16/03/2020
L'enfer, c'est pas les autres
Nous y voilà : confinés, enfermés. Dans quelques heures, tout sera bouclé comme nos voisins italiens et espagnols. Trop méditerranéens, trop insouciants et irresponsables pour nous auto-discipliner, nous avons obligé nos gouvernants à exiger que la police et l'armée nous bouclent chez nous sous peine d'amende.
Nombre d'articles ricanants circulent sur le thème "l'enfer, c'est les autres". Chaque fois, des éditorialistes pouffant que "quand on se met en couple, on veut passer sa vie ensemble, peut être pas toute sa vie". Des articles satiriques relatent une explosion des divorces en Chine suite au mois de confinement mettant en garde les européens contre un inexorable délitement lié à la promiscuité. Le même qui a le plus été partagé jeudi soir suite à l'annonce de la fermeture des écoles disait "quand ils disent qu'on ferme les écoles, c'est avec les enfants à l'intérieur ?".
Dans l'écrasante majorité des cas, il s'agit de second, troisième, xxème degré et tant mieux, c'est salvateur. La situation est suffisamment étouffante pour qu'elle ne devienne pas irrespirable. Néanmoins, à ne pointer que ces cas là, en riant des cohabitations forcées, on élude ce que nos sociétés ont fabriqué de toutes pièces et par millions : des personnes seules par obligation et non par choix.
Les familles dissociées laissent les aïeux seuls et désormais, impossible de leur rendre visite. On parler des EHPAD, bien sûr, mais tous les très séniors sont dans la même situation. Hors de question de laisser des petits enfants à des aînés souffreteux, au souffle court. Les modèles de vie hachées ont crée des records de célibataires. Des millions de personnes seules, vraiment seules, de plus en plus sans enfant par impossibilité au moment où il était l'heure. Rajoutez à cela l'explosion du foncier dans les métropoles qui confinent ces personnes seules dans des boîtes à chaussures. Ça, c'est l'enfer.
Une situation exceptionnelle permet à chacun de relativiser. Nos gouvernants réalisent depuis une semaine que certaines activités sont au dessus des lois du marché. On va pouvoir apprendre à réaliser l'immense bonheur de partager nos vies.
(Avant de me faire tacler sur le thème "j'aimerais t'y voir", vous pouvez m'y voir. Ma fille est évidemment extrêmement précoce, mais elle est à un âge où je ne peux la laisser seule plus de 10 secondes ce qui, vous en conviendrez, est sans doute trop peu pour écrire la suite de la Recherche du Temps Perdu, aider les ados pour leurs devoirs ou les anciens pour des courses.....).
Le virtuel ne transmettant pas le virus, de grosses bises à toutes et tous en ces délicats et un immense merci aux soignant.e.s pour qui l'enfer ne fait que commencer...
11:13 | Lien permanent | Commentaires (7)
15/03/2020
47 millions de choix de Sophie
Je me suis refait le film dans tous les sens, avec toutes les options, tous les arguments contre-arguments et je ne vois pas de décision raisonnable et responsable. "Eu égard aux risques et surtout d'invalidité du scrutin sans second tour, je me dis que je vais m'abstenir, même si j'ai l'impression de déserter. Et en pensant à ça, je me dis que je vais regarder les chiffres de participation et que si les gens y vont, j'irai" me disait la Reine Mère. Je partage, ce point de vue et vraiment, je me désole que les élections aient lieu. Car ça n'est pas à nous de faire ce choix. Macron a voulu être père de la Nation, il a mis tout le monde de côté, depuis 3 ans, il décide de tout, tout seul. Il contredit ses ministres, s'assoie sur ses députés, ignore les syndicats et l'opinion. C'est un autocrate de tempérament, heureusement sans les pouvoirs constitutionnels pour l'être, mais sur absolument tous les sujets, il décide seul et là il laisse à chacun la responsabilité de se rendre ou non dans l'isoloir sans savoir - de l'aveu même de l'Elysée- si le second tour aura lieu.
Les arguments sur "l'impossibilité du report" sont dérisoires. A 19h30, Philippe prend la décision unilatérale, sans consulter aucun des acteurs concernés, de fermer tous les bars, restaurants et autres en 4h de temps. On a vu, du jour au lendemain, fermer des événements pharaoniques en quelques heures. Et personne ne moufte, car on sait que ça sauve des milliers de vie. De la même manière les propos sur une éventuelle critique de "confiscation de la démocratie" par les opposants ne tiennent pas. Bayrou, Morin, Pécresse et tutti quanti appelaient hier à un report des élections.
Scientifiquement, c'est le plus dégueulasse. Les scientifiques sont des gens courageux, ils disent ce qu'ils pensent. Hier, des pétitions de scientifiques, épidémiologistes, médecins, infectiologues, appelaient à l'annulation des élections. Ce matin, le Professeur Mignon dit que "ça n'est pas raisonnable". A visage découvert, ils disent tous ce qu'ils pensent. Qui compose le conseil scientifique sur lequel s'appuie Macron ? Personne ne sait, aucun scientifique ne cautionne les propos présidentiels. Transparence zéro, irresponsabilité et instrumentalisation de la science, maximale.
Il est à peine onze heures et je vais continuer à me faire des noeuds au cerveau. Des ami.e.s y sont allés en rouspétant, en tempêtant, en écumant. D'autres s'abstiennent volontairement, activement, fortement. Je comprends tout le même. Je ne juge personne. Ce n'était pas notre choix et nous y sommes contraints. En apprenant de nouvelles contaminations, certain.e.s se sentiront coupables sans être directement fautifs. En regardant les résultats, certain.e.s se désoleront par contumace. Dégoût.
10:47 | Lien permanent | Commentaires (4)
14/03/2020
La fin des politiques en mode projet ?
Jeudi soir, fiat lux, notre cher Président a été pris d'une révélation : la santé doit être au-dessus des marchés et garantie comme un bien commun. Je le dis quasi sans ironie. Pour l'apôtre du "mode projet" qu'il incarne, le service public est une anomalie. On avait beaucoup glosé et beaucoup moqué son cri de fin de meeting de campagne, "parce que c'est notre prooojet" à la glotte mal tenue, mais c'était son inconscient qui remontait à la surface. Biberonné à la novlangue néolibérale depuis la commission pour la croissance d'Attali à la banque Rothschild, Macron croit dans la supériorité de "l'aglitié", de "la prise de risque", de "la capacité à pivoter en mode projet" et à l'infériorité du dur, du pérenne. Toutes carabistouilles démontées magistralement dans "bureaucratie" par David Graeber, mais je doute que Macron ait lu, ou soit tombé d'accord, avec la figure de proue d'Occupy Wall Street.
Soyons honnêtes, Macron n'a pas inventé le projet, il est le seul à le porter fièrement en étendard. Sarkozy et Fillon, Hollande et Valls aussi vantaient ce socle. Macron a "juste" le malheur d'être aux manettes quand la catastrophe dont il n'est en rien responsable, arrive. Il a continué et accéléré les politiques mortifères de ses prédécesseurs ce qui nous expose d'autant plus. En matière sanitaire, depuis des décennies, on vante et on finance en mode "projet". On ferme des lits partout, en psychiatrie, à l'hôpital, dans les départements de gériatrie... Partout, on encourage "la fluidité des parcours", "l'hospitalisation à domicile" et autres modèles reposant sur un monde où tout va bien. Nous n'en sommes plus là. Il faut regarder les postes de soignant.e.s, leurs salaires et le nombre de lits pour voir à quel point nous investissons.
Car si on regarde le budget global, il monte. Mais beaucoup moins vite qu'il ne devrait, c'est de l'austérité maquillée ou de la croissance en trompe l'oeil, selon le point de vue. Nous avons gagné vingt ans d'espérance de vie en un siècle et notamment les plus fragiles qui vivent plus longtemps. Les personnes en situation de handicap et les personnes âgées dépendantes. Toutes informations peu solubles dans du PIB, dans de la croissance, mais un véritable miracle qui mérite évidemment qu'on investisse toujours davantage. Toujours, quoi qu'il arrive, maintenir des infrastructures lourdes, du tangibles, de l'accueil et de l'humain. Or, depuis 2013, l'hôpital public a vu 5,3% de ses lits disparaître soit 17 500 places qui font cruellement défaut aujourd'hui. 2013, c'est le tandem Valls/Touraine qui se lance dans ce vaste plan social, et Macron poursuit et accélère la saignée sur un corps déjà à l'os. Les deux premières coupes budgétaires en termes de postes équivalent temps plein en 2020 sont.... la santé et l'écologie. Cherchez l'erreur.
Le coronavirus arrive peut être à temps, en France. Pendant sa campagne de 2017, Macron disait que "le statut de fonctionnaire n'est plus adapté au XXIème siècle". Il voulait transformer la fonction publique avec des contrats flexibles, à durée déterminée, de missions, de projets... Hérésie ! On ne peut pas faire tourner le pays en permanence, assurer de la stabilité à chacun, avec des flux momentanés. Les vacataires dans l'éducation, les intérimaires dans la santé, ces armées de réserve montent dans des proportions dramatiquement dangereuses. Bizarrement, pareille agilité n'est pas exigé des policiers et des militaires. Ha, le régalien ! L'actualité nous rappelle de façon tragique que la santé est régalienne.
Tout notre modèle économique repose, de plus en plus, sur le mode projet. Un mode sans défaut, sans accident possible. Or, la vie est faite d'accidents et le coronavirus n'en est qu'un autre parmi une palanquée d'épidémies dans l'histoire... Les surendettements, les expulsions, arrivent le plus souvent après un accident de la vie, perte d'emploi ou divorce. Nos métropoles incarnent cela pleinement, pour vivre à Paris il faut deux salaires réguliers qui tombent pour soutenir le coût de la vie. D'où la sage décision de Macron de prolonger la trêve hivernale de deux mois. Combien de loyers impayés en mars et avril ? Chez tous les travailleurs indépendants au chômage technique sans droit à l'assurance chômage, zéro ? Combien d'intermittents qui n'ont plus que cette intermittence pour vivre, tous les cachets s'évanouissant dans les annulations ? On nous a tellement vanter l'agilité que nombre de connaissances, d'amis, de proche, ont construit un modèle de vie ultra périlleux reposant sur un loyer ou un remboursement d'emprunt trop élevé pour eux, mais qu'ils peuvent s'offrir en mettant leur appartement sur AirbNb dès que le travail ou des vacances les éloigne... Ils subissent aujourd'hui la double peine avec une évaporation de leurs ressources professionnelles et de ces ajouts. Qui pourrait les blâmer d'avoir pris des risques alors que c'est ce qu'on nous vante toute la journée, ce à quoi on nous incite ? Empruntez sur 30 ans à 1/3 de vos ressources, c'est bon pour l'économie...
Pour finir sur une note optimiste, espérons que le coronavirus impose, partout, la fin du mode projet et le retour de nouvelles protections communes. D'abord, le retour intelligent du revenu universel. Mais universel au sens de "inconditionnel". Enfin l'occasion de voir ce que la version de droite (Koenig, NKM en tête) à d'immonde puisqu'elle repose sur un financement fondé sur un effondrement des protections sociales et de santé et l'idée que chacun doit être responsable et s'organiser comme il veut avec son revenu. Un revenu universel digne de ce nom ne peut se financer qu'en mettant à contribution ceux qui aujourd'hui se soustraient au commun, les fraudeurs et optimisateurs fiscaux. De nouvelles protections sanitaires, inconditionnelles. Le retour de dispensaires publics de proximité pour permettre à toutes et tous de se soigner. De nouvelles protections alimentaires ou de mobilité, que sais-je. La seule chose réjouissante de la période, c'est qu'elle impose définitivement un consensus sur la mort du néolibéralisme et l'impérieuse nécessité de tout réinventer.
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