20/05/2011
La fin du travail... et le début d'une nouvelle pensée de gauche ?
Interviewer Jeremy Rifkin fut sans conteste l'un de mes meilleurs moments de vie professionnelle. Je ne vous dirais pas quels sont les autres, pour la bonne et simple raison que je les cherche, mais passons. C'était pour son livre sur le "rêve européen" que j'avais dévoré, avant de lire son dernier sur la civilisation de l'empathie.
Et puis un jour en passant dans ma librairie favorite, je découvrais, ô honte bue, que je n'avais toujours pas lu son grand oeuvre sur le travail dans un monde qui n'en fournira plus. Dont acte. Préface de Michel Rocard, postface d'Alain Caillé, ça résume bien l'OVNI. Rocard comme père de la deuxième gauche et fondateur du RMI, une idée géniale selon Rifkin, pour préparer le monde à l'après-travail. Et Alain Caillé, à la tête du MAUSS (mouvement anti utilitariste en sciences sociales) qui pense lui le don et le bénévolat.
Dans son livre, Rifkin évoque des chiffres sidérants qui vous pousse à courir. 1/ Vers un tube de Valium. 2/ Vers un manuel de décroissance...
En effet, la thèse de la fin du travail, assez peu contrariée par les faits depuis une quinzaine d'années qu'il a paru (très intéressant d'ailleurs de lire la préface inédite de l'auteur à l'édition de 2011 où il évoque en quelques pages la révolution Internet qui n'influe qu'à la marge sur sa thèse...) : le chômage, cette mère de toute les batailles, est une activité en voie de propagation incontrable. Le travail deviendra, quoi qu'il arrive, une activité rare. L'explosion de la productivité rendant les masses humaines bien moins importantes, il arrivera un moment où l'inventivité ne suffira plus. Nous aurons ad vitam eternam besoin de commerces, de santé, d'éducation ou d'ordre, mais toutes les activités commerciales et de services sont très fortement touchées par le progrès. Le plus évident est le secteur agricole: de plus de la moitié de travailleurs de la terre, nous sommes passés à 2%... Et le problème est mondial: aujourd'hui, avec plus de 2 milliards de paysans dans le monde, nous sommes à l'aune d'un problème de chômage massif. Bien sûr, tous les ougandais, les benghladis n'auront pas demain les moyens techniques des paysans américains, mais une diminution ne serait-ce que de moitié produirait un milliard de chômeur. Déroutant...
Au-delà de l'agriculture: 37% d'employés de banque en moins avec la numérisation, les services de voyage, aujourd'hui potentiellement les employés de caisses... La liste est longue et morne des emplois que l'on ne récréera pas et ne pourra remplacer.
Pourtant, l'explosion de création de richesses se poursuit de façon ininterrompue, c'est là où Rifkin arrive avec des solution ancrées à gauche et à examiner.
-La semaine de 4 jours, où à tout le moins un meilleur partage du temps de travail. Rifkin dresse une sidérante apologie de la réduction du temps de travail pour un américain, avant les 35h, en mettant en garde que si cela ne crée pas suffisamment d'emploi, la désillusion populaire n'en sera que plus forte. Bien vu l'ami. Mas le débat n'est pas clos, loin de là...
-Le salaire social. L'innovation est là : le budget de la générosité est 30 à 40 fois supérieur aux USA par rapport à la France. Avec ses perversités puisque les fondations flèchent leurs dons vers les associations et les causes qu'elles souhaitent, excluant de facto certains publics. D'où l'idée de Rifkin de labelliser le bénévolat et de salarier ce temps passé à aider les associations avec une gouvernance publique, seule à assurer l'intérêt général non entravé par des visées particulières, fussent-elles généreuses...
-On peut poursuivre en allant vers un débat plus français que Rifkin n'aborde qu'à fleuret moucheté car il a l'air modérément fan d'imposition. Si l'on sait que les emplois commerciaux marchands ne sont pas légions, les besoins de services publics eux, augmentent. D'où l'idée qu'il faudrait taxer de façon confiscatoire (le mot ne me choque pas) les profits des très hauts revenus et des boîtes pour réembaucher tous les personnels de service public vraiment manquants pour la population : c'est à dire ni les impôts, ni la cohorte de consultant en consultance publique et autres agences d'évaluation para publique pour replacer ses potes, mais des dizaines de milliers de personnels éducatifs et les mêmes bataillons de personnels de santé notamment pour nos plus anciens...
Voilà, je ne sais pas si on trouvera cela dans la "Présidence Normale" de François Hollande, où la "France qui soigne" de Martine Aubry, mais m'est avis que Rifkin comme conseiller spécial du Président, ne serait certainement pas pire que Guaino...
Demain, pourquoi pas Caillebotte ? Parce qu'il y aura plus de deux heures de queue et qu'on ne peut déjà plus acheter les billets en ligne....
07:11 | Lien permanent | Commentaires (2)
17/05/2011
Réflexions sur le cas DSK
Je ne me sentais pas pressé de parler de cette histoire dont on ne sait pas grand chose, mais remarque que je recevais des mails (tous masculins) pour me demander pourquoi je n'ajoutais pas quelques saillies au ramdam ambiant. Deux jours après, on n'en sait guère plus, mais le commentaire abondant de l'affaire mérite que l'on s'y arrête quelques secondes...
1/ Sur l'affaire elle-même. Un large faisceau d'indices inclinent à penser qu'il a bien commis les faits reprochés. Son passé, à la fois sexuel et politique font pencher en ce sens. DSK n'a jamais été un candidat favori. C'était un hologramme, une projection chérie, mais dans la réalité, que pouic. En 2006, il s'est fracassé sur le mur de la réalité et s'est fait étalé sur le mur de la réalité. Là, il en serait allé de même face à François Hollande et il le savait. Le "Porschogate" révélait déjà la teneur d'une campagne contre lui qui serait fangeuse plus que sur le fond et il se savait condamné.
DSK n'est pas un battant héroïque, mais un surdoué indolent qui ne veut pas voir ce qui lui arrive. Les psychiatres parlent de possible sortie de route volontaire, de refus de se colleter la possibilité d'un drame. Une analogie monte à la surface : le viol de DSK, c'est son coup de tête de Zidane. Sa façon à lui de se retirer dans le bruit et la fureur, à jamais nimbé de l'aura du plus grand qui n'aura pas connu la défaite.
2/ Sur le commentaire: dans ce vaste concours d'hypocrisie, les plus indignes sont... les strauss-khaniens et de loin. Je lisais des commentaires comme "je me fous de la vérité, je souffre de voir Dominique ainsi". Idem pour Valls et le Guen qui trouvent "les images révoltantes, faisant monter les larmes aux yeux". Bon, l'arsenal judiciaire américain est impressionnant et certes, les méthodes sont un peu musclées. Néanmoins, néanmoins, néanmoins. DSK n'est pas accusé de potentielles malversations ou délit d'initié ou je ne sais quel malveillance en col blanc, blanc comme la pureté virginale: il est accusé de viol. Imagine t'on tous les violeurs dégueulasses, ceux-là même que Sarkozy appelle à interner, à enfermer à triple tour, tous ces "monstres" emmenés délicatement ? Non, un viol est un acte immonde et DSK a suffisamment de précédents dans son casier pour que l'on soit sévère avec le puissant. L'insoutenable légéreté des strauss-khaniens qui noient dans des théories du complot la nature des faits qui lui sont reprochés à là pour le coup, quelque chose susceptible de faire monter les larmes aux yeux...
Edit 9h19, ce commentaire de mon amie Cécile: "Même l'équité et l'altruisme de Robert Badinter ne résistent pas aux intérêts de classe. Une seule victime, celui à qui on inflige l'humiliation des menottes et des flashs. La présomption de "victime du viol" n'existe plus à cette heure dans son raisonnement". Idem pour BHL qui s'énerve contre la justice américaine... Effectivement, malheureusement, la justice américaine dans ses délires paranoiaques donnent du grain à moudre aux défenseurs de DSK; 74 ans pour une tentative de viol et l'emprisonnement immédiat dans une prison lugubre semble disproportionné. Cela le laisse en posture de martyr, inverse la charge; dommage, justice...
3/ Sur les médias eux mêmes: lire l'article de Christophe Deloire dans le Monde. L'auteur, directeur du CFJ, avait publié il y a 5 ans "sexus politicus" sur les moeurs des politiques. Le livre avait failli ne pas être publié en dépit de la puissance de l'éditeur (Albin Michel) à cause du chapitre consacré à DSK... Le cas DSK selon les auteurs n'avait rien à voir avec les coureurs propres à tous les grands fauves politiques, VGE, Chirac, Mitterrand, Sarkozy, Roland Dumas... Non, pour les auteurs DSK était un prédateur incontrôlable, inquiétant les femmes... Aurélie Filipetti confessait avoir peur au point de ne pas vouloir se retrouver seul avec lui... Rien à voir avec tous les séducteurs, l'amalgame a prévalu de façon incompréhensible. La litote, l'euphémisme à tout bout de champ pour couvrir un puissant et empêcher de se retrouver enferré par l'équipe des mousquetaires d'EURO RSCG... Aujourd'hui, les langues se délient, Internet exhume une vidéo chez Ardisson où une jeune romancière parlait de la tentative de viol... Tous les grands chroniqueurs évoquent désormais leurs souvenirs dérangeants avec DSK pour bien montrer qu'eux aussi avaient vu venir la catastrophe annoncée... On a les indignations au moment où on peut, repentance tardive ne vaut pas bien cher...
4/ Sur les conséquences politiques elles mêmes. Toute prédiction strictement politicienne sur les arbitrages et rapports de force entre les partis républicains ne vaut rien. L'affaire profitera t'elle à truc ou truc ? Sarkozy perd un allié international de poids, Hollande est boosté mais ne doit pas être candidat par défaut. Aubry est lancé mais sans élan car elle manque d'allant et sa ligne démarquée ne vaut rien si elle n'est pas incarnée... Boorlo, Bayrou et autres animateur de la nébuleuse centriste ? Il est trop tôt pour le dire... Une chose est certaine, en revanche: dimanche matin, dans le numéro du JDD où la couverture affichait, laconique "DSK arrêté", les pages 2 et 3 détaillait un sondage dont plus personne ne parle: dans tous les cas de figure, DSK ou pas, Marine le Pen était créditée de 22% ou 23%. Cette affaire ne risque certainement pas de la faire retomber. Alors, à moins qu'on lui envoi un groom dans son Sofitel d'Hénin Baumont, une morne plaine nous attend tous...
Demain, mercredi jour des enfants nous irons au cinéma voir Tomboy...
07:37 | Lien permanent | Commentaires (26)
16/05/2011
Woody sera toujours Woody
Le choix du film du dimanche soir dépend du contexte. Après une après-midi passée à potasser des conneries en prévision d'une semaine chargée à venir, la possibilité de voir Tomboy s'éloignait. J'y retournerai à coup sûr (promis, Cécile) mais pour achever la semaine, je voulais quelque chose de léger, de souriant. Gagné.
D'emblée, pas de fausses promesses: ce n'est pas un chef d'oeuvre, ça ne vaut ni Manhattan, ni Zellig, ni Match Point entre autres. Mais ça se déguste joyeusement. Un peu comme les touristes se gobergent des clichés parisiens, Allen force le trait avec les clichés du Paris de l'entre deux guerres. Il surjoue tellement le côté "belle époque avec un génie à chaque rue" que cela devient un joyeux n'importe quoi, prétexte à quelques sidérants numéros d'acteur (Adrian Brody prodigieux en Dali).
Sur le casting lui même, jetons un voile pudique sur Marion Cotillard, même un génie comme Woody Allen ne peut pas en faire une bonne actrice, mais disons qu'elle ne gâche rien. Sur la première dame, pas grand chose à dire, ni bonne, ni mauvaise, fade et effacée comme sa voix. En revanche, quelle idée de génie pour pouvoir tourner partout à Paris, se faire accorder tous les lieux à toute heure... Sur les seconds rôles, le beau père Républicain d'Owen Wilson est de toute beauté et Gad Elmaleh aussi fin qu'il est politiquement grotesque quand il défend le bouclier fiscal.
Et puis, et puis il y a Owen Wilson. Allen a toujours une trouvaille pour ses premiers rôle; là il prend un physique de jeune premier à qui il donne les fringues de Woody Allen en lui demandant de se camper en paumé à la Bill Murray; le cocktail s'avale hardimment.
Au final, peut être 5 ou 10 minutes de trop, mais si vous aimez détestez les américains, ne rechignez pas à vous moquer des clichés parisiens et français; en clair, si vous aimez Woody Allen, vous aimerez forcément celui-ci...
Demain, promis, nous irons vers quelque chose de plus exigeant, nous préparant pour Tree Of Life...
08:21 | Lien permanent | Commentaires (3)