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15/07/2021

Un fond juste n'excuse pas une forme détestable

La seule solution dont on dispose actuellement contre le Covid, c'est le vaccin. J'ai personnellement reçu mes deux doses, me suis inscrit dès que possible pour me protéger (un peu) et protéger les autres (beaucoup). Il n'y a aucun débat au bien fondé de la vaccination, les arguments des anti vax sont tous irrecevables. Pour autant, la crispation actuelle dans le pays n'est pas le fait des sceptiques mais d'un pouvoir ultra vertical, plus que jamais et qui durcit ses positions encore et encore. 10 jours d'isolement pour tout test positif et 45 000 euros d'amende à toute petite échoppe qui ne jouera pas le jeu du pass sanitaire... Ça n'est évidemment pas une dictature, mais c'est un revirement de posture trop rapide et trop rude pour des millions de personnes.

Il n'y a plus de places en psy, en France. Le pays est en surcharge psychique. 50% de hausse de séparation des couples, les burn out professionnels qui se multiplient, impossible de trouver une place en psy publique comme de ville... Dans un contexte où plus personne ne peut se projeter, ou tous souffrent de ne pas savoir de quoi demain sera fait, le calendrier imposé par Macron est d'une violence inouïe. Décréter le pass sanitaire au 1er septembre n'aurait rien changé, fors l'été de tous ceux qui ont besoin de vacances et de tous les professionnels qui se remettent tout juste. Les hôteliers restaurateurs comme les acteurs de la culture, premières victimes de la crise et qui vont devoir fliquer partout. Comme toujours, aucun problème pour les grosses structures, impossible ou presque pour les TPE à 2 salariés... Les contrôleurs SNCF risquent de subir des violences folles s'ils doivent empêcher des voyageurs de monter dans des trains pour lesquels ils ont des billets. Idem pour les spectacles ou les restaurants. Stigmatiser les sceptiques ne peut être la panacée...

Quand Macron a fait ses annonces, près de 25 millions de plus de 12 ans n'avaient pas reçu une seule dose. Qu'on veuille intensifier le rythme, pas de souci, mais faire commencer les mesures de restrictions 8 jours après l'allocution c'est faire le choix du clivage, le choix de l'opposition. On peut détester Macron et être pour les contraintes poussant à la vaccination. Mais on peut aussi détester les vaccino sceptiques et concéder que ce calendrier et cette méthode ne peuvent que nourrir du ressentiment. 

10/07/2021

Et le partage, bordel ?

Deux grèves récentes surgies dans des milieux opposés témoignent comme jamais de la crise du partage. Enfin, "crise" est un euphémisme puisque depuis quarante nous sommes englués dans un cycle égoïste où l'on partage de moins en moins les ressources, les richesses et le temps. Il y a un mois, les internes en médecine exigeaient de pouvoir travailler seulement 48h par semaine, soit le maximum prévu par l'Union Européenne. S'ils demandent ça, c'est qu'elles et ils en font souvent 70, parfois 80 ou 90 heures. Et l'épuisement d'internes peut avoir des conséquences autrement plus désastreuses qu'un journaliste épuisé qui commet deux fautes de syntaxe ou d'un commercial se plantant sur le prix d'une montre... Un interne se suicide tous les deux semaines, 25% d'entre eux ont des pensées suicidaires et 66% souffrent de troubles anxieux. Nous faisons reposer sur leurs jeunes épaules tous nos manques. De personnels, de moyens, de place accordée à la santé publique et nous leur demandons de combler ces manques en étant des surhumains et en accomplissant seul.e, le travail de deux personnes. La solution existe et peu complexe : péter le numérus clausus et former assez de médecins. Sur les milliers de candidats au concours de médecine chaque année, qu'on ne me dise pas que seul.es 200 ont vraiment le potentiel... C'est d'autant plus urgent de le faire qu'en ouvrant grand les vannes aujourd'hui, nous serons correctement outillés en médecins dans dix ans, eu égard à la durée des études... Urgent de partager. 

Cette semaine, dans les tours de la Défense, les salarié.es d'EY se sont mobilisé.es pour les mêmes raisons, parce que l'accord collectif gommait la référence au seuil de 48h hebdomadaires. Pas de suicide de masse chez les consultants, mais des injonctions contradictoires en masse, des burn out à répétition, des personnes qui s'épuisent tant et tant et se dégoûtent tant du travail qu'un grand nombre d'entre eux sont inadaptables après s'être consumé... Toutes et tous ces bac+5 pressurisé.es, jouant le chimérique jeu du "up or out" où si peu montent et gagnent très confortablement leur vie... Le pire c'est que pendant les 70 ou 80 heures hebdomadaires où ils pondent des slides, ces consultant.es prônent la réduction des dépenses publiques, mais pour leurs clients privés, ils prônent aussi les compressions d'effectifs, le "faire mieux avec moins".... Toutes balivernes qui n'ont qu'un but : accroître la marge des actionnaires, permettre aux top managers de gagner plus au détriment du bas de la pyramide. 

Quand on évoque ce problème de partage, les libéraux disent invariablement "prendre aux riches, ça vous soulagerait, mais ça ne règlerait pas le problème. Dans une société de 20 000 salariés, si le patron gagnant 2 millions d'euros se payaient comme tout le monde, ça donnerait 100 euros par an à chaque salariés. 8 euros par mois, vous voyez bien que ça n'est pas le problème". C'est un double sophisme : d'abord, rien ne justifie qu'un humain gagne 20 fois plus qu'un autre. Rien. Et que les salaires des PDG ont cru à mesure qu'ils licenciaient et qu'ils enrichissaient les actionnaires. D'un écart de 1 à 10 au début des années 80 avec leurs employé.es, leur salaire est passé de 1 à 30 à la fin des années 90 et 1 à 400 désormais... Je doute que les nouveaux patrons soient 40 fois plus brillants que leurs prédécesseurs... Mais dans le même temps, les sommes empochées par le capital, par les actionnaires, elle a cru dans des stratosphères folles et là, pour le coup, le partage permettrait à ce que tout le monde vive dignement de son travail. Quand Danone a licencié 2 000 personnes l'an dernier, les 2,8 millions d'euros de salaire d'Emmanuel Faber n'auraient pas sauvé les emplois, les 2 milliards versés aux actionnaires, si.

Jamais nous n'avons eu autant de personnes formées, en France. Jamais nous n'avons eu autant de personnes capables de se mobiliser, de donner, de s'engager dans une voie professionnelle où elles trouveront une utilité. Les systèmes égoïstes où l'on exige de quelques milliers de personnes de travailler jusqu'à la mort ou, a minima, jusqu'à l'inaptitude professionnelle chronique plutôt que de faire rentrer des milliers de nouvelles et nouveaux entrants est un système malade. Et c'est le nôtre. 

 

07/07/2021

Sale pute

Hier matin, je regardais l'excellent doc d'Arte #SalePute sur la haine en ligne, avec nombre de témoignages édifiants de femmes journalistes insultées, menacées de viol et de mort en ligne. Harcelées jusqu'à des silenciations réussies, des comptes fermés. D'ailleurs elles sont nombreuses à dire que les flics qui enregistraient leurs plaintes leur recommandaient de couper internet pour avoir la paix... Certaines ont poussé jusqu'au procès et ont gagné, l'une a perdu son émission, la troisième a choisi de se taire et confie "ça m'a rendu plus grave, moins joyeuse. Mes prises de parole légères, je les censure maintenant, car je sais que ça peut les faire réagir". A l'occasion du procès de la jeune Mila et de la condamnation des harceleurs, le juge de rappeler que les réseaux sociaux, c'est la rue. En pire. Car il est rare, heureusement, que 400 hommes se rassemblent autour d'une femme pour lui dire qu'ils vont la violer et l'égorger et, lors de l'arrivée des flics, de dire que c'était une blague ou que leurs enfants ont parlé à leur place...

J'ai passé la journée hanté par ce doc et ces pratiques genrées. En ligne, sur Linkedin, j'énerve régulièrement une petite troupe de fafs et une autre bande de zélotes de la start-up nation qui m'insultent en choeur. Mais ça s'arrête toujours là, ça ne pousse jamais plus loin que "allez vous épanouir en Corée du Nord", donc rien qui ne puisse m'inciter à arrêter de publier. 

Le soir, je suis allé dîner dans un troquet du 18ème gentrifié où la patronne a installé un frigo solidaire. Lors de la soirée, plusieurs habitant.es du quartier et une boulangère sont venus déposer à manger dans le frigo et plusieurs malheureux.ses se sont servis sans avoir à aller mendier. Un couple de jeunes bien propres, bouteilles de Bordeaux et pizzas à la main essayent de taper dedans. La jeune patronne les rabroue en leur rappelant le sens du mot "solidaire". Trois heures plus tard (oui, j'étais toujours là, mais en excellente compagnie et on avait des trucs à se dire), l'un des jeunes repasse. Il me rappelait les bourgeois à dread locks de mon lycée, avec dix ans de plus. La patronne de retourner, à raison, le sermonner en lui intimant de ne pas recommencer, que tout repose sur la confiance et qu'elle ne regarde pas qui se sert, comment, mais que quand même, il est né avant la honte. Alors, il regarde ses chaussures, conscient (pensais-je) qu'il n'y a rien à répliquer. Avançant d'une vingtaine de mètres, quand il est sûr et certain d'être hors de portée, il se retourne et hurle à l'encontre de la patronne "je t'emmerde, sale pute". Éduquer les hommes au respect des femmes me paraît parfois plus insoluble que le dilemme de Sisyphe.