13/06/2017
Décomposition achevée, recomposition attendue
Si la soirée de dimanche a un avantage, c'est celui de la clarté. La République en Marche écrase tout, LR souffre et le PS est mort. Cliniquement mort. Hollande est parti, Hamon et Cambadélis éliminés au 1er tour, comme Mathias Fekl et tant d'autres. Conséquence immédiate : plus aucun moyen financier, plus aucun moyen humain. Nombre de caciques du parti sont allés chez Macron, une part importante a pris sa retraite (volontaire ou forcée) d'autres n'ont plus envie. Sans ces moyens, sans postes à distribuer, l'impulsion ne peut repartir de Solférino qui va d'ailleurs être débaptisé pour cause de dépôt de bilan au sens propre. La déflagration est moins violente à droite, mais le poison instillé par En Marche est plus pernicieux : alors que les projections leur donne au mieux 125 députés, beaucoup moins qu'aujourd'hui (et 85 dans le pire des scénario) plus de 30 d'entre eux ont d'ores et déjà fait savoir qu'ils voulaient passer un quinquennat Macron friendly, Macron compatible, Macron ralliable, en somme. En bref, il reste une grosse soixantaine de députés de droite au clair avec leur famille politique.
Les deux partis présents depuis trente ans atomisés en une élection. Au fond, il y a une forme de logique : à gauche, le libéralisme de plus en plus appliqué, mais de façon honteuse, n'était plus tenable. A droite, la boîte à idées était en panne et les meilleures idées de leur camp venaient d'en face, autant s'y rallier. Comme le disait récemment Yves Thréard du Figaro "jamais la droite n'a fait preuve d'autant d'audace et d'envie de faire bouger l'économie que la nouvelle loi travail de Macron". Trop de pudeur de gazelle face à un évident idéal libéral sécuritaire. Le MEDEF en a rêvé, Macron l'a fait. Macron assume d'avoir une ligne violente sur la sécurité, sa première décision va être de pérenniser l'Etat d'urgence. Les élus "de gauche" qui assument une saloperie pareille sont immunisés contre toutes les autres trahisons.
L'histoire des trahisons n'a rien de neuf. Le PS est à la manoeuvre depuis le début et a une hégémonie sur la gauche plurielle, maintenue à coup de compromis sociaux de plus en plus ténus. Quand, en 83, le PS prend le célèbre "tournant de la rigueur", il ne revient en rien sur tous les progrès sociaux enregistrés depuis 1981 : retraites à 60 ans, semaine de 39h, 5ème semaine de congés payés, nationalisations, mise sous tutelle de banques. En 1997 et la victoire inattendue de Jospin, le PS maintient son hégémonie sur la gauche plurielle comme les parrains mafieux règnent sur leurs quartiers : en payant, mais chichement. Les communistes l'ont compris et ont refusé de repartir pour un tour de sociale-traîtrise en 2012. La CMU et les 35 heures ne suffisaient pas à compenser des privatisations nombreuses et trop de cadeaux fiscaux. EELV n'a pas voulu rompre pour une poignée de députés et trois postes au gouvernement. Cinq ans plus tard, aucune centrale nucléaire fermée, un ministère de l'agriculture et de l'agroalimentaire qui a fait la joie de la FNSEA, l'état d'urgence dévoyé pour arrêter les militants écologistes. Rien à sauver, fors des postes... qui ne sont plus là. EELV a disparu des écrans radars dimanche soir. Triste ironie de l'histoire l'écologie ne cesse de monter dans l'opinion en termes de prise de conscience et sa traduction politique la plus évidente est morte. Bravo...
A droite, là aussi, Macron a débauché tous les types qui sont honnêtes intellectuellement. Libéraux en diable et sécuritaires, Macron coche les cases de leur ADN. Comme eux, Macron n'aime pas l'Etat, encense "les forces vives de l'entreprenariat qui crée des emplois" (à grands renforts de niches fiscales, mais ne nous arrêtons pas à de tels détails). Le symbole parfait de tout ça, c'est notre nouveau ministre de l'éducation. Meilleur ami de Baroin, copain comme cochon avec Sarkozy et Fillon, admirateur de l'autonomie pour tous les établissements sa première décision détonne : mettre fin aux devoirs à la maison en permettant aux élèves de les faire à l'école. Une revendication de longue date des assos de quartiers populaires. Diantre ! Une mesure de gauche ! Blanquer va recruter en masse pour aider les élèves en difficulté et permettre de compenser cette inégalité, merci ! Et non... C'était évidemment trop beau et le ministre d'annoncer que les renforts seront des jeunes en service civique. Aucune pérennité du système (des contrats de 6 à 9 mois...), aucun financement et aucune garantie du niveau des jeunes (le service civique est ouvert à tous les jeunes de 16 à 25 ans, de bac moins 5 à bac+5). La possibilité que d'anciens jeunes en échec scolaire accompagnent des jeunes en échec scolaire est bien patente. Une solution low cost pour aider les plus défavorisés, une solution bien dégueulasse qui rappelle la big society de Cameron. De quoi contenter nombre d'élus de droite.
Il en restera un certain nombre qui ne se rallieront pas : pour des question migratoires et sociétales, que cela soit sur les droits des homosexuels ou autres droits qui peuvent heurter une morale religieuse (droit à mourir dans la dignité, droit à l'avortement), la recomposition d'un bloc de droite dure est à attendre. L'irruption du mouvement des tea party en réaction à l'élection d'Obama montre que ce genre d'agrégat peut se réaliser rapidement. Le FN est en sévère perte de vitesse sur le premier tour. Le second tour clarifiera le leadership : malheur aux vaincus, si Philippot et Le Pen ne s'imposent pas, Wauquiez attend de faire une OPA sur la droite réac débarrassée de cette armée de losers. Nimbé d'une aura victorieuse (il gagne toutes les élections auxquels il se présente) il pourra lancer un gros bloc réactionnaire et europhobe. Avec une meilleure stratégie que le FN (pas compliqué) une telle vague peut avoir des résultats, la Pologne nous le rappelle tristement. La recomposition à droite ne peut se faire que là, tout le reste du spectre est pris par Macron.
A gauche, les majorités intellectuelles, culturelles, programmatiques, sont là. Une refonte fiscale totale pour pouvoir financer tout le reste en préalable : mettre fin aux rentes, comme dirait Macron, mais celles du CAC 40 et autres groupes truandant le fisc. Un étalement de l'impôt beaucoup plus progressistes. Ne peut-on pas aisément dégager une majorité pour dire que la priorité est de récupérer 80 milliards annuels évaporés indument ? Idem pour la règle verte écologique. Un sujet qui irrigue tout : des emplois de demain dans les circuits court énergétiques et alimentaires à la santé de demain, sauvegardé par une production non polluante. Tout ceci, évidemment, en trouvant des outils de prise de décision collective, en mettant fin au césarisme actuel.
Ca ne se fera pas en un jour, alors au lieu de pleurer encore et encore sur qui d'Hollande, Valls ou Macron a vraiment tué la gauche, tournons la page dès aujourd'hui, des millions d'électeurs n'attendent que ça.
09:02 | Lien permanent | Commentaires (38)
09/06/2017
De la bienveillance en actes plutôt qu'en paroles
C'est toujours et encore la même histoire : la violence se trouve-t-elle dans la chemise déchirée du DRH dAir France ou dans les centaines de personnes licenciées malgré un groupe profitable avec l'Etat comme actionnaire ? La violence de la part de militants pacifistes qui s'opposent à un barrage ou un aéroport ou du détournement de l'Etat d'urgence contre le terrorisme pour séquestrer et arrêter arbitrairement des militants écologistes ? Et cette violence, passée sous silence, ne cesse de croître comme le prouve hier la volonté de faire rentrer les mesures d'exception de l'état d'urgence dans le droit commun. Impensable et pourtant en marche...
Demandez aux macronistes s'ils ont conscience de la violence de leurs idées, ils tomberont des nues. Ils se vivent comme l'opposé de la violence. Chez les macronistes, le maître mot est "bienveilance". Accordons leur ceci : ils l'incarnent. Dans les débats, ils invectivent moins que d'autres, tonnent rarement et n'injurient qu'à renforts de "saperlipopette" et autres "flûte à la fin". Bien peignés, chemises repassées et barbes taillées pour les hommes, mèches non rebelles et fard à paupières discret pour les femmes. Ils sont polis. Regardez leur porte parole, Benjamin Girveaux. Parfois la jugulaire sort un peu, on sent le pitt bull sous le labrador, mais il assène toujours ses horreurs d'un ton docte et endort les électeurs qui boivent son breuvage "bienveillant".
Ou est la bienveillance dans leur conception du chômage selon laquelle les personnes privées d'emploi sont les seules coupables ? Candidat, Macron répondait à la question posée par Bourdin "que diriez vous à un chômeur désespéré qui ne trouve pas d'emploi ?". Réponse : "si j'étais chômeur, je me battrais". Vous la sentez, la bienveillance dégoulinante ? Idem pour la bienveillance qui fait d'Uber un "progrès", de "l'autoentreprenariat" un marchepied et de la réforme du code du travail un "abaissons les protections pour augmenter la compétitivité". Partout, en filigrane, il y a l'idée que les pauvres l'ont bien cherché et ne se remuent pas assez et que quand même, quand on veut on peut. C'est la violence folle, immonde, dépeinte par Ken Loach dans "moi Daniel Blake" film honni par le Monde comme "caricature gauchiste"... Avant que le même journal, cherchant une explication à la folle remontée de Corbyn dans les sondages n'envoi des journalistes en immersion aux côtés des demandeurs d'emplois au Royaume Uni et ne réalise que Loach avait parfaitement raison. Flicage généralisé, deux mois sans une livre avant d'avoir des droits ce qui fait que des milliers de demandeurs d'emplois se retrouvent à la rue du jour au lendemain... Pas raccord avec le grand et beau récit d'une société ouverte, mondialisée, cosmopolite, où le capitalisme est un jeu gagnant gagnant que le journal aime raconter, pour May comme pour Macron. Les 1000 personnes les plus riches en Angleterre possèdent autant de richesses que les 40% les plus pauvres. Un score du tiers monde où des "pays les moins avancés" comme on dit pudiquement. Des inégalités qui explosent, une inhumanité partout et des bastions de riches qui se barricadent et jettent de l'huile chaude sur les pauvres hères, c'est bienveillant, ça ? C'est non violent ? Allez vous faire cuire le cul...
08:06 | Lien permanent | Commentaires (22)
07/06/2017
Post élection, électeurs tristes
Dans 4 jours la France devrait être en ébullition avec 577 élections, mais force est de constater que tout le monde -fors les candidats et à la rigueur leurs équipes- s'en fout. Au fond, c'était prévisible : la dernière campagne présidentielle, incertaine comme jamais, a mobilisé tout le monde pendant six mois. Soirées électorales, débats à 5, à 11, puis le fameux débat de l'entre deux tours. Emissions spéciales, émissions inédites, et quelques soirées commentant les débats, décortiquant les stratégies et autres manoeuvres, la France n'a pas débandé politiquement pendant six mois. Une performance étonnante, mais qui forcément, appelle au repos. Pour notre bien-être collectif, il n'était pas possible et surtout pas souhaitable de continuer à s'écharper pendant encore quelques semaines.
Peu à peu, les nouvelles politiques sont passées au deuxième puis au troisième plan des journaux qui préféraient parler du festival de Cannes, des destinations des français pendant les ponts de mai et maintenant, de Roland-Garros. Ceci, pour le plus grand soulagement de Richard Ferrand dont les affaires sont largement aussi blâmables que celles de François Fillon et largement plus documentées, mais qui bénéficie de notre mansuétude collective par épuisement. Dans les matinales radio, les ministres invités n'ont pas à donner leur avis sur le comportement de leur collègue. Castaner hier, Pénicaud ce matin, depuis 8 jours, plus une question sur le sujet : impensable du temps du Pénelopegate.
Idem pour les dérapages homophobes de quelques candidats LREM, idem aussi pour l'infâme sortie du président Macron sur le sort des malheureux commoriens. Se moquer ainsi du malheur du monde, de la mort qui touche en mer ceux qui tentent de rallier Mayotte est immonde. Le président le sait, il s'est excusé et pas une question derrière. Fillon eut sorti cela pendant la campagne, il eut été cloué au pilori. Le Pen ? On aurait dit que le patronyme est éternel et que bon sang aryen ne saurait mentir. Macron ? On s'en fout. Trop tard. Bref, la Baraka de Macron continue et tout ce qui pourrait nuire au mouvement s'efface comme par enchantement.
Résultat ? Les sondages donnent un ras de marée pour dimanche 18 juin. Plus de 400 députés pour LREM. Plus de 66% soit le score du deuxième tour de Macron... Du aux 3/4 à un rejet de le Pen et non une adhésion au messie marcheur : le piège institutionnel se referme sur nous. Méfions nous des projections, évidemment : en 2002, la majorité présidentielle UMP totalisait 43,38% en national pour 398 sièges. Avec un score équivalent (42,9%), la majorité autour du PS et d'EELV en 2012 n'en obtenait "que" 331 députés. 67 députés d'écart avec le même score national, ce, car nombre d'élections locales se jouent à 2% près et peuvent basculer, ou non. Dans le contexte de 2017, l'écrasante majorité de ces basculements risquent de se jouer du côté d'En Marche : les militants FN sont écoeurés par le résultat du second tour et minés par les dissensions. Partout, ils brillent par leur absence et leur refus de faire campagne. Ceux de LR ne savent plus s'ils font campagne avec ou contre Macron, idem pour tant de militants du PS. Quand à la France Insoumise, la vague de la présidentielle s'est brisée sur la statue du commandeur Mélenchon et les dissensions et candidatures ennemies entre FI, Front de Gauche et PCF rendent chimérique l'espoir d'un groupe conséquent. Là encore, tout concorde pour que la dynamique profite à En Marche, seule mouvement à bénéficié de militants toujours hyper motivés, ne lâchant rien, tractant et cravachant malgré la fatigue car la perspective du triomphe est le meilleur des euphorisants.
Il ne s'agit pas de bouder où d'être mauvais joueur : Macron l'a emporté et il est logique qu'il ait une majorité pour pouvoir gouverner, sinon c'est le bordel. Il mérite une majorité relative, bien sûr, mais pas le boulevard qui s'ouvre devant lui. D'où les nombreuses propositions énoncées depuis des décennies pour mettre les législatives en proportionnelle intégrale avec une forte prime au parti arrivé en tête afin qu'il puisse gouverner. Mais encore une fois, Macron aurait pu être éliminé au 1er tour, cela s'est joué à quelques centaines de milliers de voix et il risque d'avoir plus des 2/3 de l'assemblée. Les forces anti libérales, anti loi travail qui vient étaient, si ce n'est majoritaire, du moins équivalent à la moitié des voix. Elles n'auront pas cent députés, peut être pas 50...
En 2012, Hollande avait promis de réformer nos institutions et force est de constater que cette promesse a connu le même sort que le vote des étrangers. Soyons justes, il a amorcé la fin du cumul des mandats, mesure accélérée par la loi Bayrou sur la moralisation de la vie publique. Mais les 10% de proportionnelle intégrale, le redécoupage avec diminution du nombre de parlementaires, tout cela a fait long feu. Car arrivé au pouvoir en 2012 en battant Sarkozy de peu, Hollande avait trouvé des postes à 331 de ses petits camarades, lesquels ne pensaient alors plus follement qu'à leur réelection. Nous avons donc conservé pendant 5 ans de trop des institutions déconnectées de toute représentativité.
Dimanche dernier, on a connu les premiers résultats, ceux des français de l'étranger, ils confirment tout cela. Macron devait faire un quasi grand chelem avec 11 députés sur 12... Mais avec 20% de participation. Au niveau national, tout pousse à croire que nous aurons 50% d'abstention et que tout le monde s'en fout. Bayrou, notre nouveau ministre de la justice écrit depuis des décennies que la vie politique n'est plus pensable sans repenser de fond en comble les institutions pour qu'elles reflètent la démocratie. Le fera-t-il maintenant que les réformes en question amoindriront les pouvoirs de la majorité En Marche ? La réponse me semble dans la question, hélas.
09:24 | Lien permanent | Commentaires (16)