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13/03/2020

Et nous courons comme des canards sans tête

Quelle gigantesque défaite pour l'intelligence collective, tout de même. Alors que l'info circule partout, de partout dans le monde, que nous savions, nous avons ignoré les choses. Que nous n'ayons pas écouté les méthodes chinoises, c'est plutôt heureux, tant je doute qu'il soit un progrès de vivre des scènes sorties du cerveau d'Orwell comme ces piétons rappelés à l'ordre par des drones leur intimant de rentrer chez eux et de porter un masque sous peine d'amende.... Mais d'autres pays d'Asie, Taïwan en tête et Hong Kong ont contenu l'épidémie en bloquant davantage aéroports et trains, et en faisant davantage de prévention, de dépistages et de port de masques généralisés.

Et puis c'est arrivé en Europe, Italie en tête avec le carnaval de Venise, des défilés à Milan et autres. Et les italiens nous ont alerté, à longueur de mails, de vidéos, de lettres ouvertes : ils nous ont conjuré de ne pas nous tromper de signaux. Nous n'étions pas ailleurs, nous étions avant. Une semaine après, sans mesures sévères, nous connaîtrions la même pente. Le temps que le virus incube, se développe, l'effet exponentiel fort bien décrit, font qu'une semaine après ça n'est pas sept fois plus de cas encore encadrables, mais des dizaines de fois plus hors de contrôle. Ce seul vendredi 13, 250 morts dans la journée pour une Italie pourtant entièrement calfeutrée. Impossible de savoir s'il s'agit du pic de l'épidémie, quand elle va refluer... Cela pourrait, hélas, monter. Et nous n'avons pas voulu voir cela.

La communication française depuis le début de la crise choisit de sous-estimer les cas pour ne pas apeurer, ne pas affoler. Une attitude plus que condescendante vis à vis de la population. Sans doute une part de vrai, la peur d'émeutes dans les magasins, dans les gares . Mais la diffusion involontaire d'un sentiment, si ça n'est d'impunité au moins d'une grande légèreté. Laquelle s'est en grande partie évaporée hier, avec l'allocution du président suivie par 25 millions de français. Plus questions de dire des choses comme "on peut pas manifester, comme par hasard". Au contraire, les critiques porteraient plutôt sur le maintien des municipales. Lesquelles seraient apparemment maintenues à cause de l'obstination de Larcher et Fabius. Si c'est avéré, ce dernier, après le sang contaminé, restera comme le plus inconséquent responsables politiques vis à vis de la santé de ces compatriotes... 

Et depuis nous courons comme des canards sans tête. Nous ne savons plus. De moins de 1000, les rassemblements sont passés à moins de 100 aujourd'hui. Mais demain ? Le coronavirus va réussir là où Daech a échoué : vider les terrasses de Paris. Ce soir, encore, elles sont presque aussi remplies qu'à l'accoutumé, mais pour combien de temps ? Combien d'appels supplémentaires de nos meilleurs médecins et soignant.e.s faudra-t-il écouter pour que nous résignons à nous confiner puisqu'il n'y a pas d'autres choix possible ? Les bars, les restaurants, tous ces lieux qu'on devrait éviter (je fais pas le malin, j'étais dans un bar il y a 24h, mea culpa), resteront évidemment ouverts sans interdiction. Et comme elle ne vient pas, nous jouons avec les interdits. Jusqu'au moment où ça va péter. De la plus insidieuse et invisible à l'oeil nu, ce petit covid nous rappelle de la plus macabre des façons que tout est politique et que lorsqu'on ne s'occupe pas de politique, elle nous règle notre compte. 

12/03/2020

Y a-t-il un pilote pour changer le système ?

"Nous sommes au bon moment pour changer de modèle, mais avec les mauvaises personnes au pouvoir" disait la prospectiviste Virginie Raisson-Victor en août dernier. C'était juste avant les dramatiques incendies en Amazonie et Bolsonaro qui regardait ailleurs. Depuis, ça continue en gore et en gore. Nos dirigeants oscillent, sont comme tétanisés par ce qui arrive, mais ne sont pas programmés pour changer de modèle, donc ils subissent. Par réflexe pavlovien, Bruno le Maire disait avant hier "il y aura un avant et un après coronavirus dans la mondialisation. Nous allons par exemple relocaliser la production de médicaments". Une alouette de relocalisation, donc. Quand on lui parlait du cheval liée au CETA, au nouveau traité de l'Union Européenne avec le Vietnam, Le Maire buggait, il ne savait pas répondre...

Ce matin, à la suite de l'annonce de la suspension de la privatisation d'ADP, deux visions du monde s'affrontent. Ceux qui disent "les conditions de marché ne sont plus réunies" ce qui sous-tend qu'elles le seront bientôt à nouveau. Et ceux qui disent qu'enfin, on va changer, puisque les pertes colossales que vont subir le secteur de l'aérien ne seront cette fois pas compensées : flygskam, pression politiques et donc changement de fiscalité, il est probable que les investisseurs seront moins nombreux. C'est l'occasion par exemple de réanimer la proposition de loi de LFI d'interdire les vols intérieurs et de donner des compensations ou allègements à Air France pour leur permettre de devenir une compagnie faisant exclusivement du moyen ou long courrier. En faire, enfin, beaucoup moins. 

Idem pour l'agriculture. Les premières peurs liées au coronavirus concernent la bouffe quand l'Europe produit bien bien plus que nécéssaire pour l'abondance du continent. On peut continuer à exporter les excédents, mais on doit s'interroger sur nos imports massifs et sans doute superfétatoires : le coût écologique des avocats, du quinoa entre en compte bien sûr, mais avant tout l'import de ce que nous avons déjà... La viande argentine, c'est chic, celle du Canada, c'est peu onéreux mais comment expliquer qu'on fasse traverser l'Atlantique à tout ce poids quand il y a encore de la viande chez nous ? On pourrait limiter de façon pharaonique le gaspillage alimentaire, et en l'espèce, épargné des millions d'animaux, ne pas les produire pour les abattre. Mettre, enfin, des limites à notre économie sans frontières pour tous les animaux, et les objets, mais avec de plus en plus de murs voire de herses pour les malheureux qui fuient misère ou guerres... 

Ce que je trouve fascinant c'est que le coronavirus impose une réalité bien plus violente en termes de limitations, de contraintes, d'entraves, que ce que les libéraux rejettent politiquement. Les propositions des élu.e.s écologistes de régulation, de quotas, de diminution de l'empreinte écologique sont bien moins violentes que ce à quoi le coronavirus nous contraint avec des blocages complets, des confinements absolus. Comme quoi, décidément, Virginie Raisson avait et a plus jamais, raison. 

10/03/2020

Extension du domaine des fragilités

Tu parles d'un colosse, notre système. A date, on ne sait pas encore qui est le vrai coupable, mais les deux principaux suspects de la casse planétaire sont bien malingres : un pangolin ou une chauve-souris. Une zoonose de plus, comme la vache folle, le SRAS ou la grippe aviaire. Une de plus, de plus en plus fréquentes, de plus en plus rapide à se propager, aussi. Les grandes pestes du moyen âge mettaient des années à quitter un pays, le coronavirus a atteint son premier patient hors de Chine en seulement huit jours. Et le système entier s'est enrayé plus rapidement que jamais. 

Du très spectaculaire (plus de manifestations sportives et culturelles) au plus symbolique (annulation de salons professionnels) l'arrêt de l'activité économique est bien plus patent qu'en 2008, quand bien même la dégelée sur les marchés est moins forte. Surtout, la crise actuelle met en lumière ce que nombre d'économistes hétérodoxes ont dit depuis 10 ans sans jamais être entendu : nous n'avons tiré aucune leçon de 2008 et sommes infiniment plus vulnérables. Les banquiers, les directeurs de fonds, tous ceux qui ont spéculé sur ces saloperies de subrpimes, ont inventé des produits attrape-gogos, vont mieux que bien. Personne ou presque n'a été sanctionné. Un Madoff pour l'exemple et récemment une filiale de BNP (Helvet Immo) condamné à 150 millions d'euros pour avoir escroqué de pauvres hères. Des amendes dérisoires par rapport aux sommes en jeu. Si dérisoires qu'elles n'ont pas empêché les fonds et banques de refaire n'importe quoi avec la bénédiction de la FED et de la BCE qui ont déversé un pognon de dingue à taux négatif... Maintenant que la fête va à nouveau se calmer, il y a fort à parier qu'ils ne seront toujours pas mis à contribution et que, comme en 2008, les États vont "laisser filer les déficits" et que quand le gros de la crise aura passé, ils reprendront leur laïus sur "l'impérieuse austérité pour rembourser la dette" avec une crédibilité en berne... Quand on accepte d'augmenter la dette de 30% du PIB pour sauver la finance automatisé, on a du mal à être crédible en expliquant qu'un point de plus pour l'hôpital public, l'éducation et la recherche et les minimas sociaux nous condamneront à l'Armaggedon budgétaire...

L'autre fragilité n'est plus financière, mais sociale. Le chômage fut résorbé partout dans l'OCDE avec un recours ultra massif aux travailleurs indépendants qui ont triplé a minima en 10 ans dans tous ces pays. Pour quelques indépendants fortunés et sans risque de panne de commande (dont ma pomme) l'écrasante majorité des cohortes est composé de travailleurs des plate-formes (livreurs, chauffeurs, logisiticiens) et de nouveaux précaires du monde des services qui naguère auraient été salariés (rédacteurs, relecteurs, chargés de projets...). Eux qui sont à l'arrêt depuis quelques jours, quelques semaines, n'ont aucun filet de sécurité, aucune assurance chômage, rien. Bien plus dure sera la chute pour eux, qu'en 2008... Et quand ils devront payer leurs loyers, voire rembourser leurs achats, les choses vont se compliquer grandement. La crise de 2008 a vu une explosion du nombre de SDF, si celle-ci dure quelques mois, l'hécatombe pourrait être plus forte encore.

Insoutenable écologiquement et socialement, notre système ne repose que sur un fondamentalisme financier qui voit dans toute entrave au libre échange du "populisme réactionnaire". Face à des forcenés pareils, l'édifice ne peut vaciller, il ne peut que s'écrouler d'un coup. Difficile, en de telles circonstances, de trouver des raisons de sourire car l'effondrement dans l'état actuel favorisera le sauve qui peut, celui des nababs à même de se payer des milices et laissera les autres en proie à une misère noire.