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21/09/2021

Radicalité à géométrie variable

Depuis les résultats du premier tour de la primaire EELV, la consternation est de mise chez nombre de commentateur.ices (surtout les mecs, soyons honnêtes) quand au score de Sandrine Rousseau. "Sectarisme", "exclusion", ladite fut invitée sur France Inter où on l'interrogea sur la compatibilité de sa doctrine politique -l'écoféminisme- avec la République. Est-ce que ça n'exclut pas 50% des votants ? Veut-elle des têtes sur des piques (recyclables et en bois de circuit court) ? Est-ce définitivement le signe qu'EELV s'enferre dans une culture sectariste et minoritaire ?

Ce faisant, on parle assez peu du fond : le candidat de droite, de l'économie libérale, Governatori, a fait 2%. Il y a 98% des 120 000 votant.es qui ont voté pour une écologie de rupture, plus ou moins prononcée, mais le consensus est là. Batho et sa décroissance affichée fait 22% et personne n'en parle car ça les met en PLS de devoir admettre qu'on peut vivre mieux, tous, sans croissance. La boussole absolue, l'espérance de vie en bonne santé, augmente chez les 10% les plus riches quand elle baisse drastiquement dans nombre de pays et parfois même l'espérance de vie tout court chute. Alors la croissance... La radicalité écolo c'est celle qui s'impose à nous, celle du rapport du GIEC, celle dépeinte par l'ONU d'un monde à +2,7° en 2100. Ça, c'est radical. Ironie de l'histoire, on réintente un procès en sorcellerie à Sandrine Rousseau comme celles qu'on voulait faire taire, jadis. Progrès, notable, personne ne propose de la brûler en place publique (seulement symboliquement).

Dans le même temps, la candidature Zemmour avance à bottes rapides. Les requêtes Google sur "Zemmour" en France sont 4 fois plus importantes que le maximum de requêtes sur "changement climatique" et tous les médias rivalisent d'audace pour l'accueillir. France 2 l'accueil en prime, en le chicanant, peut être, mais sans la même violence que Rousseau. Une interview à peu près normale commencerait ainsi "vous êtes multi condamné pour incitation à la haine raciale, vous réactivez une notion qui fait honte même à l'extrême droite - la remigration - car intenable juridiquement, constitutionnellement, humainement, comment pouvez-vous sérieusement briguer une candidature et participer à des élections quand vous êtes un tenant de la guerre civile ?". Ainsi, on verrait si Zemmour assume de nous dire qu'Hitler a remporté les élections. Mais non, on l'a chicané sur des conneries de prénoms, sur le fait que, quand même, il a un problème avec les femmes...

Des journalistes lisent Zemmour. Le magazine ELLE a consacré 6 pages aux mots de Zemmour vis à vis des femmes. C'est à vomir. Il veut les exclure de tout, les soumettre, explique que "sans domination, on ne bande pas", avance qu'elles ne sont pas faites pour le pouvoir et qu'elles rêvent de l'idéal masculin homosexuel. La misogynie de Zemmour n'est pas celle des talibans, mais au moins celle de Trump, une vraie haine de 50% de la population. Rousseau n'a pas de haine des hommes en tant que tel, elle abhorre le système partiarcal. Zemmour a une authentique haine des femmes, ça passe crème. Dans Médiapart, Lucie Delaporte s'est infligée les écrits de Zemmour sur tous les sujets. Elle confirme la haine pathologique des femmes et en rajoute, chirurgicalement, sur sa xénophobie pathologique, racialiste, biologique, des étrangers et des musulmans, en particulier. C'est fâcheux mais on peut débattre, puisqu'on l'invite en majesté à débattre avec Mélenchon sur BFM. A ce propos, j'ai lu ce commentaire hilarant avec une citation de Jean-Pierre Vernant "on ne discute pas cuisine avec un anthropophage". Vernant avait raison, on le sait depuis le Pen à l'Heure de Vérité dans les années 80 dans laquelle il déversa sa haine des "sidaïques" des "invertis" et autres... On apprend peu de l'histoire, puisque tout le monde ne parle que de lui (encore 2 pleines pages dans le Monde, hier soir). 

Last but not least, Zemmour est un climato négationniste. Il pense que le réchauffement climatique est dû à la natalité en Afrique et en Asie et n'a rien à voir avec le modèle de production occidental. Nous voilà bien...

La place accordée aux deux "radicaux" en dit long. Pour Rousseau, quelques lignes pour décrédibiliser la démarche, un procès en sorcellerie ne s'encombre pas d'arguments rationnels. Pour Zemmour des pages et des pages pour savoir si sa candidature est un symptôme de notre maladie collective ou le remède. Exactement ce que firent les médias américains se pinçant tous le nez devant l'irruption d'un raciste et misogyne patenté comme Trump... La France n'est pas les États-Unis d'une part et surtout Zemmour n'a pas de camp quand Trump avait réussi à prendre la main sur l'appareil républicain donc la suite n'est pas écrite.

Il n'empêche que le traitement de ces deux radicalités, a de quoi désespérer, au-delà de Billancourt, l'ensemble du vivant.  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

20/09/2021

Faire peuple

Comme à chaque présidentielle, une surenchère va s'entamer pour "parler au nom du peuple". A droite, on attaque très fort en expliquant que la France n'est plus ce qu'elle était, à cause de la perte de blanchité et de catholicisme de son peuple justement. Brecht disait ironiquement "puisque le peuple vote contre le Gouvernement, il faut dissoudre le peuple", la nouvelle extrême droite nous dit très sérieusement "puisque le peuple ne représente plus la Nation, il faut changer le peuple: renvoyez les non blancs, faire plus de blancs". A toute berzingue sur la dimension identitaire du peuple pour tenter d'emporter le magot des électeur.ices de la droite extrême à l'extrême droite qui représentent à eux seuls désormais de quoi accéder au second tour à coups sûrs.

À gauche, on va enclencher la surmultipliée pour essayer d'aller récupérer les abstentionnistes, les gilets jaunes originels, ceux qui pestaient contre l'abandon des services publics, les fâchés pas fachos et autres électeur.ices qui votent soit blanc, soit ne se déplace plus. Puisque mathématiquement l'addition des forces de gauche est dramatiquement inférieure à celles de droite, il faut bien haranguer les foules au risque de sortie de route intempestives... En 2012, Laurent Bouvet publiait "le sens du peuple" annonçant que la gauche avait oublié les damnés de la terre en ne parlant qu'aux femmes, aux immigrés, aux LGBT et qu'il fallait retrouver "le sens du peuple". Une rhétorique séduisante de prime abord, empreinte de chevénementisme, mais qui en réalité se superpose très vite à celle du RN... Lutter contre les inégalités et les discriminations de front, c'est la mission non négociable de la gauche. Dès que l'on euphémise les secondes, on s'égare.

L'expression "faire peuple", peut s'entendre de deux façons : faire Nation ou singer le peuple. Dans le premier cas, cela signifie de s'attaquer aux chantiers homériques des inégalités de destins. Reconnaître que nous sommes plus dans un système "héritocratique" que "méritocratique" pour reprendre la formule de Paul Pasquali. Admettre, une bonne fois pour toutes que le problème ça n'est pas seulement la panne de l'ascenseur social, mais l'obsession pour l'ascenseur et une vision pyramidale de la société où une élite impose ses vues aux autres. Refaire peuple c'est aller vers davantage d'horizontalité en donnant plus de considération (y compris financière) aux métiers du lien, du soin, du care, à cette fameuse première ligne hypocritement encensé lors du premier confinement. Ça ne sont pas des mots, c'est un système éducatif, d'orientation, en conséquence. Ce sont des grilles de salaire, une fiscalité, afférente, pour remettre à plat, araser des différences insanes et reconnaître celles et ceux qu'on invisibilisent trop. C'est une oeuvre titanesque, de faire peuple, mais on n'a pas le choix.

Hélas, faire peuple, ça peut aussi être embaucher un coach pour "désapprendre à parler" comme Laurent Wauquiez, Xavier Bertrand ou Arnaud Montebourg qui singent par de l'argot mâtiné de grossièretés ce qu'ils pensent être prisé des milieux populaires. C'est flatter des bas instincts, mythifier un passé inventé et idéalisé. C'est grossier, mais électoralement fructueux. Tristesse.  

 

 

16/09/2021

Dédouaner la haine ?

À chaque nouvelle radiographie du vote RN en France, on trouve des euphémismes pour nous convaincre que 25% des électeurs ne sont pas racistes. Ce matin, quelqu'un dont je ne saurais remettre l'intelligence en question me disait à propos de la couv' de Causeur sur le Grand Remplacement, qu'il fallait entendre leurs angoisses, leur hantise d'une domination de non blancs qui se retournerait violemment contre eux.  En clair, il faut dédouaner la haine, ne pas les braquer, ne pas leur dire qu'ils sont racistes...

Je ne dirais jamais que 100% des électeur.ices du RN le font par racisme. Évidemment. Dans "la gauche et les cités, histoire d'un combat perdu", le sociologue Olivier Mesclet rappelle une boutade désespérée des électeurs PCF  de la cité du Luth, à Gennevilliers, dans les années 90 : "qu'est-ce qu'un électeur du Front National ? C'est un communiste qui s'est fait cambrioler 3 fois". Bien évidemment que l'insécurité joue et que dans les quartiers en questions, l'insécurité est plus liée à des non blancs. Mais elle ne touche pas que les blancs, en revanche. La paupérisation est mauvaise conseillère et dans ces quartiers à l'abandon, elle vous fait faucher toutes et tous. Mais Mesclet de rappeler que le vote RN reste marginal dans ce quartier comme dans la plupart des quartiers sensibles, d'ailleurs. Et pas seulement car ils sont moins peuplés de blancs qu'ailleurs. Mais parce que le premier parti là bas, des années lumières devant le reste, c'est l'abstention. Dans les zones rurales, les périphéries en revanche, on vote RN en masse et pas seulement par abandon des services publics. Bien sûr ça en fait partie, il suffit de regarder une carte des fermetures des petites gares SNCF, des fermetures de maternité, de casernes, de tribunaux, chaque fois le vote RN monte. Évidemment que l'abandon, le délaissement, la dévitalisation sont des poumons du RN. Évidemment.

Pour autant, leur premier carburant électoral, c'est la haine des étrangers. Leur porte voix, c'est C News, Causeur, Valeurs Actuelles, Europe 1 désormais plus toutes les chaînes Youtube de Raptor Dissident à Papacito en passant par Soral et Damien Rieu (identitaire jugé infréquentable, maisqui a lancé Charlotte d'Ornellas désormais invitée sur C News...). Et leur discours où ils appellent à la "résistance contre la déferlante culturelle" ou encore la légitimation du thème du "grand remplacement" voire de la "remigration" qui consisterait peu ou prou à expulser des français nés de parents français mais nés en Afrique.... Une hérésie juridique, politique, constitutionnelle, une folie pourtant replacé dans le débat public par la candidature de Zemmour. Et là, évidemment, face aux chiffres, face à la masse, on met en exergue le relativisme "ils ne sont pas racistes, ils ont peur, c'est compliqué, c'est de la provoc"...

J'ai l'impression de réentendre toutes les fadaises sur la haine en ligne, où des tas de belles âmes vous expliquent posément que les appels aux viols, voire aux meurtres de militant.es féministes et antiracistes (l'écrasante majorité du cyberharcèlement est dirigé contre les femmes, je fais un inclusif contre-intuitif) c'est de la LOL culture, de la mise à distance, ils ne pensent pas ce qu'ils disent... Je me demande ce qu'il faudra pour arrêter de dédouaner la haine ? La tribune des militaires factieux dans Valeurs Actuelles n'a pas suffi, le déferlement de propos haineux sur les réseaux non plus, les Unes de presse ouvertement racistes et racialistes ne suffisent pas. Faudra pas venir pleurer en avril prochain...