08/04/2020
Socialisme et barbarie
Crise inédite, remèdes habituels ? Voilà ce à quoi on pouvait songer ce matin, en écoutant France Inter interviewant des économistes de l'OCDE et l'OFCE, Laurence Boone et Eric Heyer, présentés de façon neutres, cachés derrière leurs institutions, quand la première a bossé pour Hollande à l'Élysée, en 2012 et qu'Heyer avait fait campagne pour le même. Deux bons socialistes qui aujourd'hui sont tout aussi barbares que les conservateurs dans ce qu'ils prônent.
A la question des auditeurs "faut-il rétablir l'ISF", ils répondirent tous deux "pas le sujet". La question serait de voir à l'avenir, face aux finances publiques exsangues, "où il faudra faire des économies". Et la même Boone de trouver normal qu'il n'y ait pas de consensus européen, car si on prête aux italiens et aux espagnols, c'est "à condition qu'ils s'engagent à des réformes", traduisez : coupent dans les dépenses publiques.
La barbarie ne s'arrêtera jamais ? Même après ça ? On veut faire subir à toute l'Europe ce qu'on a infligé à la Grèce ? Purge sans précédents des salaires publics, des retraites de tous, diminution de l'Etat, une cure d'huile de ricin pendant que le 0,1% continue la burrata aux truffes sur fonds publics ?
Faut-il attendre que l'ensemble des sept plaies d'Égypte pour qu'enfin les libéraux acceptent de finir les deux possibilités pour rétablir les comptes publics ? Réduire les dépenses OU augmenter les recettes bordel. Les italiens ont les mêmes champions de la fraude fiscale que nous, que Dolce et Gabbana et toutes les crapules du même acabit payent leur dû. En Espagne, le don de 320 millions aux hôpitaux d'Amancio Ortega (fondateur de Zara) avait été refusé par les syndicats qui demandaient, légitimement, 100 fois plus.
Le slogan du NPA souvent raillé "nos vies valent plus que leurs profits" est aujourd'hui à demi appliqué. On s'esbigne à sauver des vies, c'est bien. Mais pour éviter la détresse de centaines de millions de personnes quand on déconfinera, il faudra bien prendre l'argent là où il est. De l'argent, il y en a, sur des comptes au Panama...
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06/04/2020
Qui peut faire plus avec moins ?
Passée la sidération, je me suis demandé comment le directeur de l'ARS Grand Est, lui qui voit depuis plusieurs semaines les structures qu'il gère être si saturées qu'on doit évacuer des patients par TGV médicalisés, comment pouvait-il admettre la suppression de postes et de fermetures de lits dans son périmètre. La réponse officielle, comme toujours avec le new public management, c'est que ces décisions sont prises au nom "de la modernité et la performance".
La même logique prévaut dans nombre de services publics, en premier lieu la recherche et l'Université où l'on vante les mérites de l'organisation "agile" (comprenez le recours à des vacataires ultra précaires plutôt que des titulaires), "la polyvalence" (comprenez le fait que les enseignants chercheurs fassent en plus de l'administratif plutôt que de recruter des personnes qualifiées pour ces missions). Partout, il faut "faire plus avec moins".
On connaît la chanson, "l'État est obèse", "nous sommes dans un pays soviétique où la dépense publique est gigantesqu"e. Dans la besace de ceux qui haïssent l'idée de service public, car ils la jugent inefficace, un chiffre magique : 57%. Dans environ la 1/2 de ses chroniques, cet ineffable crétin de Brice Couturier explique que la France est pénalisée dans le marché mondial car 57% de nos richesses seraient spoliées par l'État Leviathan pour les dépenses sociales. Un chiffre attrape couillons (pour rester poli) car il sous tend l'idée que l'État est de plus en plus riche...
Or, si on prend du recul et regarde le budget de l'Etat sur 30 ans, on est au contraire sidéré par son incroyable appauvrissement. Un petit coup d'oeil sur le site de l’INSEE nous indique que le PIB national était de 760 milliards d’euros en 1985 et de 2 353 milliards, en 2018. Une multiplication par un peu plus de 3, des années lumières devant l’inflation. Le même site ni celui du budget ne donnent le budget de la France dans les années 80. C'est bien dommage. Les travaux de Piketty montrent qu'il a progressé 3 fois moins vite que la production de richesses. On peut lui faire confiance. D'ailleurs, il suffit de voir que si le chiffre de 100% de dettes publique est inquiétant, elles ne représentent que 15% de nos richesses, ce qui relativise notre endettement... Et prouve que nous nous enrichissons en privé, et nous appauvrissons pour la part mise en commun.
L'idée n'est pas "de mettre des têtes sur des piques", mais de regarder où est l'argent. Il y a 30 ans, les fortunes en milliards d'euros (donc de 6,5 milliards de francs) n'existent pas, peut être Liliane Bettencourt, et encore. L'envol des richesses du 0,1% commence. Aujourd'hui, les 10 premières familles françaises cumulent 200 milliards d'euros à elles 10. 200 putain de milliards, 2/3 d'une année de fonctionnement de l'État à 10 familles ! Et elles ne font pas mieux, n'ont pas réduit le chômage, au contraire elles l'ont aggravé avec des délocalisations en masse. Elles ne participent pas davantage à l'effort collectif puisqu'elles n'ont eu de cesse de plaider (avec succès) pour la baisse de leurs impôts directs (exit isf, flat tax, bouclier fiscal) et indirects (niche Copé, CICE...). Elles font moins, beaucoup moins, avec plus, beaucoup plus de moyens. Ballot...
Il faut vraiment être doté d'un cerveau malade pour dire à tous de faire plus avec moins, de penser que la fluidité d'applications comme Doctolib et le renfort de "bed managers" va sauver l'hôpital. Doctolib fonctionne quand il y a plus d'offres que de demandes. Dans les déserts médicaux, Doctolib n'est d'aucun recours. Et aujourd'hui, ce qu'il nous manque, ce sont des lits, les bed managers sans beds ne peuvent rien... Idem pour les autres secteurs publiques, il ne faut pas des MOOC et des student managers, mais des crédits pour la recherche et l'enseignement. Idem pour la justice, l'administration pénitentiaire pour lui permettre de réinsérer... Etc..
Imagine-t-on Apple dire qu'ils vont créer de nouveaux produits sans équipes ? Le privé, quand il affiche des ambitions, met des moyens, financiers a minima. Le public a le droit aux mêmes égards. Un peu comme un truc qu'on appellerait la justice sociale.
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05/04/2020
Tant qu'on manque que de temps...
3 semaines déjà, 3 semaines putain. Et comme disait la pub, "et c'est pas fini". Il est impossible de dire s'il y aura un après radicalement différent de l'avant au niveau global, politique. Toutes les hypothèses sont sur la table et celle d'un retour au business as usual avec une relance hyper forte pour compenser une chute hyper violente n'est pas la moins crédible. Au niveau individuel, en revanche, je suis persuadé que cette expérience anormalement longue changera beaucoup de choses. Au niveau individuel chez ceux qui ont vécu confinés, cela va sans dire.
Pour celles et ceux qui bossent aujourd'hui en tant que soignant.e.s, l'après dépend beaucoup des promesses présidentielles. Si elles sont assumées, et qu'ils et elles ont enfin les moyens, tant financiers que matériels et humains de bosser sereinement, l'expérience covid aura servi à ça... Concernant la ligne d'exposé.e.s, en supermarchés et en entrepôts, les plus exposé.e.s (remarquable article hier, sur les 800 000 personnes travaillant en logistique, 1,5 millions en incluant les livreurs et routiers, deux fois plus que dans les années 80), là, l'inquiétude est de mise. Conditions dégradées avec la loi d'État d'urgence sanitaire qui étend la possibilité de trimer 60h par semaine, faire tourner en 7/7j et pour compenser.... des primes. Les revalorisations salariales attendront, les primes c'est pour calmer la jacquerie, mais ça tombe pas tous les mois en même temps que le loyer. Elles et eux, sont sans doute les sacrifié.e.s pour rien de la crise...
Et pis y a tous les autres, télétravaillants ou chômeurs partiels ou en activité réduite à quasi néant. Autour de moi, c'est l'immense majorité des troupes et le premier manque éprouvé, c'est celui du temps. C'est ennuyeux, mais pas dramatique. On peut tenir deux mois avec des journées un peu tronquées. Des loisirs écornés, rognés, restent des loisirs. Jacques Brel n'aurait pas chanté que lorsqu'il avait le temps dans ses mains, il avait le monde entier. Il lui fallait l'amour à offrir à sa mie. Et ça en revanche, ça se trouve pas sous le sabot d'un cheval ou une application de rencontres caduque en confinement. Celles et ceux qui vivent le confinement sans amour ont peu de chances de le trouver pendant la période. Peut-être ce manque sera t'il trop criant en sortant à l'air libre et nous assisterons, alors, à une armée en quête résolue de grand amour ? Ça serait beau.
Le couple n'étant pas non plus une obligation (à laquelle je me plie personnellement avec beaucoup de bonheur, mais je suis contre l'injonction sociale) celles et ceux qui vivent isolé.e.s mettront peut être en oeuvre ces fameuses bonnes résolutions à s'inscrire à des activités ou des assos pour rencontrer des gens avec qui partager des plaisanteries stupides au prochain enfermement. Ça, c'est plutôt très positif.
Le manque d'espace chez ceux qui ont le choix pourrait changer, aussi. Les tendances que l'on voyaient poindre chez les jeunes diplômés qui télétravaillaient pour ne pas vivre dans un clapier à lapin du centre ville, mais dans une maison au vert sont aujourd'hui gagnants. Tout le monde ayant pris l'habitude de Zoom, et autres Teams, les verrous culturels côté donneurs d'ordre sur le télétravail vont enfin sauter. Les travailleurs de services pourront enfin bosser à distance. Et avec un krach immobilier doublé d'un retour en force du politique, on peut espérer que les maires bloquent et réquisitionnent un grand nombre de logements de centre ville pour celles et ceux qui ne peuvent télétravailler. On l'a bien vu pendant la grève des transports liée à la réforme des retraites : garde d'enfants, profs, salariés de l'agroalimentaire, tous ceux qui font vivre la ville en travaillant vivent souvent trop loin, peut être l'occasion de les rapprocher.
Et pour revenir au manque de temps (pour le manque d'argent, il faudra mieux voter collectivement la prochaine fois, pour une liste mettant en avant le partage), c'est là où les changements pourraient être les plus féconds. Après tout, les baromètres montrent année après année que malgré les progrès technologiques pour nous en faire gagner, nous manquons toujours de temps. 2h par jour, en moyenne. Pas grand chose de neuf en temps confinés, si ça n'est que nous n'y pouvons rien. Le virus et l'obligation parentale écrasent tout et nous ne pouvons, littéralement pas, nous dégager du temps. Mais demain ? Demain quand les enfants retourneront en classe et nous au travail, on pourra, on devra avoir des journées moins occupées par le boulot et décélérer. Et si les choses ne sont pas faites et bien qu'on demande à d'autres, la crise ne devrait pas particulièrement diminuer le nombre de personnes qui cherchent à bosser. Je ne dis pas que ça adviendra, mais sur le papier, tout est réuni pour l'ère du vrai partage.
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