05/02/2011
Que devient l'émotion quand le contact a fondu ?
Mes étudiants sont formidables. Et parfois, bluffants. Ainsi m'ont ils appris récemment qu'après google map, google street et google je sais plus quoi, il y avait désormais ça:
http://www.googleartproject.com/ .
Ca marque une espèce de triomphe du virtuel, non? Un de mes étudiants m'a ainsi dit, badin: "je suis allé au MOMA"... Hors de question de jouer les grincheux: sans rien connaître de l'outil, je les exhortais vivement, de ce que j'en comprenais, à se rendre à l'Ermitage, notamment. Car après tout, les subsides pour aller à St Pétersbourg sont conséquents et si Google met ça a portée de main, fabulous ! Donc nous dissertions sur l'art virtuel. Ayant subi une expo Mondrian peu emballante cette semaine, je me disais qu'une petite utilisation de cet outil m'eut dispensé d'une visite et fait gagner 2 heures que j'aurais mises à profit pour regarder PSG/Martigues...
Rentré chez moi, je me suis familiariser avec l'outil et là... Bah... Il en va des visites virtuelles comme la bouffe lyophilisée: ça enlève la dalle, mais c'est pas bon. On peut cliquer et aller au plus près du tableau me disaient, éblouis, les étudiants. Bon...
Ce site, en réalité m'effraie en ce qu'il réduit l'art à ce que l'art contemporain a trop souvent tendance à être: du bluff. Du concept toc et chiqué où l'on explique au badaud à ce qu'il doit ressentir et s'il est touché par le storytelling autour de l'oeuvre, alors, il parlera d'art... Déplorable. Pardon d'être basique et grégaire, mais je croyais naïvement que l'art c'était la rencontre d'un oeil et d'une oeuvre et de ce que ladite oeuvre suscite dans l'oeil, si ça reste dans l'oeil, c'est perdu. Si ça se propage au cerveau, au coeur, si ça fait frissoner, it's bingo. Quand je tape Kandinsky dans google Images, je vois ce que j'admire le plus mais mes zygomatiques ne se dérouillent pas. Quand on avait accroché les toiles du génie à Pompidou en 2009, je m'y étais rendu 4 ou 5 fois...
Demain, nous rendrons quand même grâce à ce site qui au fond, donne donc quand même envie de voyager...
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02/02/2011
Le livre des livres, de cette rentrée de janvier
On pourrait, bien sûr, passer du temps à dézinguer des livres. Pour des questions de relations de travail avec des éditeurs, je me fais offrir les valeurs sûres de grandes maisons parisiennes. Je pourrais ainsi vous faire gagner du temps en vous disant que si "testament à l'anglaise" et "bienvenue au club" étaient des grands livres, "la vie très secrète de Monsieur Sim", le dernier Johnatan Coe, est une belle bouse. Idem pour Alexandre Jardin, si l'on pouvait sauver le précédent pour les trouvailles flamboyantes le dernier qui marque sa conversion philosémite débile et sa détestation jusqu'à l'imaginaire de son grand père, passez votre chemin...
Pourquoi je vous dis ça ? Parce que la rentrée littéraire, comme souvent va se focaliser sur dix livres (dont le Mathieu Lindon que j'ai pas encore lu) alors qu'à l'évidence, en janvier il n'y en a qu'un à lire: B.A. BA de Bertrand Guillot, aux éditions rue Fromentin, si votre libraire est mal achalandé, ne le blâmez pas et exigez qu'il le commande... S'il ne voit pas vous dites, "le coup de coeur d'Audrey Pulvar".
Pour faire allégeance auprès de Monsieur Sauvé, je le précise d'emblée: je connais Bertrand Guillot. Je pourrais continuer à trahir le secret militaire en disant qu'il est mon ami, mais je ne voudrais pas qu'il m'attaque pour diffamation, les relations d'amitié devant être partagées, on ne sait jamais. Je me détacherai donc de ma relation à l'auteur, éviterai les superlatifs et tenterai de vous dire simplement en quoi c'est un livre important.
Qu'est-ce qu'un livre important ? Je dirai que c'est un livre qui vous marque par son message. Pas forcément un grand livre, de ceux qui change votre conception de l'univers et sur lesquels les lettrés s'écharpent pour savoir si c'est "grand" "immense" ou au contraire "snob" "du toc"... Rangez là, la recherche, en dessous du volcan, Ulysse, l'homme sans qualité, Madame Bovary, Lucien Leuwen et consorts. Ceux là sont hors jeu pour reprendre le titre du premier roman de Guillot.
Ensuite, vous avez tous les très bons livres. Là, entre un Foer, un Rolin, un Duroy ou un Milovanof, pour d'autres un Murakami et des dizaines, ceux-là sont à la limite du hors-jeu... Et c'est là que surgit Guillot, coiffant au poteau, le Modiano en petite forme, le Xème Rouaud qu'on achète parce que c'est Rouaud ou un Fargues... Je le dis sans ambages, mais avec grand pont (hello Maylis) : B A BA est au dessus de tout ceux là et marque le but de cette rentrée de janvier 2011... Les autres, comme disaient Chateaubriand "il faut dépenser son mépris avec parcimonie, il y a trop de nécessiteux", donc inutile de s'attarder sur la nullité crasse du dernier Rouart, du dernier Begaudeau ou du dernier Foenkinos (tien, que des mecs...).
Je vois que je me prends moi même à mon propre piège en en parlant que de roman. B A BA est aux confins. Pendant 200 pages, Guillot fait du mentir-vrai pour dire comme Jouvet; en l'occurence du "romanréel". Il aurait voulu romancer, mais il n'a pas pu. Pourquoi inventer des destins à toutes ces personnes qu'il a rencontré? Ho, il aurait pu échafauder une expulsion, un polygame, une burka et un patron social qui les emploi, pour faire de gauche, mais il ne l'a pas fait. Il n'a pas travesti sa pratique et se contente de raconter son ordinaire de mec bien. Peut être est-ce pour ça qu'il est de gauche, d'ailleurs (je trahis un second secret militaire).
Le sujet du livre, donc, puisque j'y viens et parce que c'est qui est important, plus que la rentrée littéraire ou que Bertrand Guillot, c'est l'analphabétisme. Un peu comme l'illettrisme mais pour ceux qu'on occulte. Faites l'expérience autour de vous et allez lire le livre, vous me comprendrez.
C'est une bataille de chapelle idiote puisqu'il n'y a qu'un combat: faire décrypter le monde à ceux qui sont devant des codes hermétiques. Si vous ne voyez pas ce que je veux dire, allez au kiosque et achetez les journaux égyptiens pour me faire un résumé de ce qui se passe au Caire en ce moment. Vous serez bien emmerdé. Imaginer ensuite que tout votre environnement, des journaux à votre clavier et écran d'ordi, vos manuels, vos impôts et feuille de sécu, tout apparaît dans ce code qui vous agresse. Là, vous trouvez un type bizarre, qui ne sait pas trop ce qu'il fout là sauf qu'il connaît le code. Il vous apprend, ça prend des mois, mais au final, quand vous décodez, la joie immense est partagée. Sans déconner, à t'on imaginer quelque chose de plus important à enseigner ? Car sans la lecture et les subtilités du langage, comment comprendre que "le PSG, solide dauphin de Lille" ne signifie pas que Martine Aubry a fait n'importe quoi dans la gestion de son zoo aquatique ? Et bien B A BA raconte ce miracle comme personne...
Valéry disait qu'un écrivain "c'est quelqu'un qui cherche ses mots et quand il les a trouvé, en cherche de meilleur". Guillot est donc un écrivain. Sauf que ses mots, lui, il les offre à ceux qui n'en ont pas.
Demain, nous irons vérifier que les libraires s'approvisionnent bien...
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31/01/2011
Tiens, du bon rap français...
Je me souviens de la vanne du comte de Bouderbala, "on est tous d'accord pour dire que le slam est le cousin du rap. Sauf que le slam est allé à l'école"... Les deux slameurs que je connais perso, le Robert ou Yann Thomas donnent plus à cogiter en une chanson qu'avec les oeuvres complètes de Mafia K'1 fry, Sinik ou Orelsan (le Rimbaud de "sale pute" qui chante le dépit amoureux d'après Fredo Mitterrand)...
Du coup, avant que d'autres groupes déboulonnent IAM ou NTM, eau sous les ponts et plus de découvertes rapeuses, parce qu'écoutez Booba c'est plus possible...
Le rap français, à force de vouloir singer le rap US, fascination pour les clips façon snuff movies s'est tourné en ridicule tout seul.
Y, ou Igrek se lance donc dans un slalom de mouvance entre le slam pour obtenir le triple FFF de Télérama-France Inter, façon "Big Sick Steak" ou s'affirmer en hard core pérave façon Faf la Rage pour finir en rebelle mensualisé faire la bande-annonce de la prochaine série que les CSP+ regarderont pour s'encanailler...
Sa réponse, "le grand public est une mouche à merde qui se rue sur tout ce qui pue". Je sens que je vais zapper...
"L'identité nationale d'accord, mais donne du taff, d'accord", je reste. "Des biffetons pleins les poches et les mains pleines de sang, t'es réélu à 90%. La France te félicite, hypocrite, t'es le Don Corléone du Nord de l'Afrique". J'accroche. Tout y passe dans son univers proche, les lycéens "passent leur vie sur Internet, fenêtre ouverte à toutes les branlettes; peuvent mater 5 ou 6 saisons sans s'arrêter mais ne peuvent pas finir un roman". Ne s'épargne pas, "la platitude de ma vie devient une longue servitude". Mais remonte la pente et se fâche "je vais fabriquer du C4 avec un papier et un stylo", avec fièvre "la vie de ma prose à l'épreuve des printemps".
La fièvre est sans doute le moteur du flow, le punch, la lucidité douce-amère mais jamais nihiliste facile. Le piège du poseur "nique la France"? Esquivé avec classe... Pourtant, il aurait de quoi "devenu l'otage de la rage qui m'héberge" pour cause d'un drame personnel qu'il effleure dans le premier morceau avec la mort de son père et le silence français, si classique, quand il s'agit de nos classeurs mémoriels fermés à double titre... Il ne fait pas ça non plus pour le blé, aujourd'hui... "j'ai cette musique dans la peau même si elle me rapporte que dalle, comme ouvrir un Club Med dans la bande de Gaza".
Je sais qu'aujourd'hui acheter un CD a quelque chose de suranné, comme téléphoner d'une cabine à pièces ou, mais quand même pour entendre "elles sont belles tes rides. Vas pas te faire un lifting, t'as pas besoin de te faire tirer la peau, elles sont belles ces lignes qu'on lit sur ton visage" ça vaut bien 9 euros, et c'est là http://igrek.bandcamp.com/album/le-meilleur-des-mondes
Demain, nous trouverons un moyen d'envoyer ce post à Alain Finkielkraut...
18:55 | Lien permanent | Commentaires (5)