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08/08/2017

Sport partout, plaisir nulle part

 2 images s'entrechoquent dans mon début de vacances. D'une part, un enfant de 2 ans qui apprend à taper dans un ballon. Le plaisir sans pareille que cela lui procure d'être en interactivité avec un autre et de s'échanger un objet en se dépensant. D'autre part, sur Facebook comme sur Instagram, une flopée de photos et de # vantant je ne sais quel accomplissement, je ne sais quel exploit, je ne sais quel dépassement physique d'épreuve inventée par des types qui avaient manifestement lu Sade, avec en gros toujours ce bon vieux mythe du "sky is the limit". L'emprise sportive et le culte de la performance, ça n'a rien de neuf. Alain Ehrenberg l'a magistralement montré dès les années 80 avec la convergence de valeurs en toc dans le sport, la politique et l'entreprise, triple washing réunis par la success story de la décennie dans les 3 domaines : Bernard Tapie. Depuis, l'extension de la bulle sportive s'accroît et vire à l'injonction : impossible d'être reçu en école de journalisme sans potasser les résultats de Ligue 1 et du Tour de France, impensable de ne pas aller au Stade pour qui veut être élu, pas un grand dirigeant qui ne confesse aimer la boxe, l'escalade ou la plongée... Ad nauseam. Nauseam, car on prend le pire du sport : l'ultra compétition, les records, la frime, la haine de l'autre, et la performance comme seule finalité, jusqu'à oublier tout le reste ; règles, autres concurrents, beauté du geste... les sportifs amateurs se blindent d'applis pour suivre leurs résultats quotidiens qu'ils exhibent sur les réseaux et suivent un régime alimentaire pour ne pas lâcher face à l'impossible à atteindre et qu'ils se sont eux mêmes assigné. Tu parles d'une pratique amateur... Le récit qui en est tiré est à l'avenant : on demande aux champions leurs secrets mentaux, culinaires, de sommeil... On optimise tout, on chiffre tout, on marchandise tout. Exit plaisir, échanges, apprentissage commun. Et on ne fait plus de différence entre des champions et sportifs lambdas qui s'imprègnent de cette pédagogie mortifère de la performance à tout prix. Comment attendre de ceux qui passent leur temps à se shooter pour repousser leurs limites, qu'ils puissent entendre l'incapacité ou pire, l'ambition de buller, de ceux qui les entourent ? Ces managers surbookés trouvent 10 ou 12h par semaine pour assouvir leur passion de l'extrême et deviennent insensibles à la demande de celui qui veut partir à 18h pour ne pas se sentir asservi par le boulot... Dans la sphère professionnelle, ce culte de l'égo, de la performance individuelle (les discours sur "le collectif" en entreprise par analogie avec le sport sont à pleurer d'hypocrise, c'est du tout pour ma gueule ripoliné...) sans autre finalité, fait des ravages. Quand on fait mine de s'interroger sur l'explosion du burn-out, réfléchissons deux secondes à notre fascination malsaine pour les records à battre dans tous les domaines... Maintenant qu'on va encore accélérer dans l'hystérie pro JO pendant 6 ans, il faudrait repenser à cet enfant de deux ans. Le sport peut beaucoup : c'est un excellent outil d'éducation, de partage, d'échange et d'intégration. Si on le prend pour ce que c'est : un jeu. On part de ce plaisir qu'on a en nous et on s'en sert au quotidien pour faciliter le dialogue, l'échange, le partage. Le plaisir pour les sportifs et le stade pour les champions. Comme pour les banques de dépôt et de spéculation, il est urgent de séparer deux univers qui n'ont rien à voir : sortons de ce culte performatif avant de mourir d'une overdose, comme un mauvais perdant complexé qui aurait vidé l'armoire à pharmacie avant son prochain combat qui n'aura jamais lieu...

31/07/2017

Ni de droite, ni de gauche : ploutocrate

download.jpgPendant la campagne, on nous serinait "ne faites pas attention, ce sont des promesses de campagne, c'est pour parler plus large et ne pas effrayer la droite". À la formation du gouvernement et à l'annonce des premiers textes, on nous a dit "pas de procès d'intention, il n'y a encore rien de fait". Mais maintenant que les textes sont là et passent, on a le droit de parler de ce qui a été fait, non ?

3 milliards d'exemption fiscales pour les 3 000 familles les plus riches de France d'un côté, baisses des APL, suppression de 180 millions de crédits destinés à créer 12 000 HLM, baisse violente du budget de la politique de la ville, tout autant de celui du droit des femmes de l'autre : à chaque fois, les publics les plus fragiles trinquent. Pour les 6 millions de fonctionnaires, l'huile de ricin au menu : suppression du jour de carence, gel du point d'indice, 120 000 suppressions de postes comme objectif du quinquennat et hausse de la CSG sans contrepartie de cotisations contrairement aux salariés du privé... Mazette... Ha, mais les salariés du privé, avec cette hausse de CSG compensée sont gagnants, alors ? Pensez-vous. L'Express, pas exactement l'organe officielle des travailleurs, nous apprend le 30 juillet au soir qu'après la consultations des syndicats, les premières ordonnances sur la loi travail comportent au moins 6 nouvelles pour les salariés, licenciables plus facilement, moins protégés, moins rémunérés en cas d'abus, des délais de contestation raccourcis, ad nauseam...

Deux derniers exemples pour la route (mais Macron ne dispose d'un gouvernement que depuis deux mois, tant de mesures détestables en si peu de temps force le respect). D'abord, une mesure passée relativement inaperçue, mais qui en dit long sur la philosophie macroniste : la réforme du droit à l'erreur. Désormais, à part de très graves fraudes (détournement de fonds, blanchiment d'argent...) changement à 180° dans la charge de la preuve : l'entreprise "oublieuse" de payer ses cotisations n'aura plus à prouver sa bonne foi, mais s'acquittera simplement du montant de ses omissions successives... Pas vu, pas pris. Vu, tu payes ce que tu dois légalement... On se pince tant c'est gros, et tant l'absence de seuil et de garde fou risque de laisser de la place à nombre de carabistouilles... Et c'était donc l'urgence de Macron que de passer ce texte dégueulasse. Et une dernière donc : l'étranglement incompréhensible des agriculteurs bios. Les malheureux, 5% des agriculteurs français ne perçoivent déjà que 2,2% des subventions publiques, un ratio incompréhensible tant l'avenir ne peut être QUE avec ces techniques. Mais non, c'était encore trop pour les lobbys des céréaliers, de l'agro business, de la FNSEA et autres poignées de ploutocrates agricoles masquant une écrasante majorité en proie à la misère, fin des subventions agricoles...

Je pensais déjà que le fanatisme libéral de Macron en ferait le président le plus à droite de l'histoire, mais pas à ce point. Je savais que ses amitiés, son sérail composé de margoulins financiers et autres capitaines spécialistes de l'optimisation fiscale, lesquels n'appellent que des retours d'ascenseurs sans contreparties électorales. Je savais ça, mais je ne pensais pas qu'il serait décomplexé à ce point...
 
Sarkozy avait le RSA pour compenser le paquet fiscal, Hollande les embauches de profs pour faire oublier le CICE : les sociaux libéraux donnent toujours une obole au peuple pour faire passer le tonneau qu'ils leur volent pour le donner aux -déjà- possédants. Mais là, c'est tonneau ET obole pour les possédants. Hallucinant. Sur le sécuritaire, idem, on chasse les migrants, Macron dit même qu'il "ne veut plus en voir dans les rues". Il se trouve que moi aussi, sauf que dans le même temps, Macron refuse de donner des moyens pour l'accueil et l'hébergement d'urgence : en clair, dehors, cachez cette misère que les investisseurs ne sauraient voir. C'est fou.
 
On a beaucoup glosé sur la visite de Rihanna et celle de Bono, le problème n'est pas la venue de ces personnalités (encore que, pour quelqu'un qui voulait rehausser la fonction présidentielle...) mais bien le fait que les budgets de l'aide au développement, de l'action culturelle de la France à l'étranger connaissent des purges sans précédent et que cela n'empêche pas le chef de l'Etat de plastronner à côté de ces deux courtisans. Symbole d'un pouvoir de néo versaillais, de ploutocrates aveugles à la douleur sociale.

 

23/07/2017

Amis libéraux, Stakhanov n'existait pas.

propagande_URSS_stakhanov.jpgDans un cadre enchanteur, à une heure où la morale fond comme le sucre dans le café, je devisais égalité professionnelle avec une grande patronne. Il y avait sans doute d'autres sujets, mais quelque chose me retenait de lui faire part de ma passion pour le panache de Romain Bardet ou mon amour écologiquement coupable du tartare. Cherchant les causes du problème inégalitaire, elle m'avança, sûre d'elle : "le problème c'est que le moment où nous voulons et pouvons faire des enfants est celui où il faut fournir des journées de travail de 14 heures". Du haut de cette saillie quelques siècles de patriarcat productiviste me contemplent avec goguenardise. 

Le couplet stakhanoviste est déjà suffisamment déprimant quand il émane d'hommes, mais si des femmes le reprennent à leur compte sans déconstruire le mythe, où va t'on (la réponse est assurée : dans le mur) ? La fameuse journée de quatorze heures, qui, pour les plus zélés, peut monter à 17 ou 18... Ceci, pour arriver au même résultat que le plus célèbre mineur d'URSS, capable de produire 14 fois la norme d'extraction de charbon. Et encore, Stakhanov avait au moins le bon goût d'être ultra productif et pas de rester dans les mines au-delà des horaires de tunnel. Six heures par jour, pas plus. Ne pas s'attarder, bonne vodka ne saurait attendre. Maintenant que le mur est tombé, on peut peut être s'avouer qu'il n'a jamais trop accompli les performances que lui prêtaient la Pravda ? Comment ces mythes de surproductivité, de bourreaux de travail qui peupleraient les étages les plus élevés des entreprises se transmettent-ils ? 

Je n'en sais rien, mais je continue à lire sans cesse cela dans les portraits médiatiques de grands fauves. Dans la vraie vie, j'en ai connu, mais peu. Et leur cas relevait clairement d'une longue et exigeante entreprise de décontamination pour rester poli. Tous les types (je pense surtout à des mâles) étaient de grands malades pourchassant leurs équipes de mails le 31 décembre à 19h et de relances le 1er à janvier à 11h du type "quand vas tu me répondre ?". C'est insane. Pour deux raisons. La première concerne le sujet dont je discutais avec ma commensale : comme l'a bien montré la dessinatrice Emma, l'auteure de la BD sur la "charge mentale", les hommes ont moins de problèmes à quitter le travail à 21h, non pas parce qu'ils ont plus de travail, mais parce qu'ils ne cherchent pas à rentrer à 18h. Outre qu'ils acceptent les réunions commençant à 18h, ils prennent plus de temps pour déjeuner, musarder, entretenir leurs réseaux. Leurs journées comportent peut être 14h loin de leurs maisons, mais ça ne sont pas 14h de travail. Et ce sont les femmes qui sont pénalisées par cette comédie des bataillons stakhanovistes, ce mythe pèse lourdement sur l'inachèvement de l'égalité femme/homme.

La seconde raison est plus pragmatique : personne ne peut être performant, efficace, utile, 14h par jour. A l'occasion, cela peut arriver. C'est un artiste finissant une oeuvre et pris par la fièvre créatrice, oublie l'existence d'une montre. Ce sont des forces de l'ordre, des pompiers ou des soignants qui restent mobilisés face à une crise sécuritaire ou sanitaire et qui tiendront tant que la population aura besoin d'eux. Passé cet épisode anormale, le besoin de repos se fait sentir et tout rentre dans l'ordre. Si ça n'est pas le cas, on les force à se shooter, à se doper pour tenir et le dopage humain est aussi bon dans la durée que les OGM dopant les légumes. Yummy... Nous en payons déjà le coût aujourd'hui avec les milliards dépensés en arrêts maladies, en incapacité à reprendre le travail, j'en passe et des pires... Dans une société où des millions de personnes n'ont pas d'emploi, quelle intelligence y a-t-il à glorifier le fait que quelques millions (4,3 millions de cadres en France, plus des paquets d'aspirants cadres et dans le lot, une bonne part contaminée par la propagande productiviste) en face beaucoup plus que leurs parts ? C'est inepte et insane. Essayons autre chose.