Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

05/11/2016

We need an independant workers new deal

new deal.jpgDans les débats de la primaire à droite, la seule candidate à prendre la mesure du monde du travail qui vient est NKM. Tous les autres sont aux prunes. Plein emploi chimérique, casse de l'emploi public contre floraison démiurgique d'emplois privés, ils se livrent à une surenchère de promesses dignes des meilleurs charmeurs de serpent sans jamais se mouiller à nous dire quelle nature d'emplois seraient crées. Ils laissent tous un flou artistique charmant, pour laisser supposer que l'on parle bien de CDI...

Pas sérieux. Dans un marché où le CDI est l'exception (10 à 12% des embauches quand il y a faste) et où les CDD ne peuvent constituer, par définition, un socle pérenne, l'éléphant dans la pièce, ce sont les travailleurs indépendants. Leur nombre connaît une explosion impressionnante et exponentielle depuis la crise de 2008. A tel point que notre paysage de l'emploi a changé en profondeur alors que nos représentations sont restées immuables. Dommage. Il faut s'y coller rapidement car la difficulté de penser le statut et les besoins de ces travailleurs est qu'ils se ressemblent autant qu'un Kandinsky et un Jeff Koons. C'est dire...

Pays déprimé, angoissé et pessimiste, la France adopte une représentation médiatique à l'unisson. Lorsque des sujets traitent ces travailleurs indépendants, surtout montrer les plus précaires et dépendants pour bien souligner que ce statut est une régression. Les chauffeurs Uber réquisitionnés à la demande, les livreurs Take it easy et autres auto entrepreneurs précaires ultra dépendants d'un seul client et sans aucune capacité de défense. On explique alors de vraies failles en termes de protection sociale, mais on ne revient pas à la base du problème : ils n'ont d'indépendant que le statut, sans la volonté. Ce sont des indépendants subis ce qui, comme pour les temps partiels du même nom indique bien qu'il y a malaise. Le nombre de "class actions"' perdus par Uber en témoigne : si les chauffeurs avaient le choix, ils préféreraient être salariés. Au lieu de remercier ces rapaces de donner 3 piécettes à ceux qui fournissent toute la valeur, on devrait trouver un moyen de financer les nouvelles sécurités du XXIème siècle : si le chauffeur ou livreur veut dépasser sa condition actuelle comment changer de qualifications et se former sans moyens et sans droits ? S'il tombe malade, quelle couverture ? Voilà les enjeux. Et ils en ont besoin plus que jamais car ils sont les grands perdant de l'économie des plate forme développée par des géants du numérique récemment : ils cumulent tous les inconvénients du salariat et ceux de l'indépendant. Pour eux, il y a urgence.

Après, pour éviter de sombrer dans une sinistrose collective face à cette inexorable montée en puissance du régime des indépendants, on aurait le droit aussi de dire que nombre d'entre eux vont bien. Personnellement, je suis travailleur indépendant depuis 7 ans maintenant et à l'évidence, je ne retrouverai jamais les conditions matérielles dont je jouis aujourd'hui. Un rapide examen me permet de dégager quelques maigres avantage : une mutuelle et des tickets restaurants et des congés payés par avance. Bien, les deux premiers donnent un avantage financier aisé à calculer et ne dépassant pas 150 euros (le salarié paye la moitié de ses tickets, et une mutuelle même très coûteuse ne dépasse pas 80 euros) quand au troisième, c'est très spécieux puisque la plupart des employeurs qui pourraient potentiellement recourir à mes services ne me laisseraient sans doute pas partir 9 semaines par an, estimant ma présence indispensable dans de merveilleuses et interminables réunions d'étapes...

En somme, je n'aurais certainement pas plus de temps pour moi si je redevenais salariés : s'il m'arrive de bosser le week-end, il m'arrive aussi d'aller au cinéma à 10h ou 14h en semaine, je m'y retrouve toujours. Et financièrement, même en tombant sur un RH stupide, je pense que je percevrais au moins 50% de revenus en moins. N'étant pas issu d'une grande école, sans poste réellement défini, je me retrouverai dans un ventre mou managérial et devrai supporter les humeurs et récits de mon chef. Et j'en connais des dizaines exactement dans mon cas. Comme pour Sisyphe, il faut parfois imaginer les free lance heureux car certains (dont ma pomme) cumulent avantage du salariat et de l'indépendance : j'ai en réalité une certaine assurance sur la récurrence de l'activité (même si en société il faut dire que "je prends des risques" car "je suis écrasé par les charges"...) et je peux m'octroyer le luxe de choisir mes clients ce que ne peut faire un salarié.

L'indépendance peut donc être un statut tout à fait épanouissant et joyeux, à quelques évolutions prêt. Des évolutions relativement conséquentes, en fait, eu égard au fonctionnement du RSI ou de la CIPAV pour les retraites. Certes, mais cela n'est pas nécessairement plus infranchissable que de trouver 41 milliards d'allègements de charge en une nuit pour complaire au MEDEF. Là où il y a une volonté, il y a un chemin et nous étions à l'orée de celui-ci avec le CPA, seule mesure intéressante dans la loi El Khomri et bizarrement non débattue et pas poussée. Tristesse. Car s'il est un domaine où la puissance publique doit bien donner l'exemple, c'est celui-ci. Si on ne gouverne pas par décret, on peut indiquer un chemin, ouvrir la voie aux autres acteurs. Et en la matière, les freins auxquels les indépendants font face ne sont pas dans leurs relations quotidiennes avec les pouvoirs publics, mais avec les financiers du quotidien. En effet, le biais culturel pèse trop lourd puisque les banquiers, risquophobes avec les particuliers (et risquophiles sur les marchés, mais ces gens là ne sont pas à une contradiction près) ne comprennent que le CDI lorsqu'il s'agit de vous aider à vous loger dans le cas d'un achat et, hélas, les propriétaires sont dans la même logique lorsqu'il s'agit de louer. Ils seront obligés de changer lorsque les CDI se seront franchement taris, mais il serait beau que leurs pratiques changent plus vite que le marché de l'emploi... Aujourd'hui, fausses fiches de paye, faux bulletins d'emplois et autres petits accommodements avec la vérité (je rechigne à écrire "fraude" mais je le pense) sont légions. Ce comme autant de maquillage outrancier et grossier pour ne pas accepter de voir que la réalité a changé. De ce point de vue, la France ressemble à Fedora, la star d'Hollywood déchue immortalisée par la caméra de Billy Wilder. Le film finit mal. La réalité peut s'accorder le droit de dépasser la fiction, pour une fois. Pour ces millions de travailleurs sans boussole, demain, un new deal : en voilà une promesse qui emballerait un peu cette Belle au Bois Dormant de présidentielle 2017. 

1 seul responsable politique en France ?

JollyGreenGiantBlueEarthMN2006-05-20.JPGLa primaire de droite fait ressortir plus que jamais la faiblesse de nos institutions : hier soir encore, un certain nombre de responsables de premier plan nous ont benoîtement expliqué qu'ils n'ont jamais été "les patrons" de rien... Au palmarès des "j'ai rien pu faire" JF Copé arrive sans conteste en tête (de mule). Dès qu'on lui pose une question sur les mesures prises par la droite lorsqu'il était ministre ou porte-parole, sa réponse est immuable : "je n'étais pas aux manettes". Avec variantes "il ne vous aura pas échappé que je n'étais pas le patron, alors". 

Avec la parution du livre "un président ne devrait pas dire cela", on a la confirmation crue de ce que l'on savait déjà depuis longtemps : le "domaine réservé" du président de la République est une fable, sachant que ce dernier aime plutôt à se réserver la part du lion et s'attaquer à tout ce qui concerne de près ou de loin ses marottes. Dans le cas de François Hollande, le football est au coeur de ses passions et sans doute le domaine dans lequel il possède le plus d'expertise. On a ainsi pu lire qu'il a pris son téléphone pour sauver Canal +, au mépris le plus élémentaire de la séparation des pouvoirs, de l'impartialité des appels d'offres et aussi, des institutions car si un responsable publique avait du se mêler de ce marché, il s'agissait de notre ministre des sports, Thierry Braillard. Mais qui connaît Thierry Braillard ? 

Le péché originel et paradoxal, c'est le quinquennat. Originel parce qu'avec l'accélération de la vie politique qu'il induit et l'alignement des législatives qui évite les montages baroques de cohabitation, le Président est plus au centre du jeu que jamais. Paradoxal dans la mesure où, sans faire de procès sur les personnes, les Présidents de la République actuels ont moins de pouvoir que leurs prédécesseurs. L'accroissement de l'emprise européenne sur les finances françaises et nos textes de lois réduisent considérablement les pouvoirs de l'actuel locataire de l'Elysée. Sans modification de nos rapports avec Bruxelles, les dogmes de 3% et 60% sur nos déficits régentent tout, notre modèle social, salarial, notre politique de santé et culturelle sont regardées à la loupe par la Commission qui s'assurent qu'il ne vous vienne pas l'idée saugrenue de recréer une exception comme les intermittents (que Bruxelles rêve d'exterminer car non conformes aux dogmes libéraux).

Or, aucun des candidats de la primaire de droite, pas plus Juppé que les autres, ne parle des institutions. Heureusement, dans la mesure où dans une famille politique bonapartiste, les reprises en mains institutionnelles se font rarement dans un sens collectif, mais au contraire dans une logique de culte du chef. Les démocraties illibérales pullulent dans le monde, de Poutine à Erdogan, et l'on voit bien la tentation, chez Trump, de s'asseoir sur les contre-pouvoirs et autres intermédiaires. Sarkozy et sa détestation des corps intermédiaires s'inscrit dans la même logique. Nous voilà donc réduits à commenter des démocraties où le pouvoir se concentre davantage dans les mains d'un homme. Le principal contre pouvoir politique étant les médias, lesquels subissent la même vague concentrationnaire, on sent bien dans quel sens tourne la roue. Ce, alors que l'aspiration aux Communs, au "faire ensemble", domine les agendas des conférences et les tables de librairies. Un nouveau grand écart ou grande fracture de plus : tout un pan qui aspire à s'émanciper d'une histoire de domination et de soumission au dogme d'une parole unique, mais collectivement, nous nous résignons comme toujours à suivre la bonne parole d'un bonimenteur unique. Nous sommes vraiment des veaux, comme disait un bonimenteur costumé célèbre...    

02/11/2016

Ego, molto troppo

large41.jpgDepuis quelques jours une violente polémique oppose, par médias interposés, Idriss Aberkane a des détracteurs agacés par l'omniprésence médiatique et les succès en conférences du chercheur en neurosciences. D'ailleurs, est-il chercheur ? C'est là le début de la polémique. Dans un très long billet (ici), admirablement détaillé, un chercheur pur qui ne prétend à rien d'autre, montre que le CV d'Aberkane est plus gonflé qu'un visage Bogdanov. Un stage maquillé en post doctorat, une summer school passée en poste à l'étranger, un jury de doctorat de lettres présidé par un informaticien, la liste est très longue de tous les mensonges sur le CV d'Aberkane en ligne. Lequel, chantre de la connaissance a subitement fait fermer sa page Wikipedia, mais des petits malins avaient réalisé une capture d'écran avant pour montrer l'ampleur de l'enfumage.

Cela disqualifie-t-il pour autant l'intelligence d'Aberkane ? L'éloquence, la facilité, l'érudition du garçon ou encore l'intérêt de ses conférences sont-elles invalidées ? Fichtre non. Ce que dit juste le billet, chirurgicalement, c'est que le vulgarisateur de génie qu'est Aberkane ne se contente pas de ce qu'il est et la grenouille veut se faire plus grosse que le boeuf. Il joue sur l'empathie de la foule qui va l'écouter dans les conférences TED, sur sa gouaille et sa faconde pour dire à ses détracteurs qu'il a raison quand même. Et enfumer. D'ailleurs, quand il répond à ses contradicteurs, il répond consciencieusement et volontairement à côté des accusations. Volontairement : se taire, c'est alimenter les doutes, répondre c'est prouver son innocence, alors il gueule sur d'autres procès et on finit par oublier la question première. Bref, le cas est réglé, le type est intelligent, mais a voulu en faire trop et par hubris était certain de tout maîtriser. Ca n'a rien de neuf.  

C'est Emmanuel Macron qui prétend avoir été l'assistant de Ricoeur quand il a rangé ses notes, c'est Laurent Wauquiez qui voulait être le meilleur ami de Soeur Emmanuelle quand il l'a croisé une fois au Caire, c'est Attali qui prétend avoir été à l'origine de toutes les grandes innovations depuis la roue, c'est Alain Minc qui avance que les présidents se font et défont dans son bureau... Les exemples sont légions. Ce qui est amusant, c'est qu'à une époque où les outils de fact checking, où les informations sont plus simples à aller chercher et où la transparence est de plus en plus érigée en vertu, certains croient encore pouvoir berner tout le monde sur des faits. Une conception de l'histoire, c'est une chose, on peut se faire plus beau qu'on ne fut. Dans une négociation, une vente, une élection, on peut se conférer un rôle plus important que celui qu'on eut, la part de subjectivité est grande. Mais des diplômes, des brevets, des présence sur le terrain, des expériences. Franchement ! 

En la matière, je crois qu'il s'agit d'une accumulation de petits accommodements avec la vérité : vous commencez petit et quand ça passe, vous grossissez le mensonge. Le hic vient que vous arrivez à vous convaincre vous même. Un exemple minuscule, au hasard : on m'a récemment encouragé à me présenter dans des tribunes ou des biographies de conférences en tant que "Maître de conférences à Sciences Po". L'école s'engouffre dans un vide des textes pour permettre cette coquetterie à tous ceux qui professent au moins 24h par an chez eux. Ainsi, la Business School avec vernis s'achète du lustre universitaire en prétendant avoir une armée d'universitaires quand ils sont, comme bibi, vacataires. Pour mémoire, un maître de conférences a un service de 192H de cours par an. Soit huit fois plus que le seuil exigé par sciences po. Pas vraiment un détail. En outre, pour obtenir ce titre, il faut avoir soutenu une thèse de doctorat, pas une mince affaire. Cela ne confère pas des super pouvoirs aux maîtres de conférences, cela prouve une aptitude à enseigner dans le supérieur. Ni plus, ni moins. "Intervenant" ou "enseigne à" ne sont pas des mentions infamantes. Pourquoi vouloir écrire "maître de conférences" fors pour booster son ego ? Pour rien. Depuis 2 000 ans, l'ego reste le plus fort dopant du pouvoir et ceux qui gagnent en décidant de s'en passer existent, mais ne sont pas les majoritaires. Raison de plus pour les encourager.