22/10/2016
Alexandre Jardin, le renouveau populiste
Une séquence de l'émission politique de France 2 fut largement reprise et commentée sur internet, celle d'Alexandre Jardin jetant une brique de lait à Bruno le Maire sur le thème "vous avez écrit une brique, je vous en apporte une autre". Ha ha ha, qu'est-ce qu'on rigole. Le plus cocasse était l'ouverture de la rencontre par le même Jardin qui précisait "Nous sommes tous les deux écrivains". Pour avoir déjà subi la lecture de Jardin, Le Maire est écrivain, oui, mais c'est bien le seul des deux.
Ensuite, à quoi a-t-on eu droit ? A un abaissement sans nom du débat public, par la seule et unique faute d'Alexandre Jardin. Pujadas et Salamé auraient du recadrer les choses, mais je crois que ces deux là sont perdus pour la cause, donc arguons que le Zèbre en chef est seul fautif. Que nous dit-il ? Que la puissance publique est technocrate et qu'elle ne soutient pas les initiatives de la société civile. Mazette, quelle originalité, quelle audace, quel flair ! Et surtout, quel esprit de nuance : en somme "les politiques" sont des cons, et "la société civile" est héroïque. Et modeste, quand le politique est infatué. Diantre...
Les pluriels globalisants sont ineptes et fascistes à la fois : non, "les entrepreneurs" ne sont pas tous des héros en quête de changement de monde, certains veulent juste gagner un max de blé sans regarder le bilan de leurs impacts négatifs. Non, "les associations" ne sont pas toutes mues par de nobles objectifs. Nombre de fondateurs d'assos le font pour se sauver, pour se regarder dans une glace et emmène beaucoup de monde dans leur spirale folle. Franzen a bien montré cela dans son roman "Purity", même les lançeurs d'alerte ne sont pas, par essence, nos nouveaux Spartacus. Il faut de l'esprit critique, de l'auto-critique.
Si l'on revient à Jardin ce qu'il a dit est d'autant plus navrant que ses exemples sont très mal choisis. Il commence par une leçon d'égalité des chances avec Marie Trellu-Kane, fondatrice d'Uni-Cités... Mais de qui se moque-t-on ? Y a t'il une ONG plus soutenue à bout de bras par tous les gouvernements successifs ? Y-a-t-il une démarche plus encouragée, soutenue, appuyée, y compris financièrement par les pouvoirs publics ? Sans doute pas. Sans "les politiques" pas d'Unis Cités. Pauvre con... Ensuite, il moque le projet de le Maire sur l'insertion par l'activité économique (IAE). Il lit le programme de le Maire sur le sujet, relativement austère en lui disant "c'est un monument de technocratie. A 1000 lieues de ce que veulent les français". Ha bon ? Au contraire, l'IAE repose sur un certains nombre de dispositions politiques, des incitations et de la régulation politique. Ce que les entrepreneurs sociaux de ce secteur demandent relève justement de mesures technocratiques. Intelligentes, si possible, mais technocratiques ou bureaucratiques, ce qui n'a rien d'une injure. Ils veulent au choix une augmentation du nombre de postes disponibles en insertion, une revalorisation de l'aide au poste par travailleur en insertion, ou encore des campagnes de sensibilisation de leurs secteurs, de leur métiers ; de la médiation publique, en somme.
Monsieur Manatthan, l'avatar de Benoît Poelvoorde, aimait à dire qu'Alexandre Jardin "effraye par sa prose". C'est exact, mais désormais il ne se contente pas d'écrire des âneries et des fadaises. Il en profère aussi. Qu'il regarde lui même ce qu'il propose et qu'il tourne sa langue sept fois dans sa bouche. La plupart des Zèbres bénéficient, comme pour l'IAE, de beaucoup de subventions, d'aides, d'appuis. Ils en voudraient plus, on en voudrait plus comme pour ce réseau de crèches qui arrivent à réduire les inégalités d'accès au vocabulaire chez les tous petits. Bien sûr qu'on voudrait qu'elles soient labellisées et existent partout en France. On voudrait plus, mais qu'on nous ne disent pas qu'on ne fait rien. "Vous ne foutez rien, nous on sait faire", c'est en rhétorique exactement le discours de Madame le Pen. Ne faisons pas cette insulte aux nobles zèbres qui sont à moitié noir ce qui les exposent donc à une expulsion du territoire si d'aventure cette dame arrivait au pouvoir...
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18/10/2016
Sociale ou démo traîtrise ?
Partout dans le monde, on voit bien monter le nouveau clivage surplombant l’historique distinction entre la droite et la gauche : avec le système ou contre lui. Trump n’est pas « de droite » il est contre le système. Comme Marine le Pen, comme Orban, comme beaucoup de monde. Et même si cela nous pose un problème moral, force est de reconnaître qu’il faut ajouter à cette liste : Pablo Iglesias, Jean-Luc Mélenchon ou Rafael Correa. Ces gens que l’on aime sont en sale compagnie, d’un point de vue éthique. Faut-il pour autant se pincer le nez et les déclarer non fréquentables ?
Voilà le débat qui nous a occupé à table hier soir : vaut-t-il mieux trahir la Sociale ou l’idée idéalisée qu’on se fait de la démocratie ? Tony Blair ou Correa ? Pour mon compagnon de table, le fait même que j’ose poser le dilemme en ces termes relevait d’une pathologie de ma part. Comment pouvais-je oser me détourner de la démocratie ? Car évidemment, la binarité produit ceci de spécieux que, dès lors que vous commettez quelques anicroches aux principes « officiels » de la démocratie, vous êtes un dictateur. Ainsi de Correa qui musèle la presse… Bon. Jusqu’à preuve du contraire, il y a des élections libres, il quitte le pouvoir volontairement après 9 années de mandat unanimement salués comme une immense réussite et aucun opposant n’est mort en prison. Peu importe, il a bousculé le système : haro sur le vilain démocrate. Blair, lui, est un bon démocrate. Peu importe que sa vie post politique soit consacrée à être grassement rémunérée par des boîtes peu fréquentables (Goldman Sachs, Gazprom) peu importe aussi qu’il ait menti sur la guerre en Irak, démantelé le système de santé publique anglais, torpiller l’école, considéré avec Rawls que le chômeur est d’abord un feignant plutôt qu’une victime, exclus les causes sociales de tous ses discours officiels, Blair est démocrate, c’est donc un ami…
Les employés de bar, les taxis, le personnel hôtelier avec qui j’ai parlé ici à Quito m’ont tous dit que même s’ils ne soutenaient pas forcément Correa sur tout, le fait qu’il était de loin le moins mauvais Président qu’ils aient jamais eu. Compétent, intègre et travailleur. Il a obtenu d’annuler une dette qu’il a fait jugé illégitime, relancé la dépense publique pour les grands travaux, triplé les dépenses en faveur de la santé et de l’éducation. Toutes choses que sont dernier adversaire politique ne risquaient pas de faire, lui qui avait brandi la Bible en disant « mon programme se trouve là dedans ». Alors je sais qu’on multiplie les pains, qu’on transforme l’eau en vin et qu’on marche sur l’eau dans ce bouquin, mais les préceptes économiques pour y arriver sont mal détaillés… Avantage Correa. Et il s’en va de lui même alors que ses partisans l’enjoignaient à modifier la Constitution pour rester 5 ans de plus. Ma qué dictateur ?
De l’autre côté, donc, on a Blair ou son épigone Français, Manuel Valls. Ne revenons pas sur la trahison de la Sociale, elle fut 1000 fois détaillée et même eux ne savent plus défendre leur bilan. Interrogé sur son bilan politique Hollande ose « oui, mes mesures sur la compétitivité ont été mal acceptés, mais je devais m’occuper de l’économie et pas seulement du social ». Donc, l’économie c’est de droite ? Connard. Et traître. N’en parlons plus. Mon commensal hier n’essayait pas de sauver la Sociale mais disait qu’au moins l’honneur démocratique était sauf. Ha bon ? Et les arrestations arbitraires de militants écologistes ? Et les pressions et licenciements à France Télévisions ? Et la non protection des lanceurs d’alertes dans les affaires HSBC ou Lux Leaks ? Démocrates. Caramba encore raté. Nous avons vraiment ajouté la honte au déshonneur… Cher Rafael Correa, après un repos bien légitime, si vous voulez venir donner quelques conférences et conseils en France, je vous jure que vous aurez des millions de thuriféraires.
17:49 | Lien permanent | Commentaires (46)
11/10/2016
A mes amis qui lisent l'Obs : la honte c'est Hollande/Valls, pas Juppé.
Dans un réflexe unanime, nombre de voix à gauche s'élèvent pour hurler contre leurs congénères qui souhaiteraient aller voter Alain Juppé, lors de la primaire. Attention, hein, on ne parle pas de faire campagne, de s'emballer pour des arguments, de sous-peser des programmes. Non, on a lu toutes leurs recettes, depuis la soupe libérale classique au véritable poison. Aussi, lors du premier tour et de l'affrontement entre les 7 candidats, la réponse est simple : qu'ils se démerdent. Aucun n'atteindra les 50% et nous aurons donc encore à souffrir un second tour.
Et c'est là le problème. Eu égard à sa campagne de basse exaltation des instincts grégaires, Sarkozy sera au second tour. Et il n'y a plus grande différence entre Donald Trump et l'ex président en campagne. Economiquement "le candidat du peuple" comme Trump, propose l'enfumage : quand il propose l'exonération des droits de succession jusqu'à 400 000 euros, il s'adresse à qui ? C'est pas sérieux... Sur les thèmes sécuritaires et identitaires, qui constituent 99% de son programme, récemment un journal libéral allemand expliquait que Sarkozy dépassait Marine le Pen sur sa droite. S'il venait à l'emporter, nous foncerions donc en klaxonnant vers un second tour extrême droite / droite extrême. Youpi... Personnellement, je rêve de me tromper : si le second tour oppose Bruno le Maire à Alain Juppé, je n'irai pas voter. Je m'en fous, moi, de la droite, qu'ils se débrouillent. Mais là, comme j'ai voté Jacques Chirac en 2002 pour faire barrage au Front National, j'irai voter contre un démagogue infâme qui propose un référendum manipulé contre "les centaines de milliers de personnes migrantes bénéficiant chaque année du regroupement familial" alors qu'il s'agit de 12 000 personnes pouvant l'obtenir après 18 mois de résidence minimum sur le territoire et des revenus supérieurs à 800 euros par mois permettant de trouver un logement à la famille arrivant. Sarkozy le sait très bien, mais cette réalité ne cadre pas avec la vision qu'il souhaite vendre de grand envahissement.
Aussi, chers amis, votre argument "mais Juppé propose un programme de droite" vous êtes mignons, mais j'étais au courant, c'est un peu le principe d'une primaire de droite, en fait. Le problème vient bien de l'autre côté de l'échiquier politique et ne pas le voir relève de l'ophtalmologie, voire de la psychiatrie. Le problème c'est que nous sommes à la fin du quinquennat et que tout ce qu'il y a à sauver est "ils proposent pire en face". Vraiment ? Sur la transition écologique, sur l'urgence sociale, sur la révolution démocratique, qu'avez vous fait ? Plus d'allègements fiscaux que sous dix ans de droite avec le CICE plus le pacte de responsabilité, ceci sans influence sur le chômage. La double peine sociale, donc. Aucune inflexion de la part du nucléaire ou d'incitation à consommer autre chose que du pétrole. La jolie photo de famille de la COP 21 ne peut décemment tenir lieu de bilan écologique du quinquennat. Reste la démocratie, où l'on voit des amis de Valls (le Sénateur Luc Carvounas) qui ont déposé des amendements pour revenir sur le cumul des mandats et d'autres amis de Valls (le député Carlos da Silva) qui se sont levés la nuit pour voter dans une Assemblée déserte un amendement favorable aux lobbys financiers et empêcher le reporting par pays, ainsi que l'exigeait les ONG engagées pour la transparence fiscale... Ajoutez la loi sur le renseignement, le fait d'accoler "ministère de l'agriculture" et "de l'agroalimentaire" c'est à dire de câliner davantage la FNSEA que les exploitants individuels. Voilà le bilan. C'est ça la honte.
Aussi, quand je vois des éditorialistes de ce torchon de l'Obs donner des leçons aux électeurs de gauche en leur disant "attention camarade", je leur dis "ok les copains. Pour m'empêcher d'aller accomplir un petit devoir bêtement démocrate, montrez moi que j'ai tort en publiant les progrès enregistrés sous le quinquennat". On se retrouve dans l'isoloir le 27, hein. Sans rancune, mais avec une infinité de regrets...
10:12 | Lien permanent | Commentaires (79)