19/06/2011
Impressionnant imprécateur
Ha la claque ! Ha ce livre. Ha merci René Victor Pihles. J'ai trouvé ce livre par hasard, dans son édition jaunie des années 70, mais il existe en Points Seuil.
Je ne peux résumer le livre sans trop le déflorer, mais un directeur des ressources humaines de la plus grande société mondiale, division française, bascule dans le paranormal le jour où un cadre de l'entreprise meurt dans un accident de voiture, qu'il découvre une drôle de fêlure dans les caves de sa société et qu'un curieux anonyme, l'imprécateur, diffuse des curieux messages aux plus des 1000 salariés. Je laisserai donc sous silence le moment où le roman plonge voluptueusement, incidemment dans un univers kafkaien revisité par Kubrick (Pilhes avait déjà écrit les meilleures scènes d'Eyes Wide Shut 30 ans avant)... Surtout, les rapports entre dirigeants et syndiqués, le culte de l'économie de marché, libérale est dépeinte comme jamais. Plutôt que de s'attacher à opposer les salauds capitalistes aux bons ouvriers, Pilhes déforme la réalité pour la rendre plus crue. Les oppositions manichéennes sont très souvent raté à quelques exceptions près (Mordillat, Salvaing) mais là, en donnant un souffle onirique à son récit, en scandant la logique d'entreprise à renforts de tracts et de poèmes, il touche mieux la logique unique et totalisante de l'entreprise. Comme il le dit fort justement au départ "au fond, le management se fiche de son environnement religieux ou politique, le management impose le marché et le cash flow". C'était en 1974, VGE, "la nouvelle société" de Chaban, toutes visions du monde qui nous paraissent aujourd'hui surannées au possible et pourtant l'oeuvre de Philes est d'une troublante modernité. Les 300 pages toutes en phrases ourlées et à l'humour croustillant nous tienne en haleine avec une ultime bascule que l'on applaudit volontiers, beau joueur.
Aujourd'hui, on aimerait voir un nouvel imprécateur. Parmi les tombereaux de nouveaux romans, ne pourrait-on pas prélever quelques écrivains talentueux qui se gâchent en défilés d'autofiction où le héros ou l'héroïne se demande si les concombres ont une âme et les mangoustes un subconscient ? Quelques autres de nos meilleures plumes, plutôt que de résusciter pour l'esbrouffe des romans historiques aux dorures chocs et tocs, ne pourraient-elles pas avoir l'humilité et l'envie de se coltiner le présent, le réel ?
Car tout grand livre qu'il soit, l'Imprécateur a 37 ans. S'il a fort bien vieilli, rien à redire, on aimerait simplement une suite démontrant l'implacable logique de déshumanisation achevée et de contrôle totale, totalitaire et totalisante exercée sur les individus, consentants à rebrousse-poil, par les nouvelles technologies. Comment des évolutions naturelles sont érigés en étendard guerrier pour nous monter les uns contre les autres: mondialisation, productivité, cadenece, "réalité"... Qu'un Yannick Haennel, un Tristant Garcia, une Camille de Villeneuve saisisse cette nouvelle réalité glacée et je cours dévorer ce livre. Lors de sa remise du prix de la Fondation Lagardère, Vincent Message disait qu'il ne voulait pas trop se dévoiler, mais que son livre aborderait l'entreprise... Wait and see, alors.
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15/06/2011
Les banlieues, lieux mis au ban des médias...
Dans l'inconscient collectif, Reporters Sans Frontières s'occupe de la liberté de la presse de par le vaste monde. Aussi, les voir traiter de ce qui se passe à Corbeil-Essonnes m'a plutôt surpris.
http://www.slate.fr/tribune/39379/information-banlieues-e...
Le directeur de la recherche d'RSF nous explique la menace : à empêcher les journalistes de bonne foi de faire leur boulot, on laisse la place à des journalistes déformés par le scandale, le seul droit d'informer sur "la" banlieue. Des cartes de presse (ou pas) qui partent en exploration, comme on part à la jungle pour chercher, dénicher ce qui est moche, qui est slle, qu'on attend avec une malsaine excitation. Des joints à foison, des mômes qui se cament dans les buissons, volent les sacs des vieilles, courent après les filles, pétaradent sur des quads et se balladent le Uzi en bandoulière...
Cette déplorable image d'Epinal est devenue la norme construite autour de nos banlieues. A part "Périphéries" d'Edouard Zambeaux, peu de grands médias consacrent des émissions à ces immenses espaces urbains. Combien de visites sur le Bondy Blog ? Pour quelques reportages en profondeur sur le foisonnement d'initiatives, combien de "la vérité sur les bandes" "l'enfer des cités", "enquête sur la ville de non droit", "genèse du gang des barbares", "plongée dans le royaume de ceux qui niquent la France". L'an dernier, une émission de France Inter (encore...) avait souligné que rarement dans la langue française un mot aura été à ce point dénaturé.
La définition de wikipédia illustre ce malaise. Le médium étant plus récent, il englobe à la fois la définition naturelle et sa déviance médiatique: "La banlieue désigne communément l'espace urbanisé d'une ville qui est situé dans la continuité du bâti de sa ville-centre et qui en est administrativement distinct. Aujourd'hui, dans certains pays (en France entre autres), ce mot désigne habituellement dans les médias les quartiers pauvres et par conséquent souvent difficiles ("problèmes de banlieue")".
Et voilà comment l'alpha et l'omega des définitions des étudiants intègre l'aspect invariablement négatif de "banlieue". Pour autant, Neuilly ou Chatou, St Rémy les Chevreuses sont aussi des banlieues... A-t-on jamais entendu dire "l'X, HEC, Thalès, l'Oréal sont situés en banlieues", non, ces éléments du prestige Français sont situés "en région parisienne"...
Tout ceci ne vaut rien qui vaille comme le dit le chercheur de RSF. Cela souligne ce que Christophe Guilluy appelle dans son livre des "fractures françaises". Une déconnexion actée, irrémédiablement actée par des élites qui ne veulent plus voir cette réalité et la détache de leur programme politique comme on se sépare d'un poids pour mieux s'envoler. Une pratique moralement condamnable mais surtout politiquement stupide: l'avenir démographique et donc l'avenir des entrepreneurs et de la création du pays sont dans ces villes. S'en désintéresser revient à un suicide politique... Sciemment entretenu : combien d'élus de banlieue y vivent encore ? Ce n'est pas un hasard de voir Stéphane Gatignon tirer la sonnette d'alarme: il vit à Sevran. Contrairement à Mélenchon ou Dray qui rappellent invariablement qu'ils sont "élus de banlieue", certes, mais vivent à Paris. Une attitude lourde de symbole. Ils préfèrent vivre à Paris pour tout ce que la capitale offre et qu'ils ont acté ne pouvoir doté leurs villes...
Ces lieux mis au ban, ces banlieues, sont plus que jamais la caisse de résonance de Marine le Pen. Pour une raison simple: elle agite cette réalité déformée par les médias et promet de la changer. Une candidature du changement, plutôt que de s'échiner vainement à promettre de tout reconstruire devrait commencer par s'y rendre pour parler d'autre chose que de sécurité...
La semaine dernière, j'étais aussi à Corbeille-Essonnes pour animer un débat sur l'avenir de la culture. Il faisait chaud et il était plus de 23h, cela faisait plus de 2h que l'on échangeait et pourtant il restait une quinzaine de personnes debout, toutes les chaises étant occupées par des militants persuadés que la culture restait la réponse prioritaire pour leurs villes. J'aurais vraiment aimé que des journalistes montrent aussi cet aspect de la ville, même si je reconnais qu'il est moins télégénique que l'infinie cohorte de camion de CRS que nous croisions au retour, devant les Tarterêts...
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13/06/2011
"La France n'est plus en Europe", l'étrange cri de Richard Millet...
Pourtant moi j'aime bien Répliques. L'émission de Finkielkraut qui a le mérite de faire le boulot et d'interroger les questions de société en profondeur.
Pourtant, j'aime aussi Richard Millet. Enfin, certain de ses livres. Surnommé "Le Proust du plateau de Millevaches" par les gazettes, ce qui me paraît excessif, je goûtais toujours son érudition mélancolique, son côté levantin (ou presque il est libanais) déraciné en Corrèze.
Et puis j'ai écouté ça http://www.franceculture.com/emission-repliques-repliques...
"Au coeur de la France", ça partait mal. Souvent Finkielkraut oriente un peu les débats vers ses penchants; soit son côté réactionnaire assumé, soit sa défense d'Israël... La plupart du temps, c'est un un peu tendancieux, mais sans outrances non plus. Là, les bras, les pieds, les mâchoires, tout m'en tombèrent. J'ai oublié le nom de l'autre invité (le site de France Culture aussi) mais il est trop effacé par le double numéro de complotisme démentiel de Finkielkraut et Millet. Millet de citer une anecdote. L'équipe de France de football part jouer en Lituanie et les supporters s'interrogent " reste-t-il des blancs en France. La France est-elle encore en Europe ? ". Ce propos de pochtron, auquel le romancier, éditeur chez Gallimard et autres parchemins ne devrait pas prêter attention, il le relève, le soupèse et déclare qu'on doit poser la question. S'interroger car l'homme blanc "n'est plus majoritaire en France" (heu, www.insee.fr ?) et "notre langue menace de disparaître". Là dessus, Millet de renchérir avec le nouvel argument répulsif : "moi aussi j'ai essayé". Comprenez bien que lorsqu'une phrase débute ainsi, le pire est à venir. C'est l'équivalent de l'historique "j'ai moi même un ami noir, arabe, pédé, juif...".
Là, Millet veut dire qu'il a essayé d'enseigner la langue française dans les lycées de banlieue. Mais c'est impossible. Ha ? "Ils refusent l'intégration". Bon bon... Et Finkielkraut de décourager la réponse de l'autre bretteur en lui disant "mais tous les jours, dans ces établissements, des coups de couteaux s'échangent entre élèves ou professeurs" Millet surabonde, explique qu'il leur a parlé en arabe (heu démission du prof? Démagogie gerbante ?) et "ils n'aiment pas la France".
"La France est-elle encore en Europe ?", c'est un étrange cri comme Yourcenar disait de "Hiroshima mon amour" de Marguerite Duras. Robert Ménard ayant été congédié d'RTL, je suggère que les duettistes aillent le pousser sur les ondes de radio Luxembourg, station qui me semble plus indiquée pour ce genre d'éructation...
Demain, nous verrons quelle seconde journée de solidarité prélever pour financer la dépendance sans se faire insulter par les comités de tourisme divers ou les instances cultuelles...
08:51 | Lien permanent | Commentaires (4)