13/04/2020
Chaque pas vers les US est un pas vers la tombe
Commençons par le début, nous ne sommes pas les États-Unis. Nous ne sommes pas un enfer ultralibéral. Heureusement. Mais si nous ne le sommes pas, c'est grâce à nos glorieux aînés du CNR et de toutes celles et ceux qui ont défendu les acquis sociaux, depuis. Pendant soixante ans, ça se passait pas trop mal. Et puis en 2000, le tandem Ewald/Kessler donna un programme à Seillière au MEDEF visant à détricoter systématiquement tout le programme du CNR. Villepin a commencé avec le CNE, Sarkozy a accéléré sur le droit de grève, Hollande l'hôpital et Macron a fait feu de tout bois. Et le COVID a stoppé le pays et deux réformes emblématiques de l'américanisation que Macron voudrait nous infliger.
Il a suspendu la réforme des retraites, laquelle mettait le pied dans la porte de la retraite par capitalisation. On commence et ça s'élargit sans cesse, on connaît le refrain. Aux US, où elle est très présente, elle est à l'origine de la paupérisation accéléré des plus vulnérables. L'effondrement boursier de 2008 avait mis cela en lumière : du jour au lendemain, des millions de séniors aux pensions volatilisées. Plus encore cette année. Des vieux, bientôt SDF ou crevant la dalle grâce à un brillant système reposant sur la bourse pour assurer leur pérennité. Comme oxymore, on fait difficilement plus fort.
Et quid de la réforme de l'assurance chômage ? "Une boucherie" pour reprendre les termes de Laurent Berger, peu taxable d'outrance verbale... Samuel Churin rappelait la semaine dernière que cette réforme exposait les plus précaires, lesquels pourraient se retrouver avec 7 euros par jour d'allocation au lieu de 50... Voilà deux clous dans le cercueil du CNR que l'ont peut ôter mais il faut empêcher toute la déferlante d'arriver sinon, ça se comptera en morts, littéralement.
Ce week-end, on a pu avoir la plus tragique illustration du fait que que le colosse USA a bien des pieds d'argiles quand le plus grand embouteillage du pays concerne celles et ceux qui se rendent aux banques alimentaires, faute d'État-Providence leur donnant le moyen de se nourrir dignement. C'est évidemment du jamais vu depuis 1929 et Feeding America, le réseau qui rassemble 200 banques alimentaires dans le Pays, prévoit un déficit de 1,4 milliards $ en fin d'année s'ils veulent pouvoir continuer à nourrir les plus nécessiteux...
A ceux qui continuent à croire que la charité des philanthropes peu se substituer à la solidarité et qui s'ébaubissent du donc de 100 millions de $ de Bezos, rappelons que Business Insider a calculé que Bezos gagne environ 4 474 885 dollars par heure, ce qui fait que son don à Feeding America équivaut à environ 22 heures et demie de génération passive de richesse. Un rapide calcul nous montre que si l'homme le plus riche du monde se privait de deux semaines de richesses supplémentaires (lesquelles continuent à prospérer avec des morts sur la conscience eu égard aux conditions sanitaires des entrepôts Amazon), les banques alimentaires seraient à l'équilibre financier. Chacun son système, je continue à préférer la solidarité à la charité.
Chaque pas qui nous dit qu'on doit faire confiance à la création de richesses qu'elle qu'elle soit, prend cette tangente. Le chômage partiel qui nous sauve par millions est un héritage de notre modèle protecteur. Macron a eu la justesse de l'appliquer contrairement à Sarko, en 2008. Il a pris les rênes d'un marché du travail à 86% de CDI donc nous voilà protégés, mais qu'adviendra-t-il à la prochaine crise s'il nous expose avec des réformes insanes comme les retraites par capitalisation, la limitation de l'assurance ou encore la fin du contrat à vie des fonctionnaires (qui figure toujours dans son programme de campagne) ? Puisque nous avons du temps, en voilà une question qu'elle est bonne à se poser...
17:12 | Lien permanent | Commentaires (0)
12/04/2020
La déprime d'après
Perso, un nouveau monde plus juste, plus soucieux de la planète, plus égalitaire, moins violent je suis foncièrement pour. Mais cet idéalisme intérieur ne m'empêche pas, hélas, de regarder ce qui se trame. Et après des journées oscillant entre colère face à des dividendes versées et désespoir face à des nouvelles des hôpitaux, je suis empli d'une gigantesque déprime dominicale.
La faute, sans doute, au fait d'avoir mis le doit dans l'engrenage du monde d'après. Hier, à la demande d'Anastasia Mikova, réalisatrice du film "Woman", j'ai accepté de lui poser quelques questions par Zoom interposé pour un festival intitulé "La Meute d'Amour" de personnalités prônant "un nouveau monde demain". Je lui avais dit oui sans trop me renseigner (mea culpa) suite à une rencontre riche et instructive, avec du temps long et la possibilité d'articuler un discours critique sur les inégalités de genre. Rien de ça hier, où, après une interview de prof de yoga animée par Marion Cotillard et un pianiste, je fus coupé dans mon interview par un imbécile demandant à la réalisatrice si nous n'avions pas besoin de "valeurs féminines" (sic) avant qu'une actrice de "la vérité si je mens" ne proclame l'évidence de la supériorité des femmes car "elles accouchent et il serait temps que les hommes le réalisent". Je déconnectais avant la fin du live, dans un mélange de sidération, et donc, de déprime.
Les discours entendus et lus étaient au delà du mièvre et sans une once de radicalité ou de colère alors même que la situation est d'une injustice inouïe. La convergence des luttes, cette arlésienne, est aujourd'hui infaisable pour la bonne et simple raison que les classes les plus populaires travaillent, elles. Je doute que les caissières, les magasiniers, les auxiliaires de vie et autres livreurs qui, hier, bénéficiaient d'un peu de repos, se soient connectés pour parler mindfullness et renaissance de l'idéal égalitaire car les valeurs féminines seraient supérieures aux autres. Ça n'est pas seulement guimauve ou niaiseux, c'est un repoussoir violent : comment susciter une once d'adhésion de celles et ceux qui triment en parlant respiration et musique sans rien politiser ? Déprimant.
Le même jour, le patron du MEDEF disait qu'il voulait couper des congés et des jours fériés et augmenter le travail hebdomadaire. Sans surprise, Bruno le Maire s'emparait de la déclaration pour aller dans le même sens. On aura le droit au classique théâtre social français avec le patronat qui prononce des outrances et le politique qui tempère à la marge pour s'acheter une figure sociale, et au final, une régression violente. Pour l'heure, c'est l'hypothèse devant nous, à 99%.
Depuis les années 2000, la fortune des milliardaires dans le monde a augmenté de l'équivalent du PIB de l'Allemagne et du Japon réunis, 200 millions d'habitants de pays très riches... Chez nous, cette poignée de nababs s'est enrichie en centaines de milliards d'euros. Les 200 familles du XXème siècle sont moins nombreuses mais plus obèses. Les seules 10 premières possèdent 200 milliards d'euros. 200, milliards. Le reste est littérature. Le seul salut pour un monde d'après c'est de partager l'existence : ressources financières, naturelles, temps, emplois. Les discours de reprise post déconfinement tablent à peu près tous sur une exacerbation du tableau dépeint par Saskia Sassen dans son opus magnum "Expulsions, brutalités et complexité dans une économie globale". Je n'ai pas le courage de le relire, mais je crains vraiment d'en voir le worst of chaque jour aux infos.
08:19 | Lien permanent | Commentaires (9)
09/04/2020
Quel inutile voudrons nous ?
Le célèbre (et ultra surévalué, tout le monde retient le côté sympathiquement anticapitaliste, mais c'est pontifiant sans les moyens de l'être et politiquement guimauve, à la limite du développement personnel) pamphlet de Nuccio Ordine, l'utilité de l'inutile va connaître une seconde jeunesse, maintenant que la moitié de l'humanité vit confiné, et que seuls peuvent sortir travailler ceux qui sont jugés "utiles à la nation".
Le nombre de parasites présents sur cette planète a de quoi donner le tournis. Il reste deux à trois milliards de paysans, mais la disparition massive de ces derniers, "fait majeur du XXème siècle" pour Michel Serres n'a pas donné naissance à l'éclosion de professionnels aussi essentiels.
Difficile de faire plus utile que produire à bouffer, l'acheminer, le vendre (ou le donner...). Comme le faisait remarquer avec force justesse une amie, le coronavirus est bien la première guerre où les populations risquent plus l'obésité que la faim. Ce qui est ballot car l'obésité est un facteur aggravant et rendant bien plus vulnérable au corona. Ce disant, on parle des confinés volontaires et qui vont bien. En Inde, où les parachutes sociaux n'existent pour ainsi dire pas et où 90% de l'économie est informelle, la faim va beaucoup plus tuer que le virus. Oxfam estime que 500 millions de personnes pourraient basculer dans la crise, si des mesures de péréquation entre Occident et Afrique ne sont pas prises.
Chez nous aussi, tout le monde ne bouffe pas à sa faim, de moins en moins, d'ailleurs. En 1985, Coluche crée les Restos du Coeur parce qu'un pays riche ne peut avoir des gens qui crèvent la dalle. 5 000 bénévoles, 8,5 millions de repas distribués cette année là. Depuis, la France est 3 fois plus riche, mais la création de richesses bien plus mal faites, l'esquive de l'impôt atteint des niveaux fous et le chômage réel n'a jamais été aussi fort. 5 à 6 millions de personnes ne bossent pas autant qu'elles voudraient (hors confinement, évidemment). Les Restos du Coeur, dans la France de 2018 infiniment plus riche ont 70 000 bénévoles qui distribuent 136 millions de repas. 15 fois plus qu'il y a 30 ans sur l'essentiel de l'essentiel, l'utile parmi les utilités. Tu parles d'un système efficace...
La première des priorités, demain, sera de remettre dans l'utile. Qu'avec moins de richesses collectives, on priorise beaucoup mieux l'allocation de celles qui seront recrées. Plus d'argent pour la santé et l'éducation, évidemment, et mieux partager l'emploi pour éviter qu'on se retrouve avec une explosion de la faim, des loyers impayés, des factures énergétiques impayées.
Passés ces besoins ultra essentiels auxquels on pourrait ajouter la mobilité et le fait qu'il faudra peut être généraliser la gratuité des transports en commun pour alléger la facture des plus fragiles comme pour diminuer le CO2, viendra le moment de trancher dans les services et loisirs. Et en parlant de "relance", on parle peu de ça. Mais on voit bien que tout calfeutrés, nous manquons avant tout d'inutiles rencontres. De rencontres artistiques, sportives, de l'otium si utile. Le lien social du match de foot entre potes nous manque plus que l'Euro 2020, et la pièce de théâtre pour laquelle nous avons nos places nous fait plus de l'oeil que la nouvelle saison de la casa de papel. Ça, ça va manquer comme manqueront (pour l'heure le compte n'y est pas) les moyens permettant à la vitalité de reprendre. Sans parler du vraiment inutile, les apéros en vrais, absolument pas compensés par leurs ersatz sur Zoom où on ne s'engueule même pas... Alors, évidemment, dire qu'il faut un plan Marshall pour l'apéro, ça ne fait pas très sérieux, mais la 5G est tout issu inutile, beaucoup plus onéreuse et surtout beaucoup plus néfaste pour l'environnement. C'est pourtant sans doute vers cet inutile là que les fonds afflueront. Et c'est bien con.
Perso, j'ai la flemme, mais si quelqu'un cherche un sujet d'écriture pour son confinement, je suis sûr que "l'urgence de l'inutile" trouverait un lectorat.
13:57 | Lien permanent | Commentaires (3)