'on allait créer la Sécu et les Retraites par répartition. Voilà voilà... C'est évidemment un PCF premier parti et une CGT de combat qui arrachèrent aux patrons toutes les cotisations dont ils ne voulaient pas. Hier, il y avait une opportunité historique d'inverser le rapport de force en faveur du capital, de lui faire peur à nouveau en abordant tous les sujets dont il ne veut pas entendre parler : limites, plafonds, redistribution, droits nouveaux, responsabilités.
Il y avait une opportunité historique de changer un modèle économique inégalitaire et sexiste. Le programme de l'Avenir en Commun menait plus rapidement qu'une nouvelle Grande Cause vers l'égalité réelle. Les femmes attendront, elles ont l'habitude. Il y avait une opportunité historique d'avoir un programme qui écoute plus le GIEC que Black Rock. Le climat s'offrira le luxe qu'il ne peut s'offrir d'attendre, il en a tant pris l'habitude. Le gouffre entre l'espérance soulevée et la catastrophe sociale et écologique annoncée est si immense que la colère ne passe pas. Il va falloir réduire ce gouffre, nous donner des perspectives, donner des gages, pour faire mieux que se contenter de ne pas donner sa voix à Le Pen.
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