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12/08/2021

Impasses locales dans un désordre global

Dans quelques jours, le grand barnum de la présidentielle va s'élancer à l'occasion des rentrées des partis et mouvements politiques. Et les premières semaines seront agitées par les questions de casting, avant de pouvoir parler du fond. On atteindra ainsi l'acmé avec la primaire de droite, où l'on se demandera si on préfère un poujadiste comme Xavier Bertrand, une poujadiste comme Valérie Pécresse ou encore un poujadiste comme Laurent Wauquiez. Ceci n'empêchera pas les commentateurs de gloser sur "la ligne plus sociale" ou "plus dure" de l'un ou de l'autre voire du troisième, ils peuvent discourir ad libitum sur les 50 nuances de néolibéralisme sécuritaire.

Le sécuritaire et son corollaire identitaire seront, à n'en pas douter, les grands enjeux autour desquels tourneront l'élection et je n'ai pas suffisamment d'imagination pour envisager le concours Lépine des mesures les plus liberticides, les plus ouvertement racistes, discriminatoires, les plus infamantes qui seront proposées pendant la campagne. Expulsions préventives, incarcérations préventives, mise sous bracelet électronique de tous les jeunes de certains quartiers, interdiction de vente de foulards, sauf Hermès, les antennes de C News et Europe 1 vont déborder de propos brunâtres... 

En somme, la présidentielle 2022, comme toutes depuis 2007 et l'avènement de Sarkozy, va tourner autour du refrain "la France n'est plus la France" et chaque candidat.e de ressortir ses cartes postales en sépia où les écolier.es étaient meilleur.es en français, en maths, en langue étrangère bien sûr, où il n'y avait aucune insécurité, etc etc... Le bon gros sens populaire du "c'était mieux avant" et de ces débats de cloche merle englobe tout et empêche toute réflexion d'ensemble. La focale n'étant mise que là-dessus, on est forcé de répondre à ces fausses interrogations. On s'enfonce dans une impasse et on accélère en étant persuadés d'en sortir... 

Pendant un mois, lors de la primaire écologiste, on va enfin parler du sujet qui conditionne tous les autres, qui surplombe tous les autres : la catastrophe climatique. Mais lorsque les écolos auront désigné un.e candidat.e, on interrogera l'élu.e sur la sécurité, l'islamogauchisme et autres fadaises navrantes... Entendez moi bien : l'insécurité est un fléau et elle touche en premier lieu les quartiers populaires. Mais ceux qui se font les hérauts sécuritaires ne mettent pas du Bleu dans les quartiers, ils installent des milices et des caméras dans les quartiers bourgeois, nuance.

Les libéraux sécuritaires devraient comprendre que leurs sujets, leurs totems, vont être balayés et rendus ingouvernables par la crise climatique : ils ont peur de quelques centaines de milliers de migrants ? L'aggravation de la crise climatique va générer des dizaines de millions climatiques. Ils fustigent l'insécurité, les atteintes aux biens et aux personnes ? Les innondations de masse tueront plus de personnes et saccageront plus de maisons que les petits dealers et voleurs... La crise de l'emploi et la valeur travail ? La régénération d'une économie ancrée autour de la résilience climatique est la seul à même de générer des millions d'emplois. Là où la PAC détruit de l'emploi en filant des subventions aux grosses fermes, l'agriculture bio crée des emplois pérennes, non délocalisables, mieux payés. La transition énergétique en créera foultitude, ad libitum.

Bien sûr, le dérèglement climatique est global. Mais on ne peut pas dire à chaque fois qu'il faudrait unanimité mondiale pour agir. Restaurer la France de 1960 ne sauvera pas les sols, l'air, le vivant. Commencer à régénérer la nature pour les générations futures, ça permettra à la France d'être toujours désirable en 2060. Ça devrait quand même orienter nos bulletins de vote. 

10/08/2021

Droits et devoirs de l'universalisme par temps de COVID

L'universalisme français s'arrête là où finit là métropole. Alors qu'on déplore, à raison, les faibles taux de vaccination dans certaines régions, le sud est en tête (avec un décalque vote RN fort : taux de vaccination faible) mais aussi les départements les plus populaires du pays, Seine Saint Denis en tête, le silence sur l'affolante faiblesse de la vaccination outre mer était pesant. Il a fini par craquer quand l'explosion de la pandémie était si forte qu'il fallait d'urgence envoyer des soignant.es en renfort et rapatrier les touristes. Et quand on met le nez dans les chiffres, il y a de quoi se pincer. 

Alors que le taux d'incidence, le nombre de cas et le taux de vaccination connaissent des écarts importants en métropole, mais pas dramatique puisqu'aucun département n'est plus sous les 50% de vaccinations complètes et que les inégalités se gomment (sous la contrainte, mais elles se gomment), on découvre, un peu ébahis, que les départements d'outre mer Guadeloupe, Martinique et Guyane ont un taux de vaccination d'environ 16%.

16% ! 4 fois moins que la moyenne nationale. Ceci, début août soit 3 semaines après la gueulante de Macron qui, à elle seule, a permis de vacciner dans ce court laps de temps plus de 16% de la population métropolitaine. En clair, si nous avions inclus les DOM dans le tour de vis de juillet, nous aurions pu changer massivement la donne. Nous ne l'avons pas fait. Et c'est pour cela que le pire du pire en métropole, est une incidence de l'ordre de 500 à 600 avec un nombre raisonnable d'hospitalisations grâce aux vaccins, contre 1700 dans les DOM avec des populations non vaccinées et donc un nombre d'hospitalisations affolantes, contraignant les autorités à faire ce que l'on fit en mars 2020, un confinement strict, avec des déplacements limités à 1km... 

Comment ose-t-on brandir l'universalisme républicain quand on est capable de différences de traitement pareilles ? Comment ose-t-on parler de troisième dose pour les métropolitains fragiles quand l'écrasante majorité des ultra marins n'a pas reçu de première dose ? Le résultat des régionales, il y a deux mois, montrait bien cette gigantesque différence de traitement entre territoires. Comme le résultat des élections précédentes, d'ailleurs... Les présidentiables se rappellent généralement au bon souvenir des ultra marins uniquement dans la dernière ligne droite avant l'élection. Comme les mêmes se rappellent de l'existence de leurs territoires les plus oubliés, ceux qui ont le plus souffert de la désindustrialisation ou les plus populaires à l'orée d'un scrutin. D'année en année, le niveau d'abstention dans tous ces territoires ne cessent de grimper soulignant que les promesses énoncées sont de moins en moins crues. 

Par temps de Covid, feindre l'universalisme, le claironner, ne suffit plus. Face aux inégalités criantes de moyens de prévention, de protection, on voit on ne peut plus clairement que la République considère certains comme ses enfants, d'autres comme des pièces rapportées... 

 

08/08/2021

Impasse rhétorique

Je ne vais pas cracher dans la soupe, j'ai donné des cours de rhétorique pendant 10 ans. A des étudiant.es français pendant 10 ans et 3 ans avec des étudiants étrangers, d'une vingtaine de pays, ce qui constitua sans doute l'acmé de la jubilation intellectuelle que je tirai de cette discipline. Parler liberté d'expression avec des chinois, droits des LGBT avec des russes, port d'armes avec des américains ou encore laïcité avec n'importe quel autre nationalité que des français fut un délice. Et je confesse avoir pris beaucoup de plaisir à me mettre dans les postures que j'abhorre le plus : imaginer des plaidoiries pro constructions de nouvelles prisons, pro privatisation de la santé et de l'éducation, pro flat tax.... Pour préparer mes cours, je devais imaginer et cartographier tous les arguments de chaque camp et encourageait mes étudiant.es à faire de même puisqu'on ne peut bien réfuter que ce que l'on connaît, que ce que l'on a compris de motivations de l'autre.

J'encourageais les marxistes à lire Friedman, les soutiens féministes à écouter Zemmour etc etc... C'était d'autant plus simple et d'autant plus demandé qu'il y a une mode depuis une quinzaine d'années autour du renouveau de l'art oratoire. Porté par des conférences, par l'association Eloquentia, le succès du documentaire "à voix haute" et des livres de l'avocat Bertrand Périer, ce nouvel engouement se répercute dans nombre de médias qui décryptent, analysent les discours, créent des rubriques "les arguments pour", "les arguments contre". La vague a pris partout, dans les ONG, les entreprises, le secteur public, tout le monde envoyait des kits, des éléments de langage, du prêt à argumenter très facile à partager sur les réseaux sociaux. On peut évidemment se réjouir de ce goût pour la joute, pour l'argumentation, pour le fait d'affiner, de détailler pour mieux persuader. On peut.

Mais à la grande question "à quoi sert la rhétorique ?" je répondais invariablement à mes étudiant.es avec la candeur presque stupide d'un James Stewart dans "monsieur Smith au Sénat" que la meilleure des rhétoriques n'était rien si elle ne servait des convictions. Et je trouve qu'il y en a peu, en ce moment, dans les manifs anti passe sanitaire... 

Depuis l'avènement d'un mouvement "ni de droite nie de gauche", les convictions politiques ont déserté. Il fallait voir toutes et tous ces élu.es LREM "issu.es de la goche" justifier l'abandon de l'ISF ou comprendre la loi Asile Immigration de Collomb... Voir toutes et tous les député.es LR se contorsionner pour justifier leur existence et dire que "Macron c'est pas la droite". Le pêché originel il est là : les marcheurs n'ont aucune colonne vertébrale, pas de conviction, pas de solide. Ils jubilent de la modernité liquide qui les pousse à dire aujourd'hui l'inverse de ce qu'ils disaient la veille. 

Le meilleur exemple de tout cela concerne les problématiques de laïcité, de diversité, d'immigration. En 2016/2017, Macron et Schiappa n'avaient pas de mots assez durs pour la ligne Valls, pleine de fermeture. 4 ans plus tard, ils reprennent tous les éléments de langage et arguments du Printemps Républicain, votent une loi contre le "séparatisme" et disent que Marine le Pen "est trop molle" (ça c'est Darmanin, rendons à Judas...). Alors, évidemment, le mauvais exemple vient de tout en haut, les convictions importent peu, ce qu'il faut c'est trouver une ligne.

Et dans les Manifs anti pass, soudainement, on a des défenseurs des libertés qui n'ont jamais eu un mot pour les migrants en centre de rétention, pour les détenus aux conditions si insoutenables que tous les organismes internationaux hurlent à la violation. Pas un mot, mais on les empêche de boire un café, nous sommes en dictature. Ils hurlent contre les discriminations, les stigmatisations : où étaient ils avec des projets de fichage, de flicage, des familles fragiles pour allouer leur RSA et leurs APL, avec une traque numérique intense jusque sur les réseaux sociaux, quand on fout la paix aux détenteurs de yachts ? Pas là. Ils n'étaient pas là et surtout pas dans les urnes à voter pour la justice sociale, écologique, pour le partage. On a eu des européennes, des municipales, des régionales. 3 occasions de donner des responsabilités, des moyens, du pouvoir à celles et ceux qui défendent la justice écologique, sociale, fiscale et les libertés. Le résultat de ces 3 élections marquent toutes un recul du bloc du progrès social et écologique. Même aux municipales ou EELV a réussi à enlever beaucoup de métropoles, la majorité des électeur.ices ont voté pour des listes conservatrices, violentes avec les migrants, les chercheurs d'emplois, revenants sur les acquis féministes et demandant la mort des normes écologistes. 

Pour la quatrième semaine de suite, les anti passe étaient mobilisé.es et pour la quatrième semaine, de plus en plus nombreux.ses. Elles et ils rivalisent de mauvaise foi pour se justifier un rôle de lanceur d'alerte, de défenseur des libertés publiques, pour se donner le beau rôle et éviter de voir une chose simple : les personnes vaccinées ayant 10 fois moins de chances d'être contaminé et de contaminer, seule la vaccination de masse permet de nous sortir de cet interminable bordel. Il n'y a aucune liberté, aucune grandeur d'âme à refuser de se vacciner. Vient un moment où on met la rhétorique de côté et la santé publique en avant. Basta.