16/02/2011
Oublions le gris du ciel avec quelques livres noirs...
C'est enfin les vacances scolaires, je suis donc temporairement dégagé de mes trois journaux quotidiens, moult podcasts et surtout de la lecture compulsive des essais. Je peux donc me contenter de deux journaux et retourner avec joie aux romans. Mais je ne me fais pas confiance: si je retourne dans une librairie, je vais assurément faire l'emplette du dernier Kempf, d'un Todd et autres Padis, bref ma fringale d'essai n'est pas passée. Je suis donc allé joyeusement piller les rayonnages parentaux avec l'assurance de tomber sur des opus qui ne sont pas en tête de gondole.
J'ai commencé avec "Cadet la Rose"; des nouvelles d'Albert Vidalie. Pour qui aime le genre bien particulier, il sera charmé par un style très pur. Une plume vive et jamais prétentieuse qui adapte Fanfan la Tulipe en cadet la Rose dans les campagnes opposants révolutionnaires et monarchistes et prend le point de vue des maquisards. Il parle avec la même aisance de faim, d'amour, d'ennui ou de joie. Avec son air lunaire (c'est le monsieur en médaillon) il redescend un peu pour nous livrer des histoires très aériennes...
J'ai enchaîné sur "les petits enfants du siècle" de Christiane Rochefort. D'elle, je n'avais lu que "la porte du fond" et dès les premières pages, je retrouve ce ton très heurté, ce découpage sentimental au scalpel.
C'est une gamine d'une famille nombreuse qui parle, elle veut vivre. Elle est folle d'amour d'un mauvais garçon mais connaîtra l'amour avec des hommes de passage dont un homme marié. Tout est très clinique, évitant avec maestria les deux écueils principaux: voyeurisme et misérabilisme. On suit la gosse, vibre avec elle, nous révoltons de la voir cantonnée à des tâches domestiques car née femme. Question d'époque. Le livre est de 1961, à 10 ans près, elle nous livrait son "Elise ou la vraie vie" à elle. Ca ne fait rien, Etcherelli l'a magistralement fait et l'on peut lire ces deux oeuvres pour se rappeller ce que 68 a apporté aux jeunes femmes (envoyer ex à MAM qui risque d'avoir du temps libre...).
Après cette tristesse, je voulais rire. Un rire léger, fin, un brin désabusé. Pas vraiment jaune non plus, assez narquois en somme. Pour ça, je sais que les éditions du Dilettante m'apporte souvent la réponse.
C'est l'avantage des petites maisons intelligentes: la cohérence du catalogue. Ne la cherchez pas dans le Galligrasseuil, entre les jeunes talents repérés, les copains, les transferts ou les marquis poudrés de l'académie, vous ne trouverez pas une patte. Chez Minuit ou POL en revanche, pas de souci; au Dilettante itou et je ne dis pas cela que pour "Hors Jeu" de Bertrand Guillot.
Là, dans "le Front Russe" de Jean-Claude Lalumière, on retrouve un protagoniste pris dans un univers professionnel auquel il n'entrave que pouic, avec des parents falots qui lui ont transmis des idéaux ternes (être cadre de catégorie B) et une vie sexuelle un peu misérable. On se gondole quand il parle à son chef, expose ses connaissances diplomatiques et se noie dans des situations improbables. Car le jeune homme a réussi son concours au ministère des affaires étrangères car il voulait voyager depuis qu'il collectionne le magazine Géo . Le directeur s'appelle Boutinot et rien qu'à cela on se l'imagine avec plastron et rhumatismes. Boutinot lui impose toujours des missions rocambolesques au travers desquels notre jeune héros va entrevoir la promotion avant de retomber car il en va souvent ainsi des héros du Dilettante: losers attachants, ils ne remportent leur quête Quichottienne... Mais ils nous laissent en refermant le livre, un délicieux sourire.
Pour finir, je me suis rapproché d'un auteur que je connais bien. Patrick Pécherot. Plume de la CFDT (personne n'est parfait), et auteurs de quelques excellents polar dans la Série Noire, notamment "Barcelone-Belleville". Pécherot campe rapidement et brillamment les décors dans différentes époques, jongle avec les registres et fait dans le noir dur sans nous abreuver d'hémoglobine. J'attendais donc "l'homme à la carabine" avec d'autant plus d'impatience qu'il est question de la Bande à Bonnot, de l'anarchisme, d'une période de l'histoire que j'affectionne. Mais hélas quintuple hélas, le louable parti pris -prendre un personnage secondaire, André Soudy, et lui donner vie- vire au casse-tête pour l'auteur.
Pris dans son envie de parler de la bande à Bonnot, sans vouloir en retracer toutes les épopées, il change de focale toute les pages et le mal de crâne nous guette. Quant au style, un peu d'argot ça va, mais là Pécherot se caricature à l'excès. On dirait ce sketch des Inconnus, le cultissime "pas de de bégonias pour les caves": http://www.youtube.com/watch?v=-FEXrDzInfE
Quand c'est Légitimus/Bourdon et Campan et surtout pendant 2 minutes, je me marre comme une baleine, mais 267 pages de cet acabit, c'est indigeste. Je vous conseille donc joyeusement Pécherot premières oeuvres en Folio Policier et on verra pour le prochain.
Demain, vous je ne sais pas, mais moi j'étudierais avec attention mon guide de Lisbonne...
07:36 | Lien permanent | Commentaires (0)
14/02/2011
Cupidon, fous le camp, ils sont devenus trop cons...
60% des sondés n'entendent pas célébrer la St Valentin. Le chiffre du jour tourne en boucle sur les ondes avec une angoisse lancinante: les français seraient-ils moins romantiques ? Y aurait-il un effet crise ? Je ne sais pas si on doit trouver cela sternant, mais con sans aucun doute.
Avec toutes les journées mondiales pour des causes mineures (lycodystrophie, strabisme, femmes...) on en oublierait que le 14 février est trusté depuis des temps immémoriaux par l'amour. Le directeur marketing de la Love Company devait être une sacré brutasse car jamais son monopole ne fut remis en cause.
Sauf, MLF oblige, par la moitié de l'humanité, courroucée devant ce Valentin tombeur de sous-préfecture et décidèrent d'implanter la ST Jules; en cette journée 100% marketoche ce sont les nanas qui partent à l'assaut des mecs à grands renforts de billets sucrés, de cadeaux niais et de dîners aux chandelles du Flunch... Pas de raison que la ringardise soit le monopole des mecs, non mais. Exit aimez-vous Brahms, welcome aimez-vous brâmer ? Avec Julio Iglesias et donc Lara Fabian, parité oblige, comme parrain et marraine de cette opération et pas seulement séduction.
Autre problème pour cette célébration du couple, la France compte 15 millions de célibataires, peu enclins à festoyer ce jour-là... Penses-tu, ces cons là s'affirment avec force là http://www.viedecelibataire.fr/fr/ un portail, il faut le lire pour le croire "pour célibataires heureux qui échangent sur leurs recettes". Les bras m'en tombent: est-ce bien raisonnable ?
Célibataire, ce n'est pas un statut en soi. Tout juste un statut facebook, une photo figée un instant. Voir ces types dépenser toute cette énergie pour mettre en scène leur vie heureuse quand, à l'évidence, certains d'entre eux sont d'indécrottables queutards qui sont plus priapes que célibataires et d'autres qui n'entendent qu'en sortir... Tout ça sent le chiqué et les vidéos de "bonnes pratiques" nous renvoi aux plus grosses satires du web, sauf qu'elles sont tristement véridiques et pas seulement Rivers.
Enfin, on voit émerger des clans de frondistes, d'anti St Valentin comme il y a des anti-noël, des mecs maqués ou des nanas itou qui se font des soirées bières entre mecs ou mojitos entre nanas pour bien montrer qu'ils ne sont pas victimes du système et sont capables de s'extraire de la dictature marketoche. Là encore, tant d'argent et de volonté déployés à contourner une convention me laisse pantois... Allez, gageons quand même qu'en dépit des fanfaronnades, les fleuristes et chocolatiers flamberont aujourd'hui...
Demain, nous nous demanderons si Arlette Chabot, Laurent Joffrin, Denis Olivennes et Nicolas Demorand vont ouvrir ensemble un meeticdesmedias.fr
08:18 | Lien permanent | Commentaires (4)
12/02/2011
Les salariés, des dindons du don ?
Certains naissent avec le nom de l'emploi comme d'autres ont la gueule de Pôle Emploi (expression remasterisée de "gueule de l'emploi" dans une France au chômage) : Norbert Alter, pour un sociologue du travail, c'est génial. Norbert, comme Elias, ça fait sérieux, et Alter comme mondialiste ça fait rêver (ou comme Marek, et là ça fait pleurer, so let's not shoot an ambulance).
Que nous dit Norbert de ce qui nous préoccupe ce matin où nous contemplons trente ans d'histoire dictatoriale s'évanouir avec la grâce d'une actrice de série B, après un rappel qui aura duré 18 jours (bravo les gars) ? Bébert, donc, nous parle des échanges non marchands en entreprise. Et c'est passionnant.
Il part de la réplique culte de Mauss "le don n'est jamais gratuit", et embarque pour le même prix en Mélanésie avec Malinowski pour observer le rituel de la kula où on échange un homme, une femme, des repas et autres rangs de chefs contre deux colliers de spondyles... Etonnant, non ?
Partant de là-bas, Norbert arrive en France et observe les échanges de l'entreprise avec une acuité non feinte, car contrairement à un sociologue en chambre comme Raymon Aron, Bébért fut 12 ans chez France Télécom. D'ailleurs, quand il y était, on parlait de PTT comme de "petit travail tranquille", et cela l'incite à dire que l'on n'a pas mesuré le changement de contrat considérable pour ceux qui pensait entrer dans ce type de carrière et aider à raccorder la ligne de la mamie et qui se retrouvait au milieu d'un challenge technologique sans précédent: le minitel...
Dès lors, on leur demande d'en faire plus, beaucoup plus et les salariés le font, ils en tirent même une certaine fierté. Norbert dresse alors un parallèle avec l'antiquité en expliquant que les sacrifices des salariés sont comme les sacrifices divins et qu'en travaillant pour du beurre, en réalité, ils travaillent à apaiser le courroux divin et à vivre en harmonie; ainsi des salariés d'EDF qui réparent les lignes coupées par la tempête sur leur week-end pour pas un kopeck...
Le transcendental n'est pas la seule préoccupation de Bébert qui descend très concrètement dans les open space et les usines pour nous montrer les dérives et les limites d'un monde du travail où le sentiment du collectif est de plus en plus diffus. Le turnover moyen de toutes les boîtes rend inopérant le sentiment d'appartenance comparable à celui des PTT et dès lors, pose la question : comment agir par rapport au groupe ? Avant les fayots étaient exclus du groupe et les moutons noirs rebels aussi éconduits par la force collective. Désormais, il est possible de faire dysfonctionner la machine des échanges sociaux depuis l'intérieur, car les forces d'oppositions, c'est à dire les salariés concernés par le devenir de la structure, se sont raréfiés.... Ca donne à cogiter.
Globalement tout ce court ouvrage truffé de récompenses type prix du livre RH donne à penser, sur les cadeaux dans l'entreprise, sur la considération pour le travail en équipe, sur la façon de noter ce qui ne rentre pas dans les cases de l'évaluation où des indicateurs. Du don non transcendental en quelque sorte.
Nous sommes passés d'une logique Enrico Macias "donnez donnez donnez, donnez donnez moi, Dieu vous le rendra" à une logique Jean-Jacques Goldman "je te donne tous mes défauts, toutes ces différences qui sont autant de chances, on sera jamais des standards des gens bien comme il faut". C'est là que ça dérouille: trop de managers et de RH sont "des gens bien comme il faut" et dans leur logique de notation, on ne compte que ce qui rentre dans des tableurs Excels, ce qui exclut trop les logiques de don qui génèrent pourtant des richesses considérables pour l'entreprise. RH, managers, encore un effort...
Demain, nous ferons un benchmark rigoureux pour voir qui de Flunch ou d'Hippopotamus propose le meilleur menu St Valentin....
09:35 | Lien permanent | Commentaires (2)