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13/08/2017

Vous rêvez d'une autre vie, Airbnb a ça en stock

sony-createur.jpgIl y a quelques mois déjà, AirbnB a lancé un service intitulé "Experiences" permettant aux utilisateurs de la plateforme, ô comble de la folie, de "voyager comme les locaux". L'initiative n'a pas nécessairement eu un écho fou, espérons que cela signifie que le succès n'est pas encore au rendez-vous. Hélas, eu égard à l'arborescence proposée, je crains que nombre de gogos ne déboursent leurs économies pour cela et en y songeant, ma foi dans l'humanisme vacille un peu plus. 

Ainsi, les touristes à la découverte de Paris aujourd'hui peuvent -moyennant entre 30 et 300 euros quand même- visiter le Marais « arty » avec Sylvie, faire le marché à Bastille avec Natasha, la tournée des bars avec Carina, une balade à Vélib' avec Anto, regarder travailler un luthier rue de Rome, ou vivre une « Pop-up house party » avec des fêtards du cru. Youpi. Rien ne doit échapper à l'appétit d'Airbnb qui, habile, propose des "expériences" à la fois sportive, gastronomiques, culturelles, insolites, nature, et même, comble du cynisme... "solidaire". Mais oui, "solidaire" : paye tes 200 euros et va avec Ludovic voir les migrants qui sont parqués derrière la Porte de la Chapelle. Distribue une soupe et du café. Avant de rentrer à Miami ou L.A., tu pourras poster la vidéo sur tes réseaux, celle où une jeune afghane te remercie infiniment pour ta bonté, toi qui la nourrit. Merci Airbnb pour ce si beau moment... 

La révolution culturelle proposée par le Club Med dans les années 60 avait déjà quelque chose d'inepte, mais on était loin de l'inhumanité actuelle. Le Club Med disait "ne prévoyez rien, on s'occupe de tout : excursions, loisirs, garde d'enfants". Les formules tout compris font florès depuis 40 ans et continuent, paradoxalement, de gagner du terrain bien au-delà d'un public sénior. Nombre de cadres harassés par la charge de décisions quotidiennes ne goûtent rien tant que des vacances où les seuls dilemmes quotidiens à trancher concernent le choix du menu, de l'activité sportive et de la boisson apéritive... Ca n'est pas mon option, mais après tout, pourquoi pas. Au moins les choses sont claires : on paye pour ne pas avoir à réfléchir à ce que l'on veut. Là, il ne s'agit pas de déléguer son temps libre à un tiers, mais de faire miroiter l'authenticité et de la vendre. Par essence, l'authenticité est gratuite en termes d'échanges monétaires, la proposition d'Airbnb relève donc de l'oxymore. Par des phénomènes de dons contre dons, vous pouvez offrir une bouteille, des bouquins, ou un resto à l'hôte qui vous fait visiter sa ville de façon vraiment authentique. Mais monnayer cela sans faire croire que vous cherchez à suppléer les tours opérators relève d'une malhonnêteté intellectuelle infinie.

Le problème derrière cela n'est ni moral ni éthique, ça c'est le contre feu ou l'écran de fumée envoyé par le capital pour détourner le vrai souci, le problème est économique. Les géants numérique avancent masqués et traitent de réacs ou passéistes ceux qui les critiquent pour ne pas aborder le problème de l'extension sans fin du capitalisme inégalitaire. Il faut se souvenir des dithyrambes qui ont accompagné la sortie du dernier livre de Rifkin sur "La société marginale du coût zéro" où il expliquait sans rire que le capitalisme vivait ses dernières heures et que nous allions joyeusement vers la fin du capitalisme. Tout ne serait qu'échanges joyeux et partage, la possession serait out. Quelle connerie... L'extension du tout marchand a au contraire récemment contaminé jusqu'aux services publics : La Poste vous propose désormais de payer votre facteur afin qu'il discute avec votre aïeul(e). Comment s'étonner qu'elle dévore tout le reste de la société ? Hélas, cette extension creuse encore des inégalités déjà folles. Le crowdfunding, fondé sur l'idée que "tout le monde peut solliciter l'univers entier" arrive à maturité et on constate, évidemment, que ceux qui ont déjà un réseau arrivent à collecter bien davantage que les autres, ils ont les bonnes stratégies et les bons agents. Pire, les records d'une plateforme comme KissKissBankBank ont été enregistré par des stars comme JR et Agnès Varda qui ont ainsi pu financer leur navet en se payant leur 5 étoiles dans le Lubéron pendant que l'équipe technique dormait au camping d'à côté. Collaborative my ass...

Airbnb, c'est désormais largement documenté, est évidement une opportunité inouïe pour les fonds gloutons qui achètent des dizaines d'appartements et autres studettes qu'ils louent à la journée. Saturation du marché de la location, envol des prix, tous perdants. Et là, avec les "expériences" ? Qui peut proposer une visite du Marais arty sinon ceux qui vivent déjà là ? Qui peut prendre 2h pour déambuler parmi les commerçants onéreux sinon ceux qui les fréquentent assidument ? La mauvaise foi proverbiale d'Airbnb fait qu'après le mythe de Mimi Pinson qui loue sa chambre dans le quartier latin pour s'acheter des chaussures, on nous vendra sans doute que la ballade artistique dans le Marais est proposée par Nadia, "jeune habitante de Sarcelles, passionnée d'histoire de l'art et qui consacre tout son temps libre à la découverte de nouvelles toiles". L'indécence des géants du web n'a d'égale que celles des prédicateurs du moyen âge qui racontaient les exempla d'humbles travailleurs heureux pour faire en sorte que les gueux ne se révoltent pas. L'idéologie du "quand on veut on peut" vient de loin et elle est loin d'être moribonde. Le problème est de savoir qui "peut" : chacun dans son coin à l'américaine ou tous ensemble à l'espagnol, mode Podemos. Ne plus chercher à changer la vie, mais les vies. Ça, ça serait la plus grande des expériences humaines, pour sûr. 

12/08/2017

Relire "les Choses", entre plaisir gourmet et effroi glacé

CVT_Les-choses--Une-histoire-des-annees-soixante_5603.jpgPar phobie de ne pas avoir le temps de découvrir et presque par principe, je ne relis jamais rien. Et puis, un ami m'offrit les oeuvres complètes de Perec en Pléiades. Il y aurait eu quelque chose de grossier à ne pas redécouvrir cet auteur dont j'ai à peu près tout lu (je m'en vais rapidement combler les lacunes) il y a maintenant quinze ans. Et parmi tous les romans, je voulais commencer par "les Choses" petit bijou de style et d'observation, dans ma mémoire. C'est bien plus que ça.

"Mais le plus souvent, ils n'étaient qu'impatients : ils se sentaient prêts ; ils étaient disponibles : ils attendaient de vivre, ils attendaient l'argent". Tout le livre est à l'avenant, puissant et elliptique à la fois. Un style très serré qu'on ne lâche jamais. Après, le vrai génie de ce livre, c'est le choix des personnages. Ni rentiers, ni crève la faim, ni Rastignac, ni en marge, ni très diplômés ni cancres : tout le monde pourrait être Sylvie et Jérôme. C'est en cela que la critique de la société de consommation est si forte. Tous les romans qui mettent en scène des types partis de rien et devenus milliardaires mais sentant toujours le vide sous eux, ça peut être grisant, mais l'identification est faible. Idem pour ceux qui campent des révoltes contre les exploiteurs. Fort, empathique sur le moment, mais ça ne reste pas...

Là, ce que Pérec dit de nos pulsions consuméristes, des vies que l'on s'invente si jamais on avait plus d'argent, résonne en chacun de nous. Et son roman des années 60 n'a pas pris une ride. Les personnages ont une peur de la rigidité bourgeoise de la carrière. Peur de perdre leur vie à essayer de la gagner. Évidemment , c'était plus simple lors du plein emploi d'alors, mais les free lance volontaires d'aujourd'hui vivent la même chose (je veux bien témoigner). Pareil pour les rêveries de vies partagées entre le travail à Paris et la cocagne dans l'Yonne ou le Loiret. Beaucoup y songent, peu sautent le pas. L'exil pour une chimérique amélioration matérielle, idem. On remplace Sfax par Singapour et l'herbe verte ailleurs est un myyhe toujours vivace. Relire "les Choses" c'est un plaisir de gourmet car la grandeur du style la dispute à la finesse de l'analyse. Mais cela vous saisit d'effroi, aussi, car Pérec se garde bien de juger hâtivement ses personnages, il se garde bien de se moquer de ceux qui voudraient faire carrière, il ne se lance pas non plus dans un inepte panégyrique des artistes. Il n'oppose pas, comme trop souvent hélas, les damnés complices du capitalisme aux résistants créateurs. Au fond, le plus terrible nous dit Pérec, c'est que la société de consommation fait de nous des êtres velléitaires. Voudrions, pourrions, serions... Relire Pérec c'est s'auto admonester une sacrée gifle et s'assurer que l'on mène une existence mue par des idéaux plus hauts que de reflèter ce que l'Express considère comme une vie réussie.

10/08/2017

chronique d'une mort de France annoncée

 Le village où je passe mes vacances comptait plus de 1000 âmes il y a deux générations, moins de 150 aujourd'hui. Au coeur du village, le gros bâtiment communal prouve que l'école a accueilli beaucoup de monde, fut un temps. Une taulière de restaurant me montre une photo jaunie ; la rentrée des classes de son grand frère : 54 garçons, autant de filles dans la classe voisine. Aujourd'hui, les 4 enfants toujours en âge d'être scolarisés prennent le bus pour aller au village voisin, là où une école demeure, en sursis. Si, dès le plus jeune âge, on vous explique que les strucures essentielles à la vie ne sont pas chez vous, à quoi bon rester ? Ainsi va la mort annoncée des lieux trop petits pour survivre à l'ère du global. Et encore, ce village se meurt à petits feux grâce à la saisonnalité : épicentre de chemins de randonnées, abritant une rivière délicieuse, il attire assez de touristes l'été pour faire vivre quelques commerces et leurs familles. Donc les commerçants restent, les aînés aussi qui sont nés et veulent mourir là. Les actifs le sont la moitié de l'année, ou agents communaux. Mais ils ne travaillent pas plus loin, faute d'opportunités. Il y a un autre village distant de quelques kilomètresa doté certes d'une école mais guère plus. Si l'on veut trouver le reste, il faut faire 20 kilomètres. Outre l'absence d'école, préjudiciable pour les jeunes et leurs parents, qui voudrait s'installer dans un désert médical d'une telle ampleur ? Je ne parle pas d'hôpital : pas un médecin ou même une pharmacie à moins de 20 kilomètres. Et pas de transports... Repeupler ce village est une chimère, mais ne doit pas éluder les débats inhérents à notre urbanisation galopante. Tout le monde ne pourra, ne voudra, ne devra vivre dans les grandes villes. Si l'on veut se nourrir correctement, entretenir un patrimoine gastronomique, architectural et culturel qui fait notre renommée mondiale, il faut se donner les moyens. Sans doute pas en essayant de sauver cette merveille de paysage où je demeure (ébahi), pour laquelle il est déja trop tard, mais les villes moyennes de quelques milliers d'habitants jusqu'à 30 000. Pour celles là, ne rien lâcher de l'offre de transports en commun, toujours plus d'attractivité scolaire et médicale, des espaces mis à disposition des travailleurs nomades, il faut le faire. On nous dira que ça a un coût, mais doter convenablement la France de transports de proximité coûte infiniment moins que notre folie TGV. Inciter les médecins à s'implanter là, leur faire "un pont d'or" permet une politique de prévention bien moins onéreuse que traiter l'incurie à l'hôpital... On ne peut pas continuer cette hypocrisie consistant à encenser l'hexagone des villages lorsque les caméras du Tour de France le filme et le saigner budgétairement dès que l'écran passe à autre chose. Un peu de cohérence : ça n'est parce qu'on meurt en silence sous nos yeux qu'il faut laisser faire. Ca reste de la non assistance à territoires en danger.