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01/04/2022

Quelle colère au second tour ?

Senghor avait vu juste moralement, mais faux électoralement avec "un raciste est quelqu'un qui se trompe de colère". L'histoire hoquète tristement, mais depuis quinze ans que les plus fragiles de nos sociétés continuent à subir les conséquences de la crise des subprimes que les plus favorisés ont oublié depuis longtemps, les votes racistes montent. C'est le racisme à l'ancienne qui a fait gagner le Brexit "voter pour virer les étrangers et vous retrouverez la prospérité". Le racisme de Guerre de Sécession à peine larvée qui a fait gagner Trump "voter pour nous barricader entre blancs avant que nous ne soyons submergés" et ad lib avec de fugaces victoires en Italie, en Autriche, des percées espagnoles, hollandaises et même scandinaves. Seuls les allemands ont résisté avec une AFD qui a à peine dépassé 10% avant de retomber. 

Cette colère là n'a jamais rien amené : au Royaume Uni, maintenant qu'on a fait partir les logisticiens, les chauffeurs uber, les soignants de médico social, les agents de nettoyage, le pays tourne moins que jamais. Aux États-Unis, l'invasion du Capitole donne une idée du niveau où s'est enfoncé le pays qui se voit toujours comme le phare de la démocratie mondiale.

En 2007, Ségolène Royal avait connu un moment de grâce avec une de ses rares phrases intelligentes "il y a des colères justes". Comme le rappelait Mélenchon hier soir sur France 2 "Oui je parle fort, oui je m'emporte. Et alors ? Comment ne pas être en colère face aux 8 millions de mal logés, aux 10 millions de pauvres, aux 600 morts dans la rue ?". Il a évidemment raison. La colère a amené le Front Populaire et nombre d'autres conquêtes. Mais avec la conjonction de mouvements sociaux importants, un élan donné par la rue traduit dans les urnes. Hélas, avec l'équation Covid + Ukraine, plus aucun mouvement social d'ampleur n'existe dans ce pays. Pourtant, sur le fond, l'opposition au projet réactionnaire d'Emmanuel Macron est colossal. Souvenons nous des foules contre la réforme des retraites, en 2019, alors qu'elle était moins violente que celle en préparation pour le nouveau quinquennat. Et quid du travail forcé pour les allocataires du RSA ? Evidemment la fronde sociale est légitime. Il y a toutes les raisons du monde à porter une colère sociale au second tour de la présidentielle. A compléter ce que n'avait pu achever le CNR dans un pays ruiné, avec un bouclier contre les risques du mal logement, du mal manger, avec des réquisitions de logements vides et une sécurité sociale alimentaire. Il faut espérer que les électeur.ices votent sur des aspirations positives et pas sur des passions tristes, mais une chose est sûre, la colère sera forte.

Avec la guerre d'Ukraine, Macron a oublié qu'il était le Président le plus haï de la Vème République. Il y a déjà eu, bien sûr, des Présidents beaucoup plus impopulaires que lui, Sarkozy et surtout Hollande. Mais Sarkozy provoquait de la colère et Hollande de l'indifférence, Macron suscite de la haine. Sa morgue toute versaillaise, son contentement royaliste, son mépris le plus absolu pour tous les mouvements sociaux ont fini de cristalliser une haine inédite. Les gilets jaunes n'ont rien obtenu. Les éditorialistes parlent des 10 milliards sortis pour acheter la paix sociale et arrêter le mouvement, mais qui a vu la couleur de ces 10 milliards dans les territoires d'où partirent les révoltes ? Après l'infini (au sens propre, puisqu'on avait encore 200 000 contaminations hier) Covid, le Ségur de la santé est une -mauvaise- plaisanterie. Quand à la convention citoyenne pour le climat, c'est le crachat ultime : les propositions intelligentes, concrètes, efficaces, sont là, et Macron les jette toutes pour garder l'enrobage inoffensif. Tout ceci a achevé de faire monter une haine gigantesque, qui ne fait que redoubler avec une proposition de retraite à 65 ans, de travail forcé au RSA et de rémunération des profs au mérite... Ajoutez en ultime pichenette dédaigneuse, sa réaction au scandale Mc Kinsey, quintessence de ce qui suscite l'exaspération : collusion, pognon de dingue pour le privé, renvoi d'ascenseur, opacité, fraude fiscale, inefficacité finale, contournement et mépris des fonctionnaires (et j'en passe). Certes, il partait de très très haut, mais tous les sondages depuis trois semaines montrent un Macron qui pique dangereusement du nez avec plus de 3 points perdus au premier tour et des seconds tours potentiels qui se resserrent. Macron joue avec le feu sans voir que la colère peut l'ensevelir. 

Ajoutez une dernière étincelle pour la barricade, l'idiot utile Zemmour. Il a recentré Marine le Pen sur la fond et l'a humanisé sur la forme. En lui piquant nombre de soutiens et même sa nièce, il en a fait une cabossée comme les français aiment. Comme Chirac en 1995, quand le banquier Balladur piquait tous les jeunes loups comme Sarkozy. Les électeurs se retrouvèrent dans la figure de Chirac, du brave gars. Le Pen vit le même moment. Paradoxe inouï quand on sait quelle héritière politique elle est, tout dans sa campagne suscite empathie et adhésion : elle est célibataire, la pauvre, lâchée par des opportunistes qui partent chez Zemmour, bichette, abandonnée par les banques françaises, paurvette, et en plus elle aime les animaux et défend les enfants en danger (hier sur France 2). A peu de choses près, on a l'impression d'écouter Soeur Emmanuelle... Il y a deux semaines, un meurtrier a abattu Martin Aramburu de 6 balles. Lui, comme tout son entourage était de tous les raouts du RN. On ne pose pas la question à Le Pen. Comme on ne lui pose pas la question du bilan des villes dirigées par ses ouailles, où le clientélisme, l'affairisme se mêlent. On ne lui parle même plus des emplois fictifs au Parlement Européen. On ne lui parle même plus de son racisme systémique, puisque c'est Zemmour, le méchant.

Macron sera au second tour, le socle de ceux qui veulent que le système perdure lui permet ça. Mais la violence inouïe, sans précédent, qu'il suscite n'assure absolument pas qu'il l'emporte. L'abstention au second tour sera colossal et tout peut se passer. Honnêtement, Mélenchon a beaucoup moins de chances que Le Pen de balayer Macron. Le débat s'est tellement droitisé qu'il faut concéder que nous sommes plus proches de la réaction que de la sociale. Raison de plus pour ne pas se tromper de colère au premier tour pour ne pas avoir à regretter l'affiche du second. 

 

 

28/03/2022

Où regarder ?

La campagne officielle débute, signifiant que nous votons dans deux semaines. Ça paraît à peine croyable tant rien n'a commencé. Bien sûr, il y eu des meetings en pagaille, parfois des foules monstres (chez Mélenchon à Paris, Lyon et Marseille, dans une moindre mesure les rassemblements de Zemmour furent, hélas, assez impressionnants) et quelques débats télévisés, mais jamais au point de s'imposer comme le sujet dominant. 

En 2007 et 2012, à deux semaines du premier tour, on ne parlait que de ça. En 2007, l'hypothèse Bayrou vivait ses derniers feux et en 2012 la question portait sur la marge d'Hollande vis à vis de Sarkozy d'une part et vis à vis de Mélenchon, d'autre part, pour connaître le dosage de libéralisme et de social qu'il pourrait s'octroyer. En 2017, l'acmé du suspense avec quatre candidat.es en passe de se qualifier au second tour rendait le sujet incontournable. Et la virulence des attaques entre les camps étaient infiniment supérieures à ce que l'on voit cette année. Que les militant.es de Jadot qui pensent être agonis d'injures par les Insoumis regardent ce que prenaient (à raison) celles et ceux qui votèrent Hamon... Le vote Macron pour éviter un second tour Fillon/Le Pen marquait les prémices d'une sociale-trahison jamais oubliée. Bref, on s'écharpait en dentelle, on s'étripait courtoisement, on causait politique.

Mais cette année ? Les bulles de filtres ont laissé place aux bulles tout court. Chacun prêche dans son coin, sans déborder, sans faire de bruit. Quelques petites polémiques (Zemmour et les autistes, Macron et le RSA, la remigration), quelques petites phrases, quelques affaires (Mc Kinsey, la non publication du rapport Orpea) mais au final, nous aurons eu sauf retournement de dernière minute, une campagne sotto voce. Rien n'a pris. Pas plus les très légitime débats sur le niveau des droits de succession (lancé par Mélenchon et l'interdiction de transmettre plus de 12 millions) que la tentative des ONG engagées pour le climat de faire monter le piteux 2,7% du temps de débat réservé aux sujets climatiques. Même la putative suppression de la redevance audiovisuelle par Macron ne prend pas dans les médias publics ! On regarde à l'est. Depuis plus d'un mois, nous suivons les fils de nouvelles guerrières, diplomatiques, les cours de l'énergie. Pourtant, nous ne sommes que très modérément touchés par ce conflit.

Les victimes sont très majoritairement les ukrainien.nes et les soldats russes qui ne voulaient pas de cette guerre. Les réfugiés vont très majoritairement dans les pays limitrophes, Pologne en tête. La "solidarité" ou "générosité" d'accueil française n'est que très relative. Le coût de l'énergie est archi compensé par les pouvoirs publics, certes l'essence a augmenté, mais Total en prend une part, Castex une autre, c'est de la mêlasse mais pas la catastrophe. Celle-ci arrive en Afrique où l'explosion du prix de la nourriture va générer des famines colossales. Rien de tout cela chez nous. Malgré tout, nous regardons à l'est.

Hier, le parc de ma fille rouvrait après quatre mois de travaux. Profitant du soleil printanier, tous les parents du coin affluèrent en masse. Personne ne disait rien, mais nous ne pouvions ignorer la silhouette humaine masquée par un duvet. Un ou une malheureux.se dormait là, comme ielle en avait sans doute pris l'habitude pendant les travaux. Un tour du parc me fit voir 3 autres matelas. Lors de la séquence tardive du parc, les silhouettes avaient disparues et le matelas -éventré- le plus gros était toujours là. Dans un quinquennat marqué par la fiscalité la plus injuste de la 5ème doublée d'une crise Covid, nous avons un million de nouveaux pauvres, nous atteignons des sommets avec 8 millions de mal logées et il y eut encore 600 morts dans la rue l'an passé. 

La retraite à 65 ans, les quinze heures de travail forcé pour les allocataires du RSA ou encore les conséquences de la dernière réforme de l'allocation chômage ne risquent évidemment pas d'améliorer le tableau. Et l'édifice fragile des services publics, boucliers et patrimoines de celles et ceux qui n'ont pas hériter chancelle tout autant. La rémunération des profs au mérite ne sauvera pas l'école, pas plus que le Ségur n'a sauvé l'hôpital. La campagne s'achève et nous regardons à l'est. Ça peut s'entendre, mais ça ne pousse pas à mettre un bulletin de vote nous aidant à changer ce que l'on a sous les yeux. 

 

 

24/03/2022

Si Loïk le Priol avait été musulman

Samedi soir, Federico Aramburu, ancien international de rugby a été tué par balles en plein Paris et la nouvelle fait peu de bruit dans les grands journaux. A lire les excellents articles que Mediapart et Street Press consacrent à l'article, on est ébahis par le profil de l'assassin, Loïk le Priol. Il n'aurait pas dû être à Paris, devant pointer au commissariat de Draguignan dans le Var, pour des faits de violence. Il fut exfiltré de l'armée après avoir étranglé et frappé une prostituée en Afrique, a tabassé plus souvent qu'à son tour, s'est exhibé avec des armes sur les réseaux sociaux, bref, un radicalisé de chez radicalisé, une racaille de chez racaille, un homme dangereux pour les non blancs et pour les femmes.

Et avant le drame, il avait dit aux rugbymen avec qui il s'embrouillait qu'il était "un vrai français, lui, il n'avait pas à partir". Avant de tirer six balles. Et hormis les titres cités, pas de vague, son arrestation en Hongrie n'est même pas dans les journaux. On ne demande pas aux candidats à la présidentielle ce qu'ils pensent de la violence, de la violence armée, à l'extrême droite. Car Le Priol a un historique de photos et de vidéos avec des cadres du RN et des proches de Zemmour long comme le bras. L'Équipe qui y consacre un peu de place vue la nature du défunt parle de l'assassin comme "un sympathisan de l'ultra droite", dans une formule doublement trompeuse : l'ultra droite n'est jamais sympathique et Le Priol n'était pas un quidam dans ces réseaux, mais bien un pilier. 

A chaque approche d'une élection présidentielle, tous les drames, tous les faits divers sont instrumentalisés. Songeons à "Papy Voise" avant 2002, ou, plus près de nous, au policier assassiné sur les Champs Élysées en 2017. Chaque fois, tous les journaux donnaient leurs micros aux commentateur.ices et aux politiques pour recueillir leurs avis forcément doctes et pénétrants sur l'insécurité, l'immigration et l'islam. Là, nous sommes à 3 semaines de l'élection et un meurtre en plein Paris par un homme dont la vie entière est dédiée à l'ultra droite, cette ultra droite dont la violence et les actions terroristes augmentent partout en Europe et l'on en dit pas un mot. Pas un. A cause de l'Ukraine ? Sans doute un peu. Mais, soyons sérieux, si Loïk le Priol s'était appelé Abd el Krim Abdeslam, aurait-on le même silence médiatique et oserait-on parler de faits divers ? Honte à celles et ceux qui couvrent la violence d'extrême droite.