24/08/2017
Le vieil homme et la mer et le vieil homme amer.
Hier à la plage j'ai vu avancer un couple du quatrième âge. Elle, alerte, cheveux auburns et lunettes fumées. Lui, très grand et chenu, s'aidant d'une canne. Quand il passe lentement devant moi, je vois sa lèvre inférieure pendouiller et les hoquets de son bras, sans doute les séquelles d'une saloperie de rupture d'anévrisme. Ils descendent précautionneusement l'escalier de pierre et je vois que sa canne est équipée d'une sorte de ventouse au bout, pour ne pas déraper sur les galets. Il tend sa canne à sa femme et entre dans l'eau où elle le rejoint. Ils s'ébrouent gaiement, l'eau effaçant comme par magie les fragilités de l'homme. Je suis plus qu'attendri. Je les aime déja. En sortant de l'eau, ils viennent bronzer à côté de nous. Un septuagénaire pansu et buriné s'approche d'eux, les salue. Il parle fort, de cette voix de stentor de quelqu'un persuadé qu'il ne peut incommoder les autres, tant ses paroles sont importantes. Alors j'écoute. J'apprends qu'il est suisse, banquier et voyageur. Il narre une anecdote qui l'a beaucoup amusé : "je monte dans le tram, j'étais le seul blanc. Je vois des noirs qui discutent en portugais, je leur demande s'ils viennent de Guinée Bissau ou d'Angola. Livides, ils me répondent "Portugal, Portugal". Tu parles, ils étaient noirs et africains, mais vous auriez vu leur tête, ils croyaient que j'étais la Gestapo, que j'allais les dénoncer, quelles têtes ils tiraient !". C'est fou, en 2017, de croiser encore des fumiers de colonialistes répugnants, dégoulinants de suffisance. Je sais que mon cher petit vieux va regimber et le remettre à sa place car s'il claudique, il a l'esprit droit. Que nenni. Il a ri, et avec zèle. Tristesse, je m'étais laissé abuser. La morale de cette fable répond à l'énigme posée par Shakespeare "que devient la blancheur quand la neige a fondu ?", et bien hélas, de la grosse boue infâme.
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21/08/2017
"Pas d'angélisme", d'accord, mais que voulez vous, au juste ?
Comme après chaque attentat, avant que les cadavres n'aient le temps de refroidir, le rubicond de la décence est allègrement franchi par une foule hétéroclite de donneurs de leçons en prévention du terrorisme. On trouve pêle-mêle, l'écrivain Kamel Daoud dont tous les thuriféraires transposent ses propos sur l'Algérie à la France sans recontextualiser, les fachos socialement acceptables du Printemps Républicain (Laurent Bouvet et Céline Pina en tête) et les mauvais perdants de la campagne de Fillon qui jurent que Saint François, lui, aurait arrêté les infidèles avec la technique de Saint Henri ; le bazooka sur Ramblas... Tous ont des motivations différentes, mais un même terme pour disqualifier l'adversaire, nous serions "angéliques" face au terrorisme. En termes de procès, c'est une lapidation sans jugement. Et pour cause, le procès en angélisme est une impasse rhétorique. Je ne connais personne qui trouve justifié les actes des barbares terroristes, personne qui se permettrait de dire que les conditions sociales précaires (ce qui n'est, d'ailleurs, pas toujours le cas, nombre de terroristes appartiennent à la classe moyenne) des assaillants soit une motivation suffisante, personne qui puisse trouver une justification aux pratiques de l'EI, en clair. Par ailleurs, depuis que l'Europe est régulièrement frappée, les contrôles aux frontières sont renforcés, les écoutes policières démultipliées, les arrestations préventives (et arbitraires) ont explosé, rien "d'angélique" dans ces pratiques. Ce procès paranormal est une esquive : plutôt que d'assumer qu'ils piquent toutes leurs idées et leurs mots à l'extrême-droite ("frontière passoires", "justice laxiste", "racailles inassimilables", "expulsions des radicalisés") ils détournent l'attention avec un écran de fumée : nous serions atteints du syndrome de Stockholm et aimerions nos bourreaux. Il ne faut pas refuser ce débat de l'intérieur : quand on nous qualifie "d'angéliques", il faut exiger des explications sur ce qu'il conviendrait de faire. Je crois que nombre se tairont, finiront par reconnaître que la douleur les égare et leur faire dire n'importe quoi. D'autres expliqueront calmement qu'une jeune femme avec un foulard est une terroriste en puissance, à tout le moins une complice et qu'il faut fermer les mosquées, laboratoires de haine, interdire l'enseignement de l'arabe ou d'appeler son enfant "Mohammed". Toutes ces horreurs ont déjà été proférées depuis 2015, et par des personnalités en vue. Refuser ce débat, c'est laisser un mouchoir sur une plaie. L'accepter, c'est affronter quelque chose de laid, mais la situation sera claire et on saura quel remède employer.
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20/08/2017
Castaner d'opérette
Qu'on l'aime ou non cette radio, RTL a sans conteste le droit d'être qualifié de média sérieux. On peut leur reprocher d'avoir des chroniqueurs comme Eric Zemmour, une vision très partiale de l'actualité économique et sociale, mais ils ne sont pas fantaisistes pour autant. Aussi, lorsqu'ils publient sur leur site un long article intitulé "comment Castaner est devenu l'incontournable du gouvernement", ma curiosité fut piquée et je l'ai lu avec délectation. Un modèle du macronisme, du "en même temps" ; de cette permanente valse à deux temps où l'on nous demande d'applaudir à tout rompre le demi pas en avant et de ne rien dire des cent pas en arrière... Incontournable il l'est, pour deux raisons. D'abord c'est le job qui veut ça. Vallaud-Belkacem puis Le Foll furent très exposés aussi en tant que porte-parole, rien de neuf. Ensuite, aux côtés de ministres et de députés novices, il brille par son expérience de la campagne et dispose de plein de trucs et astuces pour affronter les plateaux, martingales qu'il distille Volontiers. Et en même temps, il est incontournable pour Le monceau de gaffes proférées : sur le Général de Villiers, la baisse des APL, sur la "pensée complexe de Macron", sur la tenue de Rihanna, l'écologie et j'en oublie des tas, Castaner dit littéralement une énorme connerie par jour. Sans jamais cesser de sourire aux journalistes qui le guignent comme les chats suivent un livreur de poissons maladroit. Ca va très bien à Macron et à Edouard Philippe qui disposent en Castaner d'un paratonnerre qui prend seul la foudre. Il y a du Homais, chez Castaner, bien sûr, mais plus que cela. "Que de choses il faut ignorer pour agir" écrivait Paul Valéry. S'il avait connu Castaner, gageons qu'il aurait ajouté "et pour être porte-parole de ce gouvernement".
07:56 | Lien permanent | Commentaires (0)