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18/08/2017

Se former à la lutte contre les peurs irrationnelles : un beau projet pour l'Europe

En ce lendemain d'attaques terroristes, traiter la crainte de ces barbares "d'irrationnelle" pourrait relever de la provocation et pourtant... Les habitants de Cambrils quand les 5 terroristes ont été abattus par la police n'ont pour l'immense majorité pas été témoins de la scène, ni confrontés directement aux ceintures d'explosifs, n'ont pas dû esquiver la voiture folle. Il n'empêche, après une nuit sans doute blanche, il serait insultant de qualifier leur angoisse "d'irrationnelle", ce qui est pourtant le cas, statistiquement. Statistiquement, il y aura par exemple plus de morts sur les routes de France un week end d'août que les 13 victimes d'hier. Statistiquement, d'ailleurs, les morts liés au terrorisme depuis le début du siècle et en incluant le 11 septembre sont 1/ infiniment moins nombreux en occident que dans le monde Arabe et en Afrique, ce qui ne nous empêche pas de croire que les terroristes luttent principalement contre nous. 2/ infiniment moins nombreux que nombre d'infections (les moustiques tuent bien plus que les terroristes) d'accidents ou de catastrophes naturelles, toutes choses qui occupent une part très marginale dans le Panthéon de nos peurs. Les terroristes ne gagneront jamais les guerres, au sens militaire du terme. Même face à des Etats amputés militairement, politiquement et financièrement comme l'Irak ou la Syrie, les avancées de l'EI n'ont pas duré. C'est d'ailleurs parce que la guerre est perdue là-bas que les plus désespérés nous attaquent avec des armes de désespérés, des voitures-béliers dont les chances de survie sont celles de Tiwyn Lannister face à la Montagne... En revanche, les terroristes gagnent du terrain dans la guerre des idées. On se déshabille presque entièrement par millions dans les aéroports, les biberons passent au détecteur, les poussettes sont inspectés au peigne fin, demain on exigera des curés qu'ils relèvent leurs soutanes car le propre du Malin est de tromper l'ennemi... le business sécuritaire prospère : caméras, herses, grillage, tasers et autres... les dénonciations, fausses alertes, arrestations arbitraires explosent. Ce sont autant de défaites collectives. l'Europe entière (touchons du bois pour l'Italie) a été frappé ces trois dernières années et l'Europe entière s'est trouvé une explication double à ces malheurs : l'Islam et les migrants. Stigmatisation et punition des deux semblent être le seul mantra de nos dirigeants comme outil de "lutte contre le terrorisme" avec un succès très relatif (merci d'éviter le couplet sur les attentats déjoués, ils le seraient tout autant sans discours et mesures haineuses). Ce faisant, on ne fait que renforcer la baudruche irrationnelle, de l'entretenir en soufflant sur les braises. C'est une chose d'avoir peur après l'événement :
- tous les parisiens se souviennent distinctement de leur effroi quand ils sont descendus dans la rue, le 14 novembre 2015 - c'en est une autre de vivre avec en permanence. Ca ne peut être un projet de société. Ni français ni européen. On dit souvent notre continent en manque de projets commun : être le continent de l'accueil, de l'échange et de la fraternité serait pourtant un créneau magnifique. Après Charlottesville, les US sont mal placés pour nous dammer le pion, c'est indéniablement une chance à saisir.

15/08/2017

Les coiffeurs Afro de Château d'Eau ne prennent pas de vacances

De retour à Paris après quinze jours d'absence, je retrouve mon quartier entièrement déserté. Entièrement ? Pas tout à fait. Quelques coiffeurs afro résistent encore et toujours à l'impériale gentrification du quartier... Lequel, fors cet îlot, ce cesse jamais de devenir une caricature de lui même. En quinze jours à peine, j'ai pu constater au moins trois nouvelles ouvertures ; une boutique "d'asian food" (vive le globish : pourquoi continuer à servir des planches quand on peut s'offrir du "snacking"?), une nouvelle pâtisserie sans gluten (fallait-il vraiment préciser ?) et encore un bar à salades, qui jouxte un bar à porridge, lui même non loin d'un bar à smoothies... Tous ces commerces, comme tous les bars à cocktails qui ont récemment poussé dans le coin, sont fermés. Les propriétaires alignent leur rythme d'ouverture sur celui des riverains. 

Les coiffeurs de Château d'Eau n'ont pas cette latitude. Qu'il pleuve ou qu'il neige (ce qui finira par arriver à Paris en août, au rythme dérégulé où vont les choses), ils sont là, battant le pavé dans l'attente de clientes. On en vient à croire qu'ils sont physiquement là pour s'opposer à l'arrivée de financiers désireux de transformer leurs échoppes en distillerie ou en sandwicherie spécialisée dans les rutabagas... Tels les gardes de la Nuit de Games of Throne, ils veillent pour nous protéger tous de l'hiver progressiste. 

Au-delà des coiffeurs, force est de constater que je n'ai pas eu beaucoup d'interactions avec des commerçants blancs, depuis mon retour. Fils de marxistes, je suis d'un naturel color blind et pense systématiquement le monde en termes de classes sociales plutôt que de couleur de peau, mais là force est de reconnaître que c'est quasi du 100% : du chauffeur de taxi qui m'a ramené sur Paris aux caissiers de Monoprix, aux serveurs des cafés où je suis passé, pas un blanc. En ce 15 août, tout est fermé, fors les coiffeurs afro, les salons de massages chinois et les épiceries arabes du coin. Tous commerces vides hormis les proches des commerçants qui passent. Dimanche, le seul endroit animé du quartier était le café du centre culturel de la communauté hindoue et mauritienne où quelques dizaines de migrants récents s'étaient donné rendez-vous. Vertigineux contraste chromatique.

Alors, bien sûr, les non blancs ne sont pas les seuls à ne pas partir en vacances. 40% des français n'ont pas la chance de bénéficier de congés payés, faute de ressources. Dans le lot, il y a évidemment des millions de blancs précaires. Mais à la différence des français de première ou deuxième génération, ceux qui sont dans le pays depuis plus longtemps ont bien souvent (pas toujours, je suis au courant) de la famille pouvant les accueillir dans une maison, à la campagne, près de la mer ou dans les montagnes. Pas forcément des vacances fastueuses, mais s'aérer et se changer les idées (je suis à deux doigts de reproduire les paroles des "vacances au bord de la mer" de Michel Jonasz et puis non). Les conséquences psychologiques de l'absence de vacances se font sentir dans les couples, dans les rapports au travail et voilà donc encore une inégalité de plus qui pèsera en septembre. Il semble à Aznavour que la misère est moins pénible au soleil, il me semble qu'elle est plus pénible et surtout plus inacceptable quand elle se niche dans un îlot de prospérité comme Paris. 

14/08/2017

Briser le tabou de la limite

limite.jpgCe matin sur France Culture, Lucas Menget désignait l'éléphant dans la pièce, concernant notre ébahissement collectif pour le tourisme : "Pour des raisons écologiques, ne va t'on pas assister à une baisse du tourisme ? Avec une forte hausse du prix des trajets en avions, seules les personnes aisées continueront à voyager beaucoup". Réponse de Jean Viard, notre grand spécialiste de la sociologie du tourisme : "non, on ne pourra pas aller en arrière, il faut continuer à démocratiser le tourisme". Voilà, en un échange, résumé l'impasse du progressisme démagogique et des faux semblants du libéralisme contemporain englué dans l'ultra court terme : mettre des limites, c'est imposer un retour en arrière. Non seulement c'est un sophisme, mais ça sera mortifère pour le genre humain. 

En réalité, il n'y a pas à tergiverser une demie seconde, c'est Menget 1 / Viard 0. A la rigueur, on peut s'autoriser, si l'on est facétieux, la réponse Claude Allègre, scientiste en diable et dire que demain tout le monde voyagera en avion propulsé à l'énergie solaire. Mais eu égard à l'avancée du réchauffement climatique et à la vitesse de déplacement d'un avion solaire aujourd'hui, il faut assumer de passer pour un imbécile. De toutes façons, ça n'était pas la réponse de Viard, lequel se réjouissait que l'on continue à déverser des milliers de tonnes de kérosène dans l'atmosphère au motif que ça serait "le fil de l'histoire". S'opposer à cela, pas par principe, mais au nom de la survie de la planète, vous fait passer pour un amateur de la bougie. Pire, on vous fait passer pour un "bobo" qui peut continuer à voyager, lui et veut "punir les pauvres". Avant que vous ayez le temps de vous expliquer et de montrer, en réalité, que ça sont les riches qui détruisent les planètes pour reprendre la formule d'Hervé Kempf (90% des émissions de CO2 causées par les 10% les plus riches) et que les pauvres sont les premières victimes du réchauffement climatique, on vous oppose la reductio ad bobotum, sorte de blâme définitif. Tristesse... 

L'impératif écologique n'avait pas été prévu par le logiciel libéral au XIXème, lequel refuse de reconnaître son erreur depuis. Il n'y a pas que le tourisme qui fasse buger cette pensée, notre alimentation actuelle nous mène au chaos climatique. Le PDG de Danone l'a d'ailleurs reconnu il y a peu "nous ne pouvons continuer à produire de la sorte" ; reste à voir s'il acceptera le poids de ces propos, à savoir cesser de chercher des matières premières à un bout de la planète, les assembler à un autre pour les vendre dans un troisième... Comme le montre le journaliste Jean-Baptiste Malet dans son livre "l'empire de l'or rouge", les chinois pillent et exploitent l'Afrique pour produire un succédané de tomates dont ils inondent l'Europe avec des étiquettes "made in Italy". Dire qu'il s'agit d'un suicide humain, dire qu'il faut mettre des limites, des barrières douanières, revenir aux circuits courts, et les libéraux dégainent à nouveau le reductio ad bobotum : on renverse la charge de la preuve pour faire de vous des ennemis des précaires. Après tout, cet infâme brouet rouge africo-chinois estampillé transalpin, il est moins cher, non ? Vous vous opposez à la nourriture low cost ? Vous voulez donc qu'ils meurent de faim...

Leur ruse rhétorique est faible et toujours la même. Il faut accepter de dire qu'on doit dépenser plus pour se nourrir, pour se chauffer, pour se vêtir convenablement. Refuser le low cost. Quand on nous opposera que c'est une lubie avec le procès en boboisme, notre réponse est là : dans les années 60, on dépensant 35% de notre budget pour se nourrir, 20% aujourd'hui, c'est ça qui est indécent. On doit correctement se nourrir, se chauffer, retrouver le sens des grands équilibres et faire passer les besoins primaires en amont. N'oublions pas que dans le même temps, les dépenses de logement ont explosé : les familles consacrent une part de plus en plus importante et même étouffante pour se loger. Si l'on peut acheter un pull de moins et limiter les repas où l'on s'autorise du magret, avoir un toit sur la tête reste, en théorie, un droit fondamental (d'ailleurs consacré par le DALO), lequel est menacé par la seule spéculation immobilière. Laquelle spéculation est encouragé par la même logique d'absence de limite. Souvenons nous des cris d'orfraie face à la mesure, pourtant modérée, de Cécile Duflot de limiter les loyers, de les plafonner. Non pas, comme l'exigerait la décence, de les faire refluer, baisser, d'ordonner un reflux de cette bulle immobilière. Juste, mettre fin à la folie. Même ça, ça les avait chagriné. Il y a pourtant un moment où ils devront s'y faire pour la survie du genre humain et pour l'amélioration des conditions de vie de 99% de la planète.